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geoient entr'eux l'empire du monde; Moïfe même & le peuple Hébreu fe prêtoient quelquefois à cette idée en parlant du Dieu d'Ifraël. Ils regardoient, il eft vrai, comme nuls les Dieux des Cananéens, peuples profcrits, voués à la deftruction, & dont ils devoient occuper la place; mais voyez comment ils parloient des divinités des peuples voifins qu'il leur étoit défendu d'attaquer ! La poffeffion de ce qui appartient à Chames votre Dieu, difoit Jephté aux Ammonites, ne vous est-elle pas légitimement due? Nous polédons au même titre les terres que notre Dieu vainqueur s'eft acquifes (t). C'étoitlà, ce me femble, une parité bien reconnue entre les droits de Chamos & ceux du Dieu d'Ifraël.

(t) Nonne ea que poffidet Chamos Deus tuus tibi jure debentur ? Tel cft le texte de la Vulgate.. Le pere de Carrieres a traduit. Ne croyez-vous pas avoir droit de pofféder ce qui appartient à Chamos votre Dieu! J'ignore la force du texte hébreu ; mais je vois que dans la Vulgate, Jephté reconnoît pofitivement le droit du Dieu Chamo, & que le traducteur François affoiblit cette reconnoiffance par un felon vous qui n'est pas dans le latin,

Mais

Mais quand les Juifs, foumis aux Rois de Babylone & dans la fuite aux Rois de Syrie, voulurent s'obftiner à ne reconnoître aucun autre Dieu que le leur, ce refus, regardé comme une rebellion contre le vainqueur, leur attira les perfécutions qu'on lit dans leur hiftoire, & dont on ne voit aucun autre exemple avant le christianisme («). › Chaque religion étant donc uniquement attachée aux loix de l'Etat qui la prescrivoit, il n'y a point d'autre maniere de convertir un peuple que de l'affervir, ni d'autres miffionnaires que les conquérans, & l'obligation de changer de culte étant la loi des vaincus, il falloit commencer par vaincre avant d'en parler. Loin que les hommes combattiffent pour les Dieux, c'étoient, comme dans Homere, les Dieux qui combattoient pour les hommes; chacun demandoit au fien la victoire, & la payoit par de nouveaux autels. Les Romains avant de prendre une place,

(u) Il eft de la derniere évidence que la guerre des Phocéens, appellée guerre facrée, n'étoit point une guerre de religion. Elle avoit pour objet de punir des facriléges & nom de foumettre des mécréans.

X

fommoient fes Dieux de l'abandonner, & quand ils laiffoient aux Tarentins leurs Dieux irrités, c'eft qu'ils regardoient alors ces Dieux comme foumis aux leurs & forcés de leur faire hommage: ils laiffoient aux vaincus leurs Dieux comme ils leur laiffoient leurs loix. Une couronne au Jupiter du Capitole étoit fouvent le feul tribut qu'ils impofoient.

Enfin les Romains ayant étendu avec leur empire leur culte & leurs Dieux, & ayant fouvent eux-mêmes adopté ceux des vaincus en accordant aux uns & aux autres le droit de Cité, les peuples de ce vafte empire fe trou verent infenfiblement avoir des multitudes de Dieux & de cultes, à-peu-près les mêmes par-tout; & voilà comment le paganisme ne fut enfin dans le monde connu qu'une feule & même religion.

Ce fut dans ces circonftances que Jéfus vint établir fur la terre un royaume fpirituel; ce qui, féparant le fyftême théologique du fyftême politique, fit que l'Etat ceffa d'être un, & caufa les divifions inteftines qui n'ont jamais ceffé d'agiter les peuples chrétiens. Or, cette idée nouvelle d'un royaume de l'autre monde n'ayant pu jamais entrer dana

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la tête des payens, ils regarderent toujours les chrétiens comme de vrais rebelles qui, fous une hypocrite foumiffion ne cherchoient que le moment de fe rendre indépen dans & maîtres, & d'ufurper adroitement l'autorité qu'ils feignoient de refpecter dans leur foibleffe. Telle fut la caufe des perfécutions.

Ce que les payens avoient craint est arrivé: alors tout a changé de face, les humbles chrétiens ont changé de langage, & bientôt on a vu ce prétendu royaume de l'autre monde devenir fous un chef visible le plus violent defpotifme dans celui-ci.

Cependant comme il y a toujours eu un Prince & des loix civiles, il a réfulté de cette double puiffance un perpétuel conflit de jurisdiction qui a rendu toute bonne politic impoffible dans les Etats chrétiens, & l'on n'a jamais pu venir à bout de favoir auquel du maître ou du prêtre on étoit obbligé d'obéir.

Plufieurs peuples cependant, même dans l'Europe ou à fon voifinage, ont voulu conferver ou rétablir l'ancien systême, mais. fans fuccès; l'efprit du chriftianisme a tout

gagné. Le culte facré est toujours refté ou redevenu indépendant du Souverain & fans liaifon néceffaire avec le Corps de l'Etat. Mahomet eut des vues très-faines, il lia bien fon fyftême politique, & tant que la forme` de fon Gouvernement fubfifta fous les Califes fes fucceffeurs, ce Gouvernement fut exactement un, & bon en cela. Mais les Arabes devenus floriffans, lettrés, polis, mous & lâches, furent fubjugués par des barbares: alors la division entre les deux puissances recommença; quoiqu'elle foit moins apparente chez les mahométans que chez les chrétiens, elle y eft pourtant, fur-tout dans' la fecte d'Ali, & il y a des Etats, tels que la Perfe, où elle ne ceffe de fe faire fentir.

Parmi nous, les Rois d'Angleterre fe font établis chefs de l'églife, autant en ont fait les Czars; mais par ce titre ils s'en font moins rendus les maîtres que les miniftres; ils ont moins acquis le droit de la changer que le pouvoir de la maintenir ; ils n'y font pas légiflateurs, ils n'y font que Princes.. Par-tout où le clergé fait un Corps (x) il eft

(x) Il faut bien remarquer que ce ne font pas tant des affemblées formelles, comme celles de

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