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Il n'y a qu'une feule loi qui par fa nature exige un confentement unanime. C'eft le pacte focial: car l'affociation civile eft l'acte du monde le plus volontaire; tout homme étant né libre & maître de lui-même, nul ne peut, fous quelque prétexte que ce puiffe être, l'affujettir fans fon aveu. Décider que le fils d'une efclave naît esclave, c'eft décider qu'il ne naît pas homme.

Si donc lors du pacte focial il s'y trouve des oppofans, leur oppofition n'invalide pas le contrat, elle empêche feulement qu'ils n'y foient compris ; ce font des étrangers parmi les citoyens. Quand l'Etat eft inftitué, le confentement eft dans la réfidence; habiter dans le territoire c'eft fe foumettre à la fouveraineté (g).

Hors ce contrat primitif, la voix du plusgrand nombre oblige toujours tous les autres ; c'est

(g) Ceci doit toujours s'entendre d'un Etat libre; car d'ailleurs la famille, les biens, le défaut d'afyle, la néceffité, la violence, peuvent retenir un habitant dans le pays malgré lui, & alors fon féjour feul ne fuppofe plus fon confentement au contrat où à la violation du contrat.

une fuite du contrat même. Mais on demande comment un homme peut être libre, & forcé de fe conformer à des volontés qui ne font pas les fiennes. Comment les oppofans font-ils libres & foumis à des loix auxquelles ils n'ont pas confenti?

Je réponds que la question eft mal posée. Le citoyen confent à toutes les loix, même à celles qu'on paffe malgré lui, & même à celles qui le puniffent quand il ofe en violer quelqu'une. La volonté conftante de tous les membres de l'Etat eft la volonté générale ; c'eft par elle qu'ils font citoyens & libres (h). Quand on propose une loi dans l'affemblée du peuple, ce qu'on leur demande n'est pas précisément s'ils approuvent la propofition ou s'ils la rejettent, mais fi elle eft conforme ou non à la volonté générale qui est la leur ; chacun en donnant fon fuffrage dit fon avis là-deffus, & du calcul des voix fe tire la

(b) A Genes on lit au devant des prisons & fur les fers des galériens ce mot Libertas. Cette application de la devife eft belle & jufte. En effet, il n'y a que les malfaiteurs de tous états qui empêchent le citoyen d'être libre. Dans un pays où tous ces gens-là feroient aux galeres, on jouiroit de la plus parfaite liberté.

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déclaration de la volonté générale. Quand donc l'avis contraire au mien l'emporte, cela ne prouve autre chofe finon que je m'étois trompé, & que ce que j'cftimois être la volonté générale ne l'étoit pas. Si mon avis particulier l'eût emporté, j'aurois fait autre chofe que ce que j'avois voulu, c'cft alors que je n'aurois pas été libre.

Ceci fuppofe, il eft vrai, que tous les caracteres de la volonté générale font encore dans la pluralité: quand ils ceffent d'y être, quelque parti qu'on prenne il n'y a plus de liberté.

En montrant ci-devant comment on fubftituoit des volontés particulieres à la volonté générale, dans les délibérations publiques, j'ai fuffisamment indiqué les moyens praticables de prévenir cet abus; j'en parlerai encore ci-après. A l'égard du nombre proportionnel des fuffrages pour déclarer cette volonté, j'ai auffi donné les principes fur lefquels on peut le déterminer. La différence d'une feule voix rompt l'égalité; un feul oppofant rompt l'unanimité ; mais entre l'unanimité & l'égalité il y a plufieurs partages inégaux, à chacun defquels on peut fixer

ce nombre felon l'état & les befoins du Corps politique.

Deux maximes générales peuvent fervir à régler ces rapports: l'une, que plus les délibérations font importantes & graves, plus l'avis qui l'emporte doit approcher de l'unanimité l'autre, que plus l'affaire agitée exige de célérité, plus on doit refferrer la différence prefcrite dans le partage des avis ; dans les délibérations qu'il faut terminer surle-champ, l'excédent d'une feule voix doit fuffire. La premiere de ces maximes paroît plus convenable aux loix, & la feconde aux affaires. Quoi qu'il en soit, c'eft fur leur combinaison que s'établiffent les meilleurs rapports qu'on peut donner à la pluralité pour prononcer.

CHAPITRE III.

Des Elections.

A L'ÉGARD des élections du prince & des magiftrats, qui font, comme je l'ai dit, des actes complexes, il y a deux voies pour y procéder, favoir, le choix & le fort. L'une & l'autre ont été employées en diverfes Républiques, & l'on voit encore actuellement un mélange très-compliqué des deux dans l'élection du Doge de Venise.

Le fuffrage par le fort, dit Montefquieu, eft de la nature de la démocratie. J'en conviens, mais comment cela? Le fort, continue-t-il, eft une façon d'élire qui n'afflige perfonne; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de fervir la patrie. Ce ne font pas là des raifons.

Si l'on fait attention que l'élection des chefs eft une fonction du Gouvernement & non de la fouveraineté, on verra pourquoi la voie du fort est plus dans la nature de la

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