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Fend les flots d'auditeurs pour aller à sa chaire;
Sofal1 est le phénix des esprits relevés;

Perrin 1... Bon, mon esprit! courage! poursuivez.
Mais ne voyez-vous pas que leur troupe en furie
Va prendre encor ces vers pour une raillerie?
Et Dieu sait aussitôt que d'auteurs en courroux,
Que de rimeurs blessés s'en vont fondre sur vous!
Vous les verrez bientôt, féconds en impostures,
Amasser contre vous des volumes d'injures,
Traiter en vos écrits chaque vers d'attentat,
Et d'un mot innocent faire un crime d'état 2.
Vous aurez beau vanter le roi dans vos ouvrages,
Et de ce nom sacré sanctifier vos pages;

Qui méprise Cotin n'estime point son roi,
Et n'a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi.

Mais quoi! répondrez-vous, Cotin nous peut-il nuire?
Et par ses cris enfin, que sauroit-il produire?
Interdire à mes vers, dont peut-être il fait cas,
L'entrée aux pensions où je ne prétends pas?
Non, pour louer un roi que tout l'univers loue,
Ma langue n'attend point que l'argent la dénoue;
Et, sans espérer rien de mes foibles écrits,
L'honneur de le louer m'est un trop digne prix :
On me verra toujours, sage dans mes caprices,
De ce même pinceau dont j'ai noirci les vices
Et peint du nom d'auteur tant de sots revêtus,

'Auteurs médiocres. (B.)

2 Cotin, dans un de ses écrits, m'accusoit d'être criminel de lèsemajesté divine et humaine. (B.)

Lui marquer mon respect et tracer ses vertus.
Je vous crois; mais pourtant on crie, on vous menace.
Je crains peu, direz-vous, les braves du Parnasse.
Hé, mon Dieu! craignez tout d'un auteur en courroux,
Qui peut... Quoi? Je m'entends. Mais encor? Taisez-

[vous.

SUR LA SATIRE X.

Voici enfin la satire qu'on me demande depuis si long-temps. Si j'ai tant tardé à la mettre au jour, c'est que j'ai été bien aise qu'elle ne parût qu'avec la nouvelle édition qu'on faisoit de mon livre, où je voulois qu'elle fût insérée. Plusieurs de mes amis, à qui je l'ai lue, en ont parlé dans le monde avec de grands éloges, et ont publié que c'étoit la meilleure de mes satires. Ils ne m'ont pas en cela fait plaisir. Je connois le public: je sais naturellement il se révolte contre ces louanges outrées qu'on donne aux ouvrages avant qu'ils aient paru, et que la plupart des lecteurs ne lisent ce qu'on leur a élevé si haut, qu'avec un dessein formé de le rabaisser.

que

Je déclare donc que je ne veux point profiter de ces discours avantageux; et non seulement je laisse au public son jugement libre, mais je donne plein pouvoir à tous ceux qui ont tant critiqué mon ode sur Namur d'exercer aussi contre ma satire toute la rigueur de leur critique. J'espère qu'ils le feront avec le même succès; et je puis les assurer que tous leurs discours ne m'obligeront point à rompre l'espèce de vœu que j'ai fait de ne jamais défendre mes ouvrages, quand on n'en attaquera que les mots et les syllabes. Je saurai fort bien soutenir contre ces censeurs Homère, Horace, Virgile, et tous ces autres grands personnages dont j'admire les écrits: mais pour mes écrits, que je n'admire point, c'est à ceux qui les approuveront à trouver

AVERTISSEMENT SUR LA SATIRE X. 81 des raisons pour les défendre. C'est tout l'avis que j'ai à donner ici au lecteur.

La bienséance néanmoins voudroit, ce me semble, que je fisse quelque excuse au beau sexe de la liberté que je me suis donnée de peindre ses vices. Mais, au fond, toutes les peintures que je fais dans ma satire sont si générales, que, bien loin d'appréhender que les femmes s'en offensent, c'est sur leur approbation et sur leur curiosité que je fonde la plus grande espérance du succès de mon ouvrage. Une chose au moins dont je suis certain qu'elles me loueront, c'est d'avoir trouvé moyen, dans une matière aussi délicate que celle que j'y traite, de ne pas laisser échapper un seul mot qui pût le moins du monde blesser la pudeur. J'espère donc que j'obtiendrai aisément ma grace, et qu'elles ne seront pas plus choquées des prédications que je fais contre leurs défauts dans cette satire, que des satires que les prédicateurs font tous les jours en chaire contre ces mêmes défauts.

1

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BOILEAU. T. I.

SATIRE X.

1693.

LES FEMMES.

Enfin bornant le cours de tes galanteries, Alcippe, il est donc vrai, dans peu tu te maries : Sur l'argent, c'est tout dire, on est déja d'accord; Ton beau-père futur vide son coffre-fort; Et déja le notaire a, d'un style énergique, Griffonné de ton joug l'instrument authentique 1. C'est bien fait. Il est temps de fixer tes désirs. Ainsi que ses chagrins l'hymen a ses plaisirs : Quelle joie en effet, quelle douceur extrême, De se voir caressé d'une épouse qu'on aime! De s'entendre appeler petit cœur, ou, mon bon! De voir autour de soi croître dans sa maison, Sous les paisibles lois d'une agréable mère, De petits citoyens dont on croit être père!

Quel charme, au moindre mal qui nous vient menacer.
De la voir aussitôt accourir, s'empresser,

S'effrayer d'un péril qui n'a point d'apparence,
Et souvent de douleur se pâmer par

avance!

Car tu ne seras point de ces jaloux affreux,
Habiles à se rendre inquiets, malheureux,

f

' Instrument, en style de pratique, veut dire toutes sortes de contrats. (B.)

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