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PLUTON.

Quels vers, juste ciel! Je n'en puis pas entendre prononcer un, que ma tête ne soit prête à se fendre.

LA PUCELLE.

« De fleches toutefois aucune ne l'atteint;

« Ou pourtant l'atteignant, de son sang ne se teint. »

PLUTON.

Encore! J'avoue que de toutes les héroïnes qui ont paru en ce lieu, celle-ci me paroît beaucoup la plus insupportable. Vraiment elle ne prêche pas la tendresse. Tout en elle n'est que dureté et que sécheresse ; et elle me paroît plus propre à glacer l'ame qu'à inspirer l'amour.

DIOGENE.

Elle en a pourtant inspiré au vaillant Dunois.

PLUTON.

Elle! inspirer de l'amour au cœur de Dunois!

Oui assurément.

DIOGENE.

Au grand cœur de Dunois, le plus grand de la terre,
Grand cœur, qui dans lui seul deux grands amours enserre.

Mais il faut savoir quel amour. Dunois s'en expli-
ainsi lui-même en un endroit du poëme fait pour
que
cette merveilleuse fille :

Pour ces célestes yeux, pour ce front magnanime,
Je n'ai que du respect, je n'ai que de l'estime :
Je n'en souhaite rien; et si j'en suis amant,
D'un amour sans desir je l'aimé seulement.
Et soit. Consumons-nous d'une flamme si belle
Brûlons en holocauste aux yeux de la Pucelle.

Ne voilà-t-il pas une passion bien exprimée? et le mot d'holocauste n'est-il pas tout-à-fait bien placé dans la bouche d'un guerrier comme Dunois ?

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PLUTON.

Sans doute; et cette vertueuse guerriere peut in= nocemment, avec de tels vers, aller tout de ce pas, si elle veut, inspirer un pareil amour à tous les héros qui sont dans ces galeries. Je ne crains pas que cela leur amollisse l'ame. Mais du reste qu'elle s'en aille : car je tremble qu'elle ne me veuille encore réciter quelques uns de ses vers, et je ne suis pas résolu de les entendre. La voilà enfin partie. Je ne vois plus ici aucun héros, ce me semble. Mais non, je me trompe : en voici encore un qui demeure immobile derriere cette porte. Vraisemblablement il n'a pas entendn que je voulois que tout le monde sortit. Le cou= nois-tu, Diogene?

DIOGEN E.

C'est Pharamond, le premier roi des François.

PLUTON.

Que dit-il ? il parle en lui-même.

PHARAMOND.

Vous le savez bien, divine Rosemonde, que pour vous aimer je n'attendis pas que j'eusse le bonheur de vous connoître; et que c'est sur le seul récit de vos charmes, fait par un de mes rivaux, que je de= vins si ardemment épris de vous.

PLUTON,

Il semble que celui-ci soit devenu amoureux avant que de voir sa maîtresse.

DIOGEN E.

Assurément il ne l'avoit point vue.

PLUTON.

Quoi! il est devenu amoureux d'elle sur son por= trait ?

DIOGEN E.

Il n'avoit

pas

même v

vu son portrait.

PLUTON.

Si ce n'est là une vraie folie, je ne sais pas ce qui

peut l'être. Mais, dites-moi, vous, amoureux Pharamond, n'êtes-vous pas content d'avoir fondé le plus florissant royaume de l'Europe, et de pouvoir comp ter au rang de vos successeurs le roi qui y regne aujourd'hui? Pourquoi vous êtes-vous allé mal-à-propos embarrasser l'esprit de la princesse Rosemonde?

PHARAMOND.

Il est vrai, seigneur. Mais l'amour.....

PLUTON.

Ho! l'amour! l'amour! Va exagérer, si tu veux, les injustices de l'amour dans mes galeries. Mais pour moi, le premier qui m'en viendra encore parler, je lui donnerai de mon sceptre tout au travers du visage. En voilà un qui entre. Il faut que je lui casse la tête.

MINOS.

Prenez garde à ce que vous allez faire. Ne voyezvous pas que c'est Mercure?

FLUTON.

Ah! Mercure, je vous demande pardon. Mais ne venez-vous point aussi me parler d'amour?

MERCURE

Vous savez bien que je n'ai jamais fait l'amour pour moi-même. La vérité est que je l'ai fait quel quefois pour mon pere Jupiter, et qu'en sa faveur autrefois j'endormis si bien le bon Argus, qu'il ne s'est jamais réveillé. Mais je viens vous apporter une • bonne nouvelle. C'est qu'à peine l'artillerie que je vous amene a paru, que vos ennemis se sont rangés dans le devoir. Vous n'avez jamais été roi plus paiz sible de l'enfer que vous l'êtes.

PLUTON.

Divin messager de Jupiter, vous m'avez rendu la vie. Mais, au nom de notre proche parenté, dites= moi, vous qui êtes le dieu de l'éloquence, comment vous avez souffert qu'il se soit glissé dans l'un et

dans l'autre monde une si impertinente maniere de parler que celle qui regne aujourd'hui, sur-tout en ces livres qu'on appelle romans; et comment vous avez permis que les plus grands héros de l'antiquité parlassent ce langage.

MERCURE.

Hélas! Apollon et moi, nous sommes des dieux qu'on n'invoque presque plus; et la plupart des écrivains d'aujourd'hui ne connoissent pour leur véritable patron qu'un certain Phébus, qui est bien le plus impertinent personnage qu'on puisse, voir, Du reste, je viens vous avertir qu'on vous a joué une piece.

PLUTON.

Une piece à moi' Comment?

MERCURE.

Vous croyez que les vrais héros sont venus ici?

PLUTON.

Assurément, je le crois, et j'en ai de bonnes preupuisque je les tiens encore ici tous renfermés dans les galeries de mon palais.

ves,

MERCURE.

Vous sortirez d'erreur quand je vous dirai que c'est une troupe de faquins, ou plutôt de fantômes chimériques, qui, n'étant que de fades copies de beaucoup de personnages modernes, ont eu pour= tant l'audace de prendre le nom des plus grands héros de l'antiquité, mais dont la vie a été fort courte, et qui errent maintenant sur les bords du Cocyte et du Styx. Je m'étonne que vous y ayez été trompé. Ne voyez-vous pas que ces gens-là n'ont nul carac= tere de héros? Tout ce qui les soutient aux yeux des hommes, c'est un certain oripeau et un faux clinquant de paroles, dont les ont habillés ceux qui ont écrit leur vie, et qu'il n'y a qu'à leur ôter pour les faire paroître tels qu'ils sont. J'ai même ameng

des champs élysées, en venant ici, un François pour les reconnoître quand ils seront dépouillés: car je me persuade que vous consentirez sans peine qu'ils le soient.

PLUTON.

J'y consens si bien que je veux que sur-le-champ la chose ici soit exécutée. Et pour ne point perdre de temps, gardes, qu'on les fasse de ce pas sortir tons de mes galeries par les portes dérobées, et qu'on les amene tous dans la grande place. Pour nous, allons nons mettre sur le balcon de cette fenêtre basse, d'où nous pourrons les contempler et leur parler tout à notre aise. Qu'on y porte nos sieges. Mercure, mettez-vous à ma droite ; et vous, Minos, à ma gauche ; et que Diogene se tienne derriere nous.

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Accourez donc, vous tous, fideles exécuteurs de mes volontés, spectres, larves, démons, furies, milices infernales que j'ai fait assembler. Qu'on m'entoure tous ces prétendus héros, et qu'on me les dés pouille.

CYRUS.

Quoi! vous ferez dépouiller un conquérant comme moi?

Hé! de grace,

passiez le pas.

PLUTON.

généreux Cyrus, il faut que vous

HORATIUS COCLÈS.

Quoi! un Romain comme moi, qui a défendu lui seul un pont contre toutes les forces de Porsenna,

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