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« Pour moi, monseigneur, qui vous conçois encore beaucoup mieux, je vous médite sans cesse dans mon « repos; je m'occupe tout entier de votre idée dans les longues heures de notre loisir; je crie continuelle«ment, le grand personnage! et si je souhaite de revi« vre, e'est moins pour revoir la lumiere, que pour << jouir de la souveraine félicité de vous entretenir, et « de vous dire de bouche avec combien de respect je « suis de toute l'étendue de mon ame,

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MONSEIGNEUR,

votre très humble et très obeissant serviteur, BALZAC.

Je ne sais, monseigneur, si ces violentes exagérations vous plairont, et si vous ne trouverez point que le style de Balzac s'est un peu corrompu dans l'autre monde. Quoi qu'il en soit, jamais, à mon avis, il n'a prodigué ses hyperboles plus à propos. C'est à vous d'en juger. Mais auparavant, lisez, je vous prie, la lettre de Voiture.

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MONSEIGNEUR,

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Aux champs élysées, le 2 juin.

«BIEN que nous autres morts ne prenions pas grand intérêt aux affaires des vivants, et ne soyons « pas trop portés à rire, je ne saurois pourtant m'empêcher de me réjouir des grandes choses que vous « faites au-dessus de notre tête. Sérieusement, votre << dernier combat fait un bruit de diable aux enfers : il « s'est fait entendre dans un lieu où l'on n'entend pas Dieu tonner, et a fait connoître votre gloire dans un

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pays où l'on ne connoît point le soleil. Il est venu ici un bon nombre d'Espagnols qui y étoient, et qui nous en ont appris le détail. Je ne sais pas pourquoi on veut faire passer les gens de leur nation pour fanfarons. Ce sont, je vous assure, de fort bonnes gens; et le roi, depuis quelque temps, nous les envoie ici fort humbles et fort honnêtes. Sans mentir, monseigneur, vous avez bien fait des vôtres depuis peu. A voir de quel air vous courez la mer Méditerranée, il semble qu'elle vous appartienne tout entiere. Il n'y a pas à l'heure qu'il est, dans toute son étendue, un seul corsaire en sûreté; et, pour peu que cela dure, je ne vois pas de quoi vous voulez que Tunis et Alger subsistent. Nous avons ici les César, les Pompée et les Alexandre. Ils trouvent tous que « vous avez assez attrapé leur air dans votre maniere de combattre. Sur-tout César vous trouve très César. Il n'y a pas jusqu'aux Alaric, aux Genséric, anx Théodoric, et à tous ces autres conquérants en IC, qui ne parlent fort bien de votre action; et dans le Tartare même, je ne sais si ce lien vous est connu, il n'y a point de diable, monseigneur, qui ne con« fesse ingénument qu'à la tête d'une armée vous êtes beaucoup plus diable que lui. C'est une vérité dont vos ennemis tombent d'accord. Néanmoins, à voir « le bien que vous avez fait à Messine, j'estime pour moi que vous tenez plus de l'ange que du diable, hors que les anges ont la taille un peu plus légere que vous, et n'ont point le bras en écharpe. Raillerie à part, l'enfer est extrêmement déchaîné en votre faveur. On ne trouve qu'une chose à redire à votre conduite, c'est le peu de soin que vous prenez quelquefois de votre vie. On vous aime assez en ce paysci pour souhaiter de ne vous y point voir. Croyez « moi, monseigneur, je l'ai déja dit en l'autre monde, c'est fort peu de chose qu'un demi-dieu quand il est

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« mort. il n'est rien tel que d'être vivant. Et pour moi qui sais maintenant par expérience ce que c'est « que de ne plus être, je fais ici la meilleure contenance que je puis; mais, à ne vous rien celer, je << meurs d'envie de retourner au monde, ne fût-ce « que pour avoir le plaisir de vous y voir. Dans le dessein même que j'ai de faire ce voyage, j'ai déja envoyé plusieurs fois chercher les parties de mon « corps pour les rassembler; mais je n'ai jamais pu «ravoir mon cœur, que j'avois laissé en partant à ces sept maîtresses que je servois, comme vous savez, si « fidèlement toutes sept à-la-fois. Pour mon esprit, « moins que vous ne l'ayez, on m'a assuré qu'il n'étoit plus dans le monde. A vous dire le vrai, je vous « sonpçonne un peu d'en avoir au moins l'enjoue« ment; car on m'a rapporté ici quatre ou cinq mots de votre façon que je voudrois de tout mon cœur « avoir dits, et pour lesquels je dounerois volontiers «<le panégyrique de Pline (1), et deux de mes meil«<leures lettres. Supposé donc que vous l'ayez, je << vous prie de me le renvoyer au plutôt ; car, en vẻrité, vous ne sauriez croire quelle incommodité c'est « que de n'avoir pas tout son esprit, sur-tout lors« qu'on écrit à un homme comme vous. C'est ce qui << fait que mon style aujourd'hui est tout changé. Sans << cela vous me verriez encore rire comme autrefois « avec mon compere le Brochet, et je ne serois pas réduit à finir ma lettre trivialement, comme je fais, « en vous disant que je suis,

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MONSEIGNEUR,

votre très humble et très obéissant

serviteur, VOITURE.

(1) Voiture se déclaroit hautement contre ce panégy

Voilà les deux lettres telles que je les ai reçues. Je vous les envoie écrites de ma main, parceque vous auriez eu trop de peine à lire les caracteres de l'autre monde, si je vous les avois envoyées en original. Nallez donc pas vous figurer, monseigneur, que ce soit ici un par jeu d'esprit et une imitation du style de ces deux écrivains. Vous savez bien que Balzac et Voiture sont deux hommes inimitables. Quand il seroit vrai pourtant que j'aurois eu recours à cette invention pour vous divertir, aurois-je si grand tort? Et ne devroit-on pas au contraire m'estimer d'avoir trouvé cette adresse pour vous faire lire des louanges que vous n'auriez jamais souffertes autrement? En un mot, pourrois-je mieux faire voir avec quelle sin. cérité et quel respect je suis,

MONSEIGNEUR,

votre, etc.

A MONSEIGNEUR LE MARECHAL

DUC DE VIVONNE,

A MESSINE

ONSEIGNEUR,

SANS une maladie très violente qui m'a tourmenté pendant quatre mois, et qui m'a mis très long-temps dans un état moins glorieux à la vérité, mais presque aussi périlleux que celui où vous êtes tous les jours, vous ne vous plaindriez pas de ma paresse.

Avant ce temps-là je me suis donné l'honneur de vous écrire plusieurs fois; et si vous n'avez pas reçu mes lettres, c'est la faute des couriers, et non pas la mienne. Quoi qu'il en soit, me voilà guéri; je suis en état de réparer mes fautes, si j'en ai commis quelques unes; et j'espere que cette lettre-ci prendra une route plus sûre que les autres. Mais dites-moi, monseigneur, sur quel ton faut-il maintenant vous parler? Je savois assez bien autrefois de quel air il falloit écrire à MONSEIgneur de Vivonne, GÉNÉRAL DES GALERES DE FRANCE; mais oseroit-on se familiariser de même avec le libérateur de Messine, le vainqueur de Ruyter, le destructeur de la flotte espagnole? Seriezvous le premier héros qu'une extrême prospérité ne pût enorgueillir? Etes-vous encore ce même grand seigneur qui venoit souper chez un misérable poëte, et y porteriez-vous sans honte vos nouveaux lauriers au second et au troisieme étage? Non, non, monseigneur, je n'oserois plus me flatter de cet honneur. Ce seroit assez pour moi que vous fussiez de retour à Paris; et je me tiendrois trop heureux de pouvoir grossir les pelotons de peuple qui s'amasseroient dans les rues pour vous voir passer. Mais je n'oserois pas même espérer cette joie. Vous vous êtes si fort habitné à gagner des batailles, que vous ne voulez plus faire d'autre métier. Il n'y a pas moyen de vous tirer de la Sicile. Cela accommode fort toute la France, mais cela ne m'accommode point du tout. Quelque belles que soient vos victoires, je n'en saurois être content, puisqu'elles vous rendent d'autant plus uécessaire au pays où vous êtes, et qu'en avançant vos conquêtes elles reculent votre retour. Tout passionné que je suis pour votre gloire, je chéris encore plus votre personne, et j'aimerois encore mieux vous entendre parler ici de Chapelain et de Quinault, que d'entendre la renommée parler si avantageusement

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