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cueilli les essais de Despréaux ; et d'ailleurs, dit d'Olivet, il étoit l'intime ami de Gilles Boileau: « Dans les brouil« leries qui survenoient entre les deux frères, il prenoit toujours le parti de l'aîné, et n'oublioit rien pour « susciter des chagrins domestiques au cadet. » Mais c'étoit encore plus le mauvais goût et les mauvais vers que le satirique ne pouvoit pardonner à l'abbé Cotin.

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Peut-on s'en étonner lorsqu'on voit que Boileau, malgré son admiration pour le génie tragique de P. Corneille, s'est permis de critiquer assez vivement certains vers et même certaines pièces de ce grand poëte?

Il appeloit galimatias simple celui que l'auteur seul comprenoit ; galimatias double, celui que l'auteur même n'entendoit pas; et il citoit pour exemple du second genre ces quatre vers de P. Corneille dans Tite et Bérénice :

Faut-il mourir, madame? et, si proche du terme,
Votre illustre inconstance est-elle encor si ferme,
Que les restes d'un feu que j'avois cru si fort,
Puissent dans quatre jours se promettre ma mort ?

Thomas Corneille n'étoit pas fort estimé de Boileau. Ah! disoit celui-ci, pauvre Thomas! tes vers, comparés à ceux de ton aîné, montrent bien que tu n'es qu'un cadet de Normandie.

On lit dans le Menagiana que Boileau a plus d'une fois déclaré que si les rondeaux de Benserade eussent paru avant 1674, il n'auroit eu garde de parler de lui avec éloge, comme il l'a fait à la fin du quatrième chant de l'Art poétique. Saint-Amand, disoit Boileau, s'est formé du mauvais de Régnier, comme Benserade du mauvais de Voiture.

Despréaux, qui n'a pas toujours bien placé ses éloges,

C.

quoiqu'il n'en fût point prodigue, a quelquefõis jugé fort sévèrement ses amis. Il assuroit, dit Louis Racine, que Chapelle avoit acquis à bon marché sa réputation, et qu'excepté son petit Voyage, ses vers étoient bien médiocres.

L'abbé de La Chambre, curé de Saint-Barthélemi,

n'avoit fait, en toute sa vie, qu'un seul vers; il fit confidence de ce vers à Despréaux, qui lui dit: Ah! que la rime est belle!

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Segrais, l'un des auteurs que Boileau a trop loués, auroit été bien ingrat, s'il falloit s'en tenir à ce qu'on lui fait dire dans le Segraisiana. « Racine et Despréaux « n'estiment que leurs vers; ils ne louent personne, et il « ne paroît pas un madrigal qu'ils ne censurent. Mais, • ôtez-les de la poésie, ils sont muets; car que savent-ils << autre chose que rimer? - Madame de La Fayette pré« tendoit que celui qui se met au dessus des autres, quelque esprit qu'il ait, se met au dessous de son esprit. Despréaux est de ces gens-là; il ne sait autre chose que parler de lui et critiquer ce qui n'en est pas. Pourquoi mal parler, comme il a fait, de mademoiselle de Scudéri, dont les vers sont si naturels et si tendres? Ces « vers, qui plaisent à tout le monde, ne sont pas de son goût: c'est qu'il ne sauroit y mordre. Il a encore le dé«< faut de se copier sans cesse, de rebattre toujours la « même chose. » Tâchons de croire, pour l'honneur de Segrais, qu'il n'a point écrit ces sottises.

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Despréaux eut la foiblesse de solliciter et le malheur d'obtenir une défense de représenter la Satire des satires, mauvaise comédie de Boursault qui se vengeoit ainsi, en 1669, des traits lancés, assez mal à propos, contre lui par le satirique. Ils se réconcilièrent en 1685. Boursault étoit alors receveur des tailles à Mont-Luçon:

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il alla trouver Boileau qui étoit venu prendre les eaux de Bourbonne, et lui fit accepter un prêt de deux cents louis. Boileau fut sensible à ce procédé; et, dans les éditions suivantes des satires, il remplaça le nom de Boursault par quelque autre nom de même rime, Hainault, Quinault, Perrault, etc.

Monchesnai, pour montrer l'impartialité de Boileau, lui attribue ces paroles : « Je loue jusqu'à M. Perrault quand il est louable: est-ce bien lui qui a fait ces six « vers que je trouve à la fin d'une préface de ses Pa

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Ils devroient, ces auteurs, demeurer dans leur grec,

Et se contenter du respect

De la gent qui porte férule.

D'un savant traducteur on a beau faire choix :

C'est les traduire en ridicule

Que de les traduire en françois,

Peut-être Despréaux ne faisoit-il cas de ces vers que parce qu'il se plaisoit à y voir un trait de satire contre les traductions de Dacier.

Ne trouvant sur le Théâtre françois de vrai comique que dans Molière, Boileau disoit pourtant de Regnard, qu'il n'étoit pas médiocrement plaisant; mais il traitoit de bouffonneries toutes les pièces de Scarron ; c'est, dit Marmontel, la plus juste application de ces trois mots, Comique, plaisant et bouffon. (Éléments de littérature, tom. V, p. 289.)

Monchesnai se vante d'avoir réconcilié Regnard et Boileau. Regnard, qui avoit fait la satire des Maris en réponse à celle des Femmes, et, depuis, une pièce intitulée le Tombeau de Despréaux, dédia les Ménechmes a l'auteur de l'Art poétique, et lui rendit de grands hom

mages. Despréaux estimoit la versification et les traits comiques de Regnard.

Il prisoit beaucoup moins les satires que Monchesnai lui-même avoit publiées. Ce Monchesnai, auteur du Bolæana, n'étoit pas, dit Racine fils, assez lié avec Boileau pour faire bien un tel recueil. Il vient me voir rarement, disoit le satirique, parce que, lorsqu'il est avec moi, il est toujours embarrassé de son mérite et du mien.

`Régnier Desmarais, Lamotte, Fontenelle et Crébillon qui, comme Monchesnai, ont survécu à Despréaux, avoient été diversement jugés par lui.

Dans une de ses préfaces, Boileau se déclare l'ami de l'abbé Régnier Desmarais, dont il a mis néanmoins l'Édit d'amour au nombre des mauvais livres que les chanoines du Lutrin se jettent à la tête. Il fut, non sans raison, très mécontent d'une traduction en vers du premier livre de l'Iliade, publiée par cet abbé en 1700.Régnier Desmarais se croit un grand homme, disoit-il, parce qu'il a hérité de la grimace de Chapelain.

Despréaux estimoit Lamotte et disoit de lui: C'est dommage qu'il ait été s'encanailler de Fontenelle. Il reprochoit toutefois à Lamotte d'avoir employé dans ses odes des mots techniques trop peu dignes du genre lyrique, tels que strophe, quatrain, etc., et des rimes de bouts-rimés, comme Sphinx, Syrinx, et autres.

On remarquoit un trait contre Fontenelle, le neveu des Corneille, dans une strophe qui devoit être, en 1693, la seconde de l'ode sur Namur, et qui en a été retranchée. Tout le monde connoît l'épigramme de Racine qui finit par ces vers:

Mais quand sifflets prirent commencement...
C'est à l'Aspar du sieur de Fontenelle.

Despréaux et Racine ont passé pour auteurs de la chan

son suivante;

On dit

ADIEUX DE FONTENELLE A LA VILLE DE PARIS.

Adieu, ville peu courtoise

Où je crus être adoré.
Aspar est désespéré.

Le poulailler de Pontoise
Me doit remmener demain
Voir ma famille bourgeoise,
Me doit remmener demain
Un bâton blanc à la main.

Mon aventure est étrange:
On m'adoroit à Rouen;
Dans le Mercure galant

J'avois plus d'esprit qu'un ange.
Cependant je pars demain
Sans argent et sans louange,
Cependant je pars demain

Un bâton blanc à la main.

que

Racine et Boileau avoient couvert la route

de Rouen, où retournoit Fontenelle, de colporteurs

qui chantoient et vendoient cette chanson. Fontenelle a fait contre Boileau cette épigramme :

Quand Despréaux fut sifflé pour son ode,
Ses partisans crioient dans tout Paris :
Pardon, messieurs, le pauvret s'est mépris,
Plus ne loûra, ce n'est pas sa méthode :

Il va draper le sexe féminin;

A son grand nom vous verrez s'il déroge.
Il a paru, cet ouvrage malin ;

Pis ne vaudroit, quand ce seroit éloge.

Des poëtes qui commençoient leur carrière quand Boileau finissoit la sienne, aucun n'a été plus rigou

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