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JOURNAL D'OLIVIER D'ORMESSON.

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temps). C'est aussi à cette époque qu'il commença à rédiger son Journal.

Ainsi, les Mémoires d'Olivier d'Ormesson datent de la fin du règne de Louis XIII. Ils retracent avec une minutieuse exactitude les derniers moments de ce prince, la scène solennelle où il remit au Parlement la déclaration pour la régence', et le lit de justice où elle fut enregistrée 2. Louis XIII était à peine mort que ses dernières dispositions furent violées, et que le Parlement, modifiant la déclaration royale, conféra à Anne d'Autriche la plénitude de l'autorité souveraine (18 mai 1643) 3. On vit alors, sur les degrés du trône, d'où l'âpre et redoutable cardinal de Richelieu avait foudroyé plutôt que gouverné les humains', un successeur doux et bénin, qui ne voulait rien, qui était au désespoir que sa dignité de cardinal ne lui permit pas de s'humilier, autant qu'il l'eût souhaité, devant tout le monde. Jules Mazarin n'était pas encore connu ; sa prudence passa pour de la timidité et encouragea les complots. Les exilés revinrent; les intrigants s'agitèrent. L'ambitieuse duchesse de Chevreuse, jadis favorite d'Anne d'Autriche, reparut à la cour, et se flatta de reprendre près de la régente l'empire qu'elle avait exercé sur la reine persécutée. Elle ramena l'ancien garde des sceaux, Charles

1 Journal d'Oliv, d'Ormesson, 1re partie, fo 9 verso.

2 Ibid.

3 Ibid., fo 14 recto et verso.

4 Ce sont les expressions mêmes du cardinal de Retz, liv. II de ses Mémoires.

5 Ibid.

6 Marie de Rohan-Montbazon, née en 1600, mariée en 1617 au connétable de Luynes, et, en secondes noces, à Claude de Lorraine, due de Chevreuse, morte en 1679.

de l'Aubespine, marquis de Châteauneuf', rival du chancelier Pierre Séguier 2. « On les appeloit les deux Sosies, parce que l'un et l'autre avoient et la tapisserie et la robe de chancelier, estoient d'une mesme taille, fort noirs de visage et de poil, et tous deux d'un visage fort severe 3. »

Le désordre était partout à la cour, où la cabale des Importants semblait sur le point de renverser Mazarin*; dans le Conseil d'État, où MONSIEUR, Gaston d'Orléans, et Monsieur le Prince, Henri de Bourbon, père du grand Condé, se disputaient le pouvoir; dans le Parlement, qui éclatait en menaces contre le ministère et préludait à la Fronde". Les courtisans se réjouissaient de cette anarchie. « Il n'y a plus, disait La Feuillade, que quatre petits mots dans la langue française: La reine est si bonne! » SaintÉvremond chantait, dans la suite :

.....

Le temps de la bonne régence,

Temps où régnoit une heureuse abondance,
Temps où la ville, aussi bien que la cour,
Ne respiroient que les jeux et l'amour.

Un magistrat d'un esprit sérieux et élevé comme Olivier d'Ormesson ne pouvait partager l'admiration des courti

Il avait été nommé garde des sceaux en 1630, puis disgracié et emprisonné en 1635. Il mourut en 1653.

2 Né en 1588 et mort en 1672. Il était chancelier depuis 1635.

3 Journal d'Oliv. d'Ormesson, 1re partie, f 17 bis. Je conserverai, dans toutes les citations, l'orthographe du manuscrit.

4 Ibid., fos 22 recto, et 23 recto et verso. Olivier d'Ormesson assistait au Conseil d'Etat en sa qualité de maître des requêtes.

5 Ibid., fos 17 verso, et 24 verso.

6 lbid., fo 23 verso.

↑ Mémoires du cardinal de Retz, livre ler, vers la fin.

RÉGENCE D'ANNE D'AUTRICHE.

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sans pour ce tourbillon de cabales et de complots qui entourait Anne d'Autriche. Il voyait avec peine l'affaiblissement de l'autorité et le triomphe de l'anarchie. Un dicton populaire qu'il cite dans son Journal' résume la situation:

« La Reyne donne tout,

>> MONSIEUR joue tout,

>> Monsieur le Prince prend tout,
» Le cardinal Mazarin faict tout,
» Le Chancelier scelle tout. »

On ne se console de ces misérables intrigues que par la vue des grandes choses que la France accomplissait alors à l'extérieur. Mazarin, qui, selon son expression, avait le cœur plus français que le langage, poursuivait avec habileté les projets de Richelieu pour l'abaissement de la maison d'Autriche 2. Condé triomphait à Rocroy, à Fribourg, à Nordlingen et à Lens; Turenne, d'abord moins heureux, pénétrait au cœur de l'Allemagne et menaçait l'Autriche jusque dans ses états héréditaires. Le Roussillon, l'Artois et l'Alsace conquis, le Portugal délivré, la

▾ Journal d'Oliv. d'Ormesson, 1re partie, fo 25 recto. Ce dicton est une imitation de celui que cite L'Étoile, Journal de Henri III, p. 306 de l'édition de Petitot:

Le pauvre peuple endure tout,
Les gens d'armes ravagent tout,
La sainte Eglise paye tout,
Les favoris demandent tout,
Le Parlement vérifie tout,

Le chancelier scelle tout,

La Reine-mère conduit tout,

Le Pape leur pardonne tout,

Chicot (le fou du Roi) tout seul rit de tout,
Le diable, à la fin, aura tout.

2 Mignet, Négociations pour la succession d'Espagne, tome Jer.

Catalogne envahie, la Suède triomphante, la Hongrie détachée de l'Autriche, l'Italie secouant le joug de l'Espagne, enfin l'Empire triomphant de l'Empereur, tels étaient les résultats de cette glorieuse politique. Les contemporains, et surtout les parlementaires, n'en comprirent pas toujours la grandeur. Écrasés d'impôts, ils ne voyaient que la misère publique; la postérité seule devait recueillir les fruits de leurs sacrifices. C'est un mérite pour Olivier d'Ormesson de s'être élevé au-dessus de ces souffrances du moment, et d'avoir porté un jugement équitable sur la politique extérieure de la France. « La posterité, écrit-il dans son Journal', lira avec admiration les grandes actions que nous voyons de nos jours: que les armes d'un Roy de neuf ans se fassent craindre partout, et que, depuis trois ans, nous ayons battu partout nos ennemys. En cette campagne, le mareschal de Turenne a poussé les ennemys, qui ne l'ont osé attendre. En Flandre après avoir pris Courtray en presence d'une armée aussi forte que la nostre, au milieu de leur pays, forcer Mardick avec deux mil cinq cens hommes dedans, fermer Dunkerque et le prendre, sans qu'ils ayent tenté aucun secours; en Catalogne, assieger Lerida; en Italie, retourner une seconde fois plus forts que la premiere et y prendre pied: ce sont choses qui seront admirées à l'advenir, et le duc d'Anguien surpasse maintenant les plus grands heros, ayant faict quatre campagnes admirables, terminées par la prise de Dunkerque, non pas seulement par bonheur, mais par valeur et conduitte, donnant luy seul tous les ordres, les executant, et ayant esté deux fois blessé cette

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* Journal d'Oliv. d'Ormesson, tre partie, f 82 recto, à la date du 16 octobre 1646.

JOURNAL D'OLIVIER D'ORMESSON.

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campagne, et plusieurs des siens tués autour de luy, vigilant, liberal, caressant. »

Malheureusement, les discordes civiles vinrent suspendre le cours des victoires. Olivier d'Ormesson retrace toutes les phases de la première Fronde avec une minutieuse fidélité, et donne de nouveaux détails sur une histoire qui semblait épuisée. Luttes des maîtres des requêtes contre le ministère, union des cours souveraines, violence des enquêtes, efforts du Premier Président pour les modérer, assemblées de la Chambre Saint-Louis, propositions audacieuses pour changer la forme du gouvernement, arrestation de conseillers le 26 août 1648, barricades, enfin, fuite de la Cour et guerre civile: tous ces faits, déjà si souvent racontés par des témoins oculaires reçoivent une nouvelle lumière des Mémoires d'un magistrat sincèrement animé de l'esprit de corps, mais assez éclairé et assez sage pour redouter les extrémités où se précipitaient de fougueux parlementaires. Le Journal d'Olivier d'Ormesson nous transporte réellement au milieu de ces scènes étranges, où le mélange d'écharpes bleues, de dames, de cuirasses, de violons dans les salles de l'Hôtel-de-Ville, le bruit de tambours et le son de trompettes sur la place, donnaient, dit le cardinal de Retz, un spectacle que l'on voit plus dans les romans qu'ailleurs. Il n'était pas moins extraordinaire d'entendre des conseillers au Parlement discuter sur la guerre, en calculer les chances, en préparer les ressources, et, s'animant d'un belliqueux enthousiasme, faire retentir le sanctuaire de la

Matthieu Molé, né en 1584, conseiller au Parlement en 1606, président d'une Chambre des Enquêtes en 1610, procureur général en 1614, premier président en 1641, garde des sceaux en 1651, mort en 1656.

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