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M. le prince de Conti, ce que tous les hommes ont toujours admiré, et où il admire ce que tous les hom«< mes ont toujours méprisé, la cour et la ville parurent durant quelque temps partagées sur son sujet, car il n'y a point d'opinion si extravagante qui, dans sa nou« veauté, ne s'attire des sectateurs; et comme je l'ai dit autrefois :

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« Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

« Un jour que nous étions dans la galerie (de Versailles), M. Valincour, M. Racine et moi, nous fùmes assaillis par trois ou quatre jeunes gens de la cour, grands admirateurs du fade style de Quinault et des fausses pointes de Benserade. L'un d'eux commença «< par nous demander s'il étoit bien vrai que nous missions ces deux poëtes si fort au dessous d'Homère et de Virgile. C'est, lui dis-je, comme si vous me deman« diez si je préfère les diamans de la couronne à ceux que l'on fait au Temple. Temple. Eh! qu'a donc de si merveilleux cet Homère? me dit un autre. Est-ce d'avoir fait l'éloge des Myrmidons? - Quoi, interrompit un troisième, est-ce qu'Homère a parlé des Myrmidons? Ah, parbleu, voilà qui est plaisant!-Et sur cela toute << la troupe fit un si grand éclat de rire, que je me trouvai hors d'état de répondre. Ce bruit attira à nous un

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grand seigneur, également respectable par son âge, « par son rang et par mille autres qualités. Qu'y a-t-il <«< donc entre vous, messieurs? nous dit-il, je vous trouve « bien émus. C'est, lui dis-je, que ces messieurs « veulent qu'Homère ait été un mauvais poëte, parce qu'il a parlé des Myrmidons.-Vous êtes de plaisantes « gens, leur dit-il, de contredire ces messieurs-là; vous êtes bien heureux qu'ils veuillent vous instruire, et

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⚫ vous ne devez songer qu'à profiter de leurs avis, sans ⚫ vous mêler de critiquer ce qu'ils entendent mieux que ⚫ vous. Ces paroles prononcées d'un air et d'un ton d'au

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torité imposèrent à cette jeunesse, et alors le grand « seigneur, que je regardois déja comme un grand pro« tecteur d'Homère, nous ayant menés tous trois dans « l'embrasure d'une fenêtre, et prenant un air plus grave: « Vous voyez, dit-il, comme j'ai parlé à ces jeunes genslà, et l'on ne sauroit trop réprimer les airs décisifs qu'ils prennent en toute occasion sur les choses qu'ils << savent le moins; mais, dans le fond, vous autres, dites« moi, est-il vrai que cet Homère ait parlé de Myrmidons « dans son poëme? — Vraiment, monsieur, lui dis-je, il fallait bien qu'il en parlât; c'étoient les soldats d'Achille, ⚫ et les plus vaillants de l'armée des Grecs. — Hé bien, « me dit-il, voulez-vous que je vous parle franchement? Il a fait une sottise. - Comment donc, monsieur, est«< ce qu'on en feroit une si, dans une histoire du roi, on parloit du régiment de Champagne ou de celui de Picardie?-Oh! je sais bien, dit-il, que vous ne manquerez jamais de réponse: vous avez tous beaucoup d'esprit assurément, et personne ne vous le con« teste; mais vous êtes entêtés de vos opinions, et vous « ne vous rendez jamais à celles d'autrui; et c'est aussi «< ce qui vous fait des ennemis. Pour moi, je ne me pique « pas d'être savant, mais il y a assez long-temps que je « suis à la cour pour connoître ce qui est de son goût. Le poëme d'Homère, n'est-ce pas un ouvrage sérieux? - Très sérieux, lui dis-je, et même tragique. - Et «< c'est en cela, me dit-il, que sa sottise en est encore plus grande d'avoir été fourrer là des Myrmidons: si « Scarron, par exemple, en avoit parlé dans ses vers ou << dans le Roman comique, cela eût été à merveille et

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« fort à sa place; mais dans un ouvrage sérieux, je vous « le répète encore, messieurs, malgré tout votre entête<< ment, cela est tout-à-fait ridicule, et l'on a raison de s'en moquer. J'avoue que la liberté satirique fut sur le point d'éclater contre un discours si contraire au bon sens ; et il me seroit peut-être échappé quelque sottise plus grande assurément que celle d'Homère, si, heureuse<< ment pour moi, le roi ne fût sorti pour aller à la messe. Le grand seigneur nous quitta brusquement pour suivre. »

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Quelqu'un disoit à Boileau: Je lis maintenant un auteur qui est bien mon homme, c'est Démosthène. Si c'est votre homme, repartit Boileau, ce n'est pas le mien, il me fait tomber la plume des mains: toutes les fois que je lis sa harangue pour la couronne, je voudrois n'avoir rien écrit.

Térence est bien supérieur à Plaute, disoit Boileau; toutes les expressions de Térence vont au cœur; il ne cherche point à faire rire, ce qu'affectent surtout les autres comiques; il ne s'étudie qu'à dire des choses raisonnables, et tous ses termes sont dans la nature, qu'il peint admirablement. Les valets qu'il introduit sur la scène ne sont pas, comme dans Plaute, toujours sûrs du succès de leurs stratagèmes; les dénouements ne sont pas prévus dès les premières scènes : il faut qu'un incident vraisemblable, mais inattendu, qu'une reconnaissance naturelle vienne au secours du valet dont la prudence a été trompée. Si l'on peut s'en rapporter à Monchesnai, Despréaux ajoutoit que Térence plus parfait que Molière savoit mieux s'arrêter à propos et ne point dépasser la mesure. Il seroit triste que Boileau pas reconnu que son ami Molière étoit fort supérieur à Térence dans presque toutes les parties de l'art

n'eût

comique. Mais il y a malheureusement dans le troisième chant de l'Art poétique des vers qui sembleroient confirmer la relation de Monchesnai.

Boileau ne révéroit pas sans distinction toute l'antiquité; on dit, par exemple, qu'il ne voyoit dans la vie de Pomponius-Atticus, par Cornélius-Népos, que l'éloge puéril d'un très petit personnage.

Le jésuite Hardouin venoit de soutenir que plusieurs livres attribués à d'anciens auteurs grecs et latins avoient été fabriqués par des moines du douzième et du treizième siècle. Je ne sais ce qui en est, disoit Boileau; mais, quoique je n'aime pas les moines, je n'aurois pas été fâché de vivre avec frère Horace, frère Juvénal, dom Virgile et dom Cicéron.

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Savez-vous, demandoit Boileau, pourquoi les anciens ont si peu d'admirateurs? C'est parce que les trois quarts, tout au moins, de ceux qui les ont traduits étoient des ignorants ou des sots. Madame de La Fayette, la femme de France qui avoit le plus d'esprit, et qui écrivoit le mieux, comparoit un sot traducteur à un la' quais que sa maîtresse envoie faire compliment à quelqu'un. Ce que sa maîtresse lui aura dit en termes polis, il va le rendre grossièrement; il l'estropie.... Voilà la plus parfaite image d'un mauvais traducteur. Mais ce n'est pas même assez qu'un traducteur ait de l'esprit, s'il n'a la sorte d'esprit de son original. Car Tourreil n'est pas un sot à beaucoup près, et cependant quel monstre que son Démosthène! je dis monstre, parce qu'en effet c'est un monstre qu'un homme démesurément grand et bouffi. Un jour que Racine étoit à Auteuil chez moi, Tourreil y vint et nous consulta sur un endroit qu'il avoit traduit de cinq ou six façons, toutes moins naturelles et plus guindées les unes que les autres. Ah, le

bourreau! il fera tant qu'il donnera de l'esprit à Démosthène, me dit Racine tout bas. Ce qu'on appelle esprit dans ce sens-là, c'est précisément l'or du bon sens converti en clinquant. » D'Olivet, qui rapporte ce discours de Boileau, l'avoit écouté avec une attention si profonde,. qu'il se croit sûr de l'avoir rendu sans aucune alté

ration.

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Le travail de la traduction, dit encore d'Olivet, est « une riche mine de principes et d'idées, et une excellente « école dans l'art d'écrire : c'étoit l'avis de Despréaux. »>

V.

OPINIONS DE BOILEAU SUR PLUSIEURS ÉCRIVAINS Modernes. SES QUERELLES AVEC quelques uns.

Despréaux avoit su apprécier les Essais de Montaigne; il ne partageoit point les préventions des solitaires de Port-Royal contre cet admirable livre : c'étoit l'un de ceux qu'il lisoit avec le plus de délices.

Il a contrefait avec un bonheur extrême l'emphase de Balzac et l'afféterie de Voiture. Il les citoit l'un et l'autre pour montrer qu'on ne doit pas juger du caractère moral des auteurs par leurs écrits : « Balzac, disoit-il, feroit peur à pratiquer par l'affectation de son style; c'est un homme qui commence une lettre par ces mots : Votre abondance est la cause de ma disette; au lieu que Voiture feroit regretter à ses lecteurs de n'avoir pas vécu avec lui. On m'a cependant assuré que la société de Balzac, loin d'être épineuse, étoit remplie de douceur et d'agrément; tandis que Voiture, accoutumé à courtiser des altesses, faisoit le souverain avec ses égaux. Ils ne se ressembloient que par le travail que leur coûtoient

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