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maître & législateur dans fa partie. Il y a donc deux Puiffances, deux Souverains, en Angleterre & en Ruffie, tout comme ailleurs.

De tous les Auteurs chrétiens le philosophe Hobbes eft le seul qui ait bien vu le mal & le remede, qui ait ofé propofer de réunir les deux têtes de l'aigle, & de tout ramener à l'unité politique, fans laquelle jamais Etat ni Gouvernement ne fera bien conftitué. Mais il a dû voir que l'efprit dominateur du chriftianifme étoit incompatible avec fon systême, & que l'intérêt du prêtre feroit toujours plus fort que celui de l'Etat. Ce n'eft pas tant ce qu'il y a d'horrible & de faux dans fa politique que ce qu'il y a de jufte & de vrai qui l'a rendue odieuse (y).

France, qui lient le clergé en un Corps, que la communion des églifes. La communion & l'excommunication font le paste focial du clergé, pacte avec lequel il fera toujours le maître des peuples & des rois. Tous les prêtres qui communiquent enfemble font concitoyens, fuffent-ils des deux bouts du monde. Cette invention est un chef-d'œuvre en politique. Il n'y avoit rien de femblable parmi les prêtres payens; auffi n'ontils jamais fait un Corps de Clergé.

(v) Voyez entr'autres dans une lettre de Grotius à fon frere, du 11 Avril 1643, ce que ce

Je crois qu'en développant fous ce point de vue les faits hiftoriques on réfuteroit aifément les fentimens oppofés de Bayle & de Warburton, dont l'un prétend que nulle religion n'eft utile au Corps politique, & dont l'autre foutient au contraire que le chrif. tianifme en eft le plus ferme appui. On prouveroit au premier que jamais Etat ne fut fondé que la religion ne lui fervît de base, & au fecond que la loi chrétienne eft au fond plus nuifible qu'utile à la forte constitution de l'Etat. Pour achever de me faire entendre, il ne faut que donner un peu plus de précifion aux idées trop vagues de religion relatives à mon fujet.

La religion confidérée par rapport à la fociété, qui eft générale ou particuliere, peut auffi fe divifer en deux efpeces, savoir, la religion de l'homme & celle du citoyen. La premiere, fans temples, fans aurels, fans rites, bornée au culte purement intérieur du

favant homme approuve & ce qu'il blâme dans le livre de Cive. Il eft vrai que, porté à l'indulgence, il paroît pardonner à l'auteur le bien en faveur du mal; mais tout le monde n'est pas fi

clément.

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Dieu fuprême & aux devoirs éternels de la morale eft la pure & fimple religion de l'Evangile, le vrai théisme, & ce qu'on peut appeller le droit divin naturel. L'autre, inf. crite dans un feul pays, lui donne fes Dieux, fes patrons propres & tutélaires; elle a fes dogmes, fes rites, fou culte extérieur prefe crit par des loix; hors la feule nation qui la fuit, tout eft pour elle infidelle, étranger, barbare; elle n'étend les devoirs & les droits de l'homme qu'auffi loin que fes autels. Telles furent toutes les religions des premiers peuples, auxquelles on peut donner le nom de droit divin civil ou positif.

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Il y a une troisieme forte de religion plus bizarre, qui donnant aux hommes deux légiflations, deux chefs deux patrics, les foumer à des devoirs contradictoires & les empêche de pouvoir être à la fois dévots & citoyens. Telle eft la religion des Lamas, telle eft celle des Japonois, tel eft le christia nifme Romain. On peut appeller celui-ci la religion du Prêtre. Il en résulte une forte de droit mixte & infociable qui n'a point de

nom.

3.

A confidérer politiquement ces trois fortes

de religions, elles ont toutes leurs défauts. La troisieme eft fi évideniment mauvaise que c'eft perdre le tems de s'amufer à le démontrer. Tout ce qui rompt l'unité fociale ne vaut rien : toutes les inftitutions qui mettent l'homme en contradiction avec lui-même ne valent rien.

La feconde eft bonne en ce qu'elle réunit le culte divin & l'amour des loix, & que faifant de la patrie l'objet de l'adoration des citoyens, elle leur apprend que servir l'Etat c'eft en fervir le Dieu tutélaire. C'eft une efpece de théocratie, dans laquelle on ne doit point avoir d'autre pontife que le Prince, ni d'autres prêtres que les magiftrats. Alors mourir pour fon pays c'eft aller au martyre, violer les loix, c'est être impie, & foumettre un coupable à l'exécration publique c'est le dévouer au courroux des Dieux ; facer eftod.

Mais elle eft mauvaise en ce qu'étant fondée fur, l'erreur & fur le menfonge; elle trompe les hommes, les rend crédules, fuperftitieux, & noie le vrai culte de la divinité dans un vain cérémonial. Elle eft mauvaife encore quand, devenant exclusive & tyrannique, elle rend un peuple fanguinaire

& intolérant ; en forte qu'il ne respire que! meurtre & malfacte, & croit faire une action fainte en tuant quiconque n'admet pas fes Dieux. Cela met un tel peuple dans-unétat naturel de guerre avec tous les autres, très-nuifible à fa propre fureté.

Refte donc la religion de l'homme ou le chriftianifme, non pas celui d'aujourd'hui, mais celui de l'Evangile, qui en est tout-àfait différent. Par cette religion fainte, fu blime, véritable, les hommes, enfans du même Dieu, fe reconnoiffent tous pour freres, & la fociété qui les unit ne se diffour pas même à la mort.

Mais cette religion n'ayant nulle relation particuliere avec le Corps politique, laiffe aux loix la feule force qu'elles tirent d'ellesmêmes fans leur en ajouter aucune autre, 1& par là un des grands liens de la fociété particuliere refte fans effet. Bien plus; loin d'attacher les cours des citoyens à l'Etat, elle les en détache comme de toutes les chofes de la terre; je ne connois rien de plus contraire à l'efprit focial.

On nous dit qu'un peuple de vrais chré

tiens formeroit la plus parfaite fociété que

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