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PRINCIPES CONTRADICTOIRES.

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Voltaire revient souvent sur les principes contradictoires de l'ancienne monarchie. « Dans les premiers corps de l'État, que de droits équivoques et que d'incertitudes! Les pairs sont-ils admis dans le Parlement, ou le Parlement est-il admis dans la Cour des pairs? Le Parlement est-il substitué aux États-Généraux? Le Conseil d'État est-il en droit de faire des lois sans le Parlement? A chacune de ces questions fondamentales on pourrait répondre par des antécédents contradictoires'. » Les usages, qu'on pouvait seuls invoquer, avaient toujours varié en France. « Ce sont des fantômes, ajoute Voltaire 2, que le pouvoir absolu a fait disparaître. »

Lettre à Servan, 13 janvier 1768.

2 Lettre au marquis de Courtivron, 12 juillet 1757.

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CONCLUSION.

Le bien et le mal exposés, l'œuvre de Louis XIV et de ses ministres reste grande et glorieuse. Le mal leur avait été, en grande partie, légué par le passé; le bien leur appartient. Que l'on compare la situation de la France en 1661 et en 1672, et l'on sera frappé du contraste. A la mort de Mazarin, les finances étaient dans un effroyable désordre; le commerce et l'industrie languissaient; la marine se réduisait à quelques vaisseaux; les lois étaient confuses et mal exécutées; l'armée, illustrée par de glorieux exploits et par le génie de quelques grands capitaines, manquait de discipline, et dépendait plus des généraux que du Roi; les lettres et les arts, après quelques productions brillantes et vigoureuses, tombaient dans ce genre faux et maniéré qui marque le déclin du goût et l'épuisement des esprits; des discussions théologiques déchiraient l'Église. Dix ans se sont à peine écoulés, et tout est changé, régénéré. Les finances sont dans un état de prospérité que la France n'a atteint à aucune autre époque; nos vaisseaux couvrent les mers et portent avec une glorieuse fierté le pavillon de la France; de riches et vastes colonies ouvrent un débouché au commerce et à

l'industrie; les lois sont améliorées et surtout respectées; la pensée du pouvoir central pénètre jusqu'aux extrémités du royaume par une hiérarchie de fonctionnaires fortement constituée ; l'armée sait vaincre et obéir; le génie littéraire, puissant et contenu, original et régulier, sobre dans sa fécondité, sévère dans son inspiration, présente le type le plus parfait de l'esprit français; enfin, l'Église réconciliée a pour soutiens Arnault et Bossuet. On voudrait arrêter ce glorieux siècle sur la pente fatale où vont le précipiter l'orgueil et l'ambition du Roi, et où l'entraîne déjà l'ardent et funeste génie de Louvois. C'est, du moins, un spectacle plein de grandeur et de beauté, que celui du siècle de Louis XIV, dans ce moment de puissante et féconde jeunesse.

Tout est précieux d'une pareille époque, et on ne peut nier l'intérêt d'un Journal qui, rédigé sous l'impression même des événements, contribue à nous faire connaître, dans tous leurs détails, les réformes de Louis XIV. Olivier d'Ormesson nous a montré ce prince imposant silence au Parlement, annulant les grandes dignités de la couronne, et faisant des intendants les dociles agents de sa puissance. Il n'a vu, à la vérité, au milieu des grandes mesures financières et commerciales de Colbert, que les poursuites dirigées contre les traitants, le remboursement des rentes, le mécontentement provoqué par cette réforme, la dimi– nution du prix des offices et l'organisation forcée des compagnies de commerce. Mais il expose avec étendue la réforme des lois. L'influence personnelle de Louis XIV siégeant au milieu des jurisconsultes, la date précise des premiers travaux de la Commission, le nom des conseillers d'État, maîtres des requêtes et avocats qui y prirent part,

CONCLUSION.

199 le rôle secondaire du Parlement, les détails de l'enregistrement des nouveaux codes, les obstacles que présenta leur exécution et dont la volonté de Louis XIV parvint à triompher; tous ces faits, incomplètement ou inexactement racontés par les historiens, sont retracés par un témoin impartial. Il en est de même des affaires ecclésiastiques, des efforts tentés par Colbert pour diminuer le nombre des moines et des religieuses, de la lutte engagée, en 1664, entre les Gallicans et les Ultramontains, enfin de la paix de l'Église, due au pape Clément IX et à l'heureuse médiation de quelques évêques français. Une préoccupation de commentateur ne m'aveugle pas sur les défauts du Journal d'Olivier d'Ormesson, sur la négligence et même parfois l'incorrection du style, sur la prolixité des récits et les préjugés de l'auteur. Je pense, néanmoins, que tous ceux qui estiment l'exactitude chronologique, qui préfèrent la précision des faits et des dates à des récits vagues et pompeux ou à des appréciations superficielles, que tous ceux, enfin, qui aiment l'histoire consciencieuse, détaillée, féconde en renseignements sur les mœurs et les institutions, apprécieront l'importance de ces Mémoires.

D'ailleurs, quelque étendus et multipliés que soient les extraits que j'ai cités, ils ne peuvent donner qu'une idée fort incomplète de ce Journal. Son principal mérite est de faire revivre une société qui avait ses imperfections et ses vices, mais à laquelle on ne peut refuser la supériorité de l'esprit, l'élégance des mœurs, la politesse raffinée des Précieuses, jointes au bon sens et à l'intelligence de la vie pratique. Le récit simple et naturel de l'auteur retrace les relations tour à tour graves et brillantes de cette époque. Ses conversations avec Guillaume de Lamoignon, Mme de

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