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publique ou de Corps politique, lequel eft appelé par les membres Etat quand il est paffif Souverain quand il eft actif, Puissance en le comparant à fes femblables. A l'égard des affociés, ils prennent collectivement le nom de Peuple, & s'appellent en particulier Citoyens, comme participans à l'autorité fouveraine, & Sujets, comme foumis aux loix de l'Etat. Mais ces terines fe confondent fouvent & fe prennent l'un pour l'autre ; il fuffit de les favoir diftinguer quand ils font employés dans toute leur précision.

peut le voir dans leurs Dictionnaires, fans quoi ils tomberoient en l'ufurpant, dans le crime de Léze-Majefté: ce nom chez eux exprime une vertu & non pas un droit. Quand Bodin a voulu parler de nos Citoyens & Bourgeois, il a fait une lourde bévue en prenant les uns pour les autres. M. d'Alembert ne s'y est pas trompé, & a bien diftingué, dans son article Geneve, les quatre ordres d'hommes ( même cinq en y comptant les fimples étrangers) qui font dans notre ville, & dont deux feulement compofent la République. Nul autre auteur François, que je fache, n'a compris le vrai fens du mot Citoyen.

CHAPITRE VIL

Du Souverain.

ON voit par cette formule que l'acte d'affociation renferme un engagement réciproque du public avec les particuliers, & que chaque individu contractant, pour ainfi dire, avec lui-même, fe trouve engagé fous un double rapport; favoir, comme membre du Souverain envers les particuliers, & comme membre de l'Etat envers le Souverain. Mais on ne peut appliquer ici la maxime du droit civil, que nul n'eft tenu aux engagemens pris avec lui-même; car il y a bien de la différence entre s'obliger envers foi, ou envers un tout dont on fait partie.

Il faut remarquer encore que la délibération publique, qui peut obliger tous les fujets envers le Souverain, à caufe de deux différens rapports fous lefquels chacun d'eux eft envisagé, ne peut, par la raifon contraire, obliger le Souverain envers lui-même; & que, par conféquent, il eft contre la nature. du Corps politique que le Souverain s'impofe

une loi qu'il ne puiffe enfreindre. Ne pouvant fe confidérer que fous un feul & même rapport, il est alors dans le cas d'un particulier contractant avec foi-même : par où l'on voit qu'il n'y a ni ne peut y avoir nulle efpece de loi fondamentale obligatoire pour le Corps du peuple, pas même le contrat focial. Ce qui ne fignifie pas que ce corps ne puiffe fort bien s'engager envers autrui en ce qui ne déroge point à ce contrat ; car à l'égard de l'étranger, il devient un être simple, un individu.

Mais le Corps politique ou le Souverain ne tirant fon être que de la fainteté du contrat, ne peut jamais s'obliger, même envers autrui, à rien qui déroge à cet acte primitif, comme d'aliéner quelque portion de lui même ou de fe foumettre à un autre Souverain. Violer l'acte par lequel il exifte feroit s'anéantir, & ce qui n'eft rien ne produit rien.

Sitôt que cette multitude eft ainsi réunie en un corps, on ne peut offenfer un des membres fans attaquer le corps ; encore moins offenfer le corps fans que les membres s'en reffentent. Ainfi le devoir & l'intérêt obligent

également les deux parties contractantes s'entr'aider mutuellement, & les mêmes hommes doivent chercher à réunir fous ce double rapport tous les avantages qui en dépendent.

Or, le Souverain n'étant formé que des particuliers qui le compofent, n'a ni ne peut avoir d'intérêt contraire au leur; par conféquent la puiffance fouveraine n'a nul befoin de garant envers les fujets; parce qu'il eft impoffible que le corps veuille nuire à tous fes membres, & nous verrons ci-après qu'il ne peut nuire à aucun en particulier. Le Souverain, par cela feul qu'il eft, eft toujours tout ce qu'il doit être.

Mais il n'en eft pas ainfi des fujets envers le Souverain, auquel malgré l'intérêt commun, rien ne répondroit de leurs engagemens s'il ne trouvoit des moyens de s'affurer de leur fidélité.

En effet chaque individu peut comme homme avoir une volonté particuliere, contraire ou diffemblable à la volonté générale qu'il a comme citoyen. Son intérêt particulier peut lui parler tout autrement que l'insérêt commun; fon exiftence abfolue & na

turellement indépendante, peut lui faire envifager ce qu'il doit à la cause commune comme une contribution gratuite, dont la perte fera moins nuifible aux autres que le paiement n'en eft onéreux pour lui : & regardant la perfonne morale qui conftitue l'Etat comme un être de raifon, parce que ce n'eft pas un homme, il jouiroit des droits du citoyen fans vouloir remplir les devoirs du fujet : injustice dont le progrès causeroit la ruine du Corps politique.

Afin donc que le pacte focial ne foit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui feul peut donner de la force aux autres, que quiconque refufera d'obéir à la volonté générale y fera contraint par tout le corps: ce qui ne fignifie autre chofe, finon qu'on le forcera d'être libre: car telle eft la condition qui donnant chaque citoyen à la patrie le garantit de toute dépendance perfonnelle; condition qui fait l'arti fice & le jeu de la machine politique, & qui feule rend légitimes les engagemens civils, lefquels fans cela feroient abfurdes, tyranniques, & fujets aux plus énormes abus.

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