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aux fonnêtes par le peuple de Berne, & le duc de Beaufort à la difcipline par les Genevois.

Mais quand le noeud focial commence à fe relâcher & l'Etat à s'affoiblir ; quand les intérêts particuliers commencent à fe faire fentir & les petites fociétés à influer fur la grande, l'intérêt commun s'altere & trouve des oppofans, l'unanimité ne regne plus dans les voix, la volonté générale n'est plus la volonté de tous, il s'éleve des contradictions, des débats, & le meilleur avis ne passe point fans difpute.

Enfin quand l'Etat près de sa ruine ne subfifte plus que par une forme illufoire & vaine, & que le lien social est rompu dans tous les cœurs, que le plus vil intérêt fe pare effrontément du nom facré du bien public; alors la volonté générale devient muette; tous guidés par des motifs fecrets n'opinent pas plus comme citoyens que fi l'Etat n'eût jamais existé, & l'on fait passer fauffement fous le nom de loix, des décrets iniques qui n'ont pour but que l'intérêt particulier.

S'enfuit-il de-là que la volonté générale

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foit anéantie ou corrompue? Non, elle est toujours conftante, inaltérable & pure ; mais elle eft fubordonnée à d'autres qui l'emportent fur elle. Chacun, détachant fon intérêt de l'intérêt commun, voit bien qu'il ne peut l'en féparer tout-à-fait, mais fa part du mal public ne lui paroît rien, auprès du bien exclufif qu'il prétend s'approprier. Ce bien particulier excepté, il veut le bien général pour fon propre intérêt tout auffi fortement qu'aucun autre. Même en vendant fon fuffrage à prix d'argent il n'éteint pas en lui la volonté générale, il l'élude. La faute qu'il commet eft de changer l'état de la question & de répondre autre chofe que ce qu'on lui demande : en forte qu'au lieu de dire par fon fuffrage, il est avantageux à l'Etat, il dit, il est avantageux à tel homme ou à tel parti tel ou tel avis passe. Ainfi la loi de l'ordre public dans les affsemblées n'est pas tant d'y maintenir la volonté générale, que de faire qu'elle foit toujours interrogée & qu'elle réponde toujours.

que

J'aurois ici bien des réflexions à faire fur le fimple droit de voter dans tout acte de fouveraineté ; droit que rien ne peut ôter aux

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citoyens ; & fur celui d'opiner, de proposer, de divifer, de difcuter, que le Gouvernement a toujours grand soin de ne laisser qu'à fes membres : mais cette importante matiere demanderoit un traité à part, & je ne puis tout dire dans celui-ci.

CHAP. II.

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CHAPITRE II.

Des Suffrages.

ON voit par le chapitre précédent que la

maniere dont fe traitent les affaires générales peut donner un indice affez fûr de l'état actuel des mœurs, & de la fanté du Corps politique. Plus le concert regne dans les affemblées, c'est-à-dire, plus les avis approchent de l'unanimité, plus auffi la volonté générale eft dominante; mais les longs débats, les diffentions, le tumulte, annoncent l'afcendant des intérêts particuliers & le déclin de l'Etat.

Ceci paroît moins évident quand deux ou plufieurs ordres entrent dans fa conftitution, comme à Rome les Patriciens & les Plébéïens, dont les querelles troublerent fouvent les Comices, même dans les plus beaux tems de la République ; mais cette exception eft plus apparente que réelle car alors par le vice inhérent au Corps politique on a, pour ainsi dire, deux Etats en un. Ce qui n'eft pas

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vrai des deux enfemble, eft vrai de chacun féparément. Et en effet, dans les tems mêmes les plus orageux, les plébiscites du peuple, quand le Sénat ne s'en mêloit pas, paffoient toujours tranquillement & à la grande pluralité des fuffrages: les citoyens n'ayant qu'un intérêt, le peuple n'avoit qu'une volonté.

A l'autre extrémité du cercle l'unanimité revient. C'eft quand les citoyens tombés dans la fervitude n'ont plus ni liberté ni volonté. Alors la crainte & la flatterie changent en acclamations les fuffrages; on ne délibere plus, on adore ou l'on maudit. Telle étoit la vile maniere d'opiner du Sénat fous les Empereurs. Quelquefois cela fe faifoit avec des précautions ridicules. Tacite obferve que fous Othon les fénateurs accablant Vitellius d'exécrations, affectoient de faire en même tems un bruit épouvantable, afin que fi par hafard il devenoit le maître, il ne pût favoir ce que chacun d'eux avoit dit.

De ces diverfes confidérations naiffent les maximes fur lesquelles on doit régler la maniere de compter les voix & de comparer les avis, felon que la volonté générale eft plus ou moins facile à connoître, & l'Etat plus ou moins déclinant,

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