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VIE

DE

Boileau desPRÉAUX,

PAR M. DAUNOU,

NOUVELLEMENT REVUE Et augmentée par son auteur.

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La notice qu'on va lire présentera, dans un ordre à peu près chronologique, plusieurs traits de la vie de Boileau, et pourra d'ailleurs tenir lieu des recueils intitulés Boloana. Ce nom, qui conviendroit aussi aux quarante notes qui suivent l'Éloge de Despréaux par d'Alembert, appartient, depuis 1740, à une compilation faite par Monchesnai; et l'on a, sous ce même titre de Boloana, quelques pages d'anecdotes, placées par Cizeron-Rival, en 1770, à la suite de la Correspondance de Boileau et de Brossette.

Ces trois recueils de Monchesnai, de Cizeron-Rival et de d'Alembert, les Éloges de Boileau par Valincourt et par de Boze, les ouvrages même de ce poëte, sa Vie par Desmaiseaux, sa Vie abrégée par Goujet, les Mémoires de Racine fils sur la vie de son père, et le Commentaire de Brossette: telles sont les sources qui vont nous fournir ici des détails historiques. Nous ferons aussi quelque usage de la Correspondance de J.-B. Rousseau avec Brossette, et même des Récréations littéraires que Cizeron-Rival a publiées en 1765, et dans lesquelles il s'agit fort souvent de Despréaux. Quant aux lettres adressées par ce poëte lui-même à Brossette et à Racine,

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comme nous les imprimons tout entières dans le dernier volume de cette édition, nous n'en devons extraire que fort peu d'articles en celui-ci.

Les différentes sources qui viennent d'être indiquées ne sont pas toujours très pures; nous n'y puisons qu'avec réserve; et quoique nous ayons écarté les faits les plus invraisemblables, nous ne prétendons point garantir tous ceux qu'il a fallu conserver pour que cette partie de notre travail ne parût pas trop incomplète. Les anecdotes que l'on ne tient que de Brossette ne sont pas toutes bien avérées; et l'on a remarqué des inexactitudes même dans les mémoires de Racine fils.

I.

NAISSANCE DE BOILEAU DESPRÉAUX, SA FAMILLE, SA JEUNESSE, SES ÉTUDES.

Nicolas Boileau Despréaux naquit le 1er novembre 1636. Il a souvent parlé de son âge comme s'il étoit né en 1637; il en usoit ainsi pour se conformer à ce qu'il avoit dit un jour à Louis XIV: « Je suis né un an avant votre majesté, « pour annoncer les merveilles de son règne.

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Selon Louis Racine, Despréaux est né à Crône, village près de Villeneuve-Saint-Georges; et, selon d'autres, à Paris, dans la maison et dans la chambre même où la Satire Ménippée avoit été composée. Cette maison nous est indiquée tantôt comme faisant le coin du quai des Orfèvres et de la rue de Harlay, tantôt comme située dans la petite rue qui va de ce même quai à l'hôtel du premier président; et l'on ajoute que c'étoit précisément là

que demeuroient le lieutenant-criminel Tardieu et sa femme, lorsqu'ils furent assassinés en 1665.

Louis Racine dit que Boileau fut baptisé à Crône, et

que ce village ayant été consumé par un incendie, on ne retrouva plus les registres de l'église, de telle sorte la naissance du poëte ne put être constatée que par le registre domestique de son père. Au contraire, l'un de ses frères écrit à Brossette que le satirique a reçu le baptême dans la Sainte-Chapelle du Palais.

que

Son surnom de Despréaux vient, suivant Racine fils, d'un petit pré dans le village de Crône. Du moins on s'accorde à dire que Nicolas Boileau étoit le onzième enfant de Gilles Boileau, greffier du conseil de la grand'chambre. Ce greffier caractérisoit ainsi trois de ses fils: « Gilot est un glorieux, Jaco un débauché; pour Colin, «< c'est un bon garçon qui ne dira jamais de mal de per<< sonne. >> Or Colin est devenu le satirique Despréaux; Jacques le débauché fut chanoine; et Gilot le glorieux fut de l'Académie françoise vingt-cinq ans avant Nicolas.

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Despréaux disoit, en parlant de son frère Gilles : « J'avois un frère aîné qui faisoit des vers. Quand il vit << mes premières satires, il en conçut une étrange ja«lousie: Ce petit drôle, s'écrioit-il, s'avise de faire des « vers. Le généalogiste d'Hozier a dit de même de son jeune frère : ce petit coquin s'avise de faire des généalogies. » Gilles étoit né en 1631; il mourut en 1669. Le chanoine Jacques Boileau aimoit à rire et à faire rire. « Mon frère ne pouvoit manquer d'être docteur, « disoit Despréaux; s'il ne l'avoit pas été de Sorbonne, «< il auroit pu l'être de la Comédie italienne. »>

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On rapporte que Jacques et Nicolas ayant eu une dispute fort vive, Nicolas répondit à des amis qui l'exhortoient à se réconcilier avec son frère : « De tout mon " cœur, parce que je me suis possédé; je ne lui ai dit << aucunes sottises: s'il m'en étoit échappé une, je ne « lui pardonnerois de ma vie.

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Les jésuites disoient que les solitaires de Port-Royal faisoient des souliers par pénitence: Je ne sais, répondit Jacques Boileau, s'ils ont fait de mauvais souliers, mais je sais qu'ils vous portoient de bonnes bottes. Ce joyeux et savant abbé, né un an avant son frère Nicolas, vécut jusqu'en 1716.

Voilà trois fils du greffier Gilles Boileau qui ont cultivé les lettres: un autre, nommé Jérôme, qui est le second dans l'ordre des naissances, fut greffier après son père, depuis 16531 jusqu'en 1679. C'est la date de la mort de Jérôme, chez qui Despréaux demeura jusqu'alors, et qui étoit fort adonné au jeu : il avoit une femme ridicule, à laquelle le satirique paroît avoir fait allusion dans la dixième satire.

On connoît un autre frère de Despréaux, mais né d'un premier lit, et appelé Pierre Boileau - Puimorin. Celui-là ne fit point de vers, mais il essaya un jour d'en faire. Il s'étoit avisé de critiquer la Pucelle devant l'auteur de ce poëme. C'est bien à vous d'en juger, lui dit Chapelain, vous, qui ne savez pas lire! Je ne sais que trop lire, repartit Puimorin, depuis que vous faites imprimer. Puimorin fut si content de cette réponse, qu'il voulut la versifier: comme il n'en pouvoit venir à bout,

I Brossette dit 1657; mais Boileau, dans son épître X, s'exprime ainsi :

Dès le berceau perdant une fort jeune mère,
Réduit seize ans après à pleurer mon vieux père.

Or la mère de Boileau, Anne Denielle, mourut, âgée de 23 ans, en 1637. Si le père avoit vécu jusqu'en 1657, Despréaux auroit mis, sans difficulté, dans son vers, vingt ans au lieu de seize. Il se pourroit néanmoins que ce nombre de seize ne fût pas très précis, et qu'il tînt la place de 17 ou 18.

Racine et Despréaux s'en chargèrent, et firent cette épigramme :

Froid, sec, dur, rude auteur, digne objet de satire,

De ne savoir pas lire oses-tu me blâmer?

Hélas! pour mes péchés, je n'ai su que trop lire

Depuis que tu fais imprimer.

de

Racine demandoit qu'on changeât le premier hémistiche du second de ces vers, et qu'on mît de mon peu lecture. Molière soutint avec raison que la première manière étoit plus naturelle.

Invité à dîner chez de riches marchands juifs, Paimorin vouloit y mener avec lui son frère Despréaux qui répondit: Je ne veux point aller manger chez des coquins qui ont crucifié notre Seigneur. Ah! répliqua Puimorin, pourquoi m'en faites-vous souvenir lorsque le dîner est prêt et que ces pauvres gens m'attendent?

Despréaux disoit de lui : Mon frère a une joie continue avec des redoublements.

Ce Puimorin mourut pourtant de tristesse, si le récit qu'on en fait mérite quelque confiance. Il avoit été convenu entre lui et quelques uns de ses amis que le premier qui passeroit de vie à trépas viendroit donner aux survivants des nouvelles de l'autre monde. L'un d'eux étant mort peu de temps après, Puimorin crut le voir apparoître au milieu d'une nuit; et la frayeur qu'il en ressentit lui laissa une mélancolie profonde qui abrégea ses jours.

La jeunesse de Despréaux ne fut pas très heureuse : Il avoit perdu sa mère dès 1637. On lui donna pour logement dans la maison paternelle une guérite au dessus du grenier, et, quelque temps après, on l'en fit descendre pour le loger dans le grenier même; ce qui lui

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