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ayant été introduite pour la levée des trou pes, les divifions militaires de Romulus fe trouverent fuperfues. Ainfi, quoique tout citoyen fût infcrit dans une Tribu, il s'en falloit beaucoup que chacun ne le fût dans

une Curie.

Servius fit encore une troisieme divifion qui n'avoit aucun rapport aux deux précédentes, & devint par fes effets la plus importante de toutes. Il diftribua tout le Peuple Romain en fix claffes, qu'il ne diftingua ni par le lieu ni par les hommes, mais par les biens en forte que les premieres classes étoient remplies par les riches, les dernieres par les pauvres, & les moyennes par ceux qui jouiffoient d'une fortune médiocre. Ces fix claffes étoient fubdivifées en 193 autres corps appellés centuries, & ces corps étoient tellement diftribués que la premiere claffe en comprenoit feule plus de la moitié, & la derniere n'en formoit qu'un feul. Il fetrouva ainfi que la claffe la moins nombreuse en hommes l'étoit le plus en centuries, & que la derniere claffe entiere n'étoit comptée que pour une fubdivifion, bien qu'elle contînt feule plus de la moitié des habitans de Rome.

Afin que le peuple pénétrât moins les conféquences de cette derniere forme, Servius affecta de lui donner un air militaire : il inféra dans la feconde claffe deux centuries d'armuriers, & deux d'inftrumens de guerre dans la quatrieme. Dans chaque claffe, excepté la derniere, il diftingua les jeunes & les vieux, c'est-à-dire, ceux qui étoient obligés de porter les armes, & ceux que leur âge en exemptoit par les loix; diftinction qui, plus que celle des biens, produifit la néceffité de recommencer fouvent le cens ou dénombrement. Enfin il voulut que l'affemblée fe tînt au champ de Mars, & que tous ceux qui étoient en âge de fervir y vinffent avec leurs armes.

La raison pour laquelle il ne fuivit pas dans la derniere claffe certe même divifion des jeunes & des vieux, c'est qu'on n'accordoit point à la populace dont elle étoit compofée, l'honneur de porter les armes pour la patrie; il falloit avoir des foyers pour obtenir le droit de les défendre, & de ces innombrables troupes de gueux dont brillent aujourd'hui les armées des reis, il n'y en a pas un peut

être, qui n'eût été chaffé avec dédain d'une cohorte Romaine, quand les foldats étoient les défenfeurs de la liberté.

On diftingua pourtant encore, dans la derniere claffe, les prolétaires de ceux qu'on appelloit capite cenfi. Les premiers, non tout à fait réduits à rien, donnoient au moins des citoyens à l'Etat, quelquefois même des foldats dans les befoins preffans. Pour ceux qui n'avoient rien du tout & qu'on ne pouvoit dénombrer que par leurs têtes, ils étoient tout-à-fait regardés comme nuls, & Marius fut le premier qui daigna les enrôler.

Sans décider ici fi ce troifieme dénombrement étoit bon ou mauvais en lui-même, je crois pouvoir affirmer qu'il n'y avoit que les mœurs fimples des premiers Romains leur défintéreffement, leur goût pour l'agriculture, leur mépris pour le commerce & pour l'ardeur du gain, qui pullent le rendre praticable. Où eft le peuple moderne chez lequel la dévorante avidité, l'efprit inquiet, l'intrigue, les déplacemens continuels, les perpétuelles révolutions des fortunes puffent laiffer durer vingt ans un pareil

établiffement fans bouleverfer tout l'Etat ? Il faut même bien remarquer que les mœurs & la cenfure plus fortes que cette inftitution en corrigerent le vice à Rome, & que tel riche fe vit relégué, dans la claffe des pauvres , pour avoir trop étalé fa richesse.

De tout ceci l'on peut comprendre aisément pourquoi il n'eft prefque jamais fait mention que de cinq claffes, quoiqu'il y en eût réellement fix. La fixieme ne fourniffant ni foldats à l'armée, ni votans au champ de Mars (n), & n'étant presque d'aucun ufage dans la République, étoit rarement comptée pour quelque chofe.

Telles furent les différentes divifions du Peuple Romain. Voyons à préfent l'effet qu'elles produifoient dans les affemblées. Ces affemblées légitimement convoquées s'appelloient comices; elles fe tenoient ordinairement dans la place de Rome ou au champ de Mars, & fe diftinguoient en co

(n) Je dis au champ de Mars, parce que c'étoit là que s'affembloient les comices par centuries; dans les deux autres formes le peuple s'affembloit au forum ou ailleurs, & alors les capite cenfi avoient autant d'influence & d'autorité que les premiers citoyens.

mices par curies, comices par centuries, & comices par tribus, felon celle de ces trois formes fur laquelle elles étoient ordonnées les comices par curies étoient de l'inftitution de Romulus, ceux par centuries de Servius, ceux par tribus des tribuns du Peuple. Aucune loi ne recevoit la fanction, aucun magiftrat n'étoit élu que dans les comices, & comme il n'y avoit aucun citoyen qui ne fût infcrit dans une curie, dans une centurie, ou dans une tribu, il s'enfuit qu'aucun citoyea n'étoit exclus du droit de fuffrage, & que le Peuple Romain étoit véritablement fouverain de droit & de fait.

Pour que les comices fuffent légitimement affemblés, & que ce qui s'y faifoit eût force de loi, il falloit trois conditions: la premiere, que le Corps ou le Magistrat qui les convoquoit fût revêtu pour cela de l'autorité néceffaire; la feconde, que l'affemblée fe fit un des jours permis par la loi; la troifieme, que les augures fuffent favorables.

La raifon du premier réglement n'a pas befoin d'être expliquée. Le fecond est une affaire de police; ainfi il n'étoit pas per

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