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Mais je ne trouve rien de beau dans ce Voiture.
Ma foi, le jugement sert bien dans la lecture.
A mon gré, le Corneille est joli quelquefois.
En vérité, pour moi j'aime le beau françois.
Je ne sais pas pourquoi l'on vante l'Alexandre';
Ce n'est qu'un glorieux qui ne dit rien de tendre.
Les héros chez Quinault parlent bien autrement,
Et jusqu'à Je vous hais, tout s'y dit tendrement.
On dit qu'on l'a drapé.dans certaine satire;
Qu'un jeune homme... Ah! je sais ce que vous voulez
A répondu notre hôte : «Un auteur sans défaut, [dire,
<< La raison dit Virgile, et la rime Quinault. >>
-Justement. A mon gré, la pièce est assez plate.
Et puis, blâmer Quinault!... Avez-vous vu l'Astrate?
C'est là ce qu'on appelle un ouvrage achevé.
Surtout l'Anneau royal me semble bien trouvé.
Son sujet est conduit d'une belle manière;
Et chaque acte, en sa pièce, est une pièce entière.
Je ne puis plus souffrir ce que les autres font.
Il est vrai que Quinault est un esprit profond,
A repris certain fat qu'à sa mine discrète
Et son maintien jaloux j'ai reconnu poëte:
Mais il en est pourtant qui le pourroient valoir.
Ma foi, ce n'est pas vous qui nous le ferez voir,
A dit mon campagnard avec une voix claire,
Et déja tout bouillant de vin et de colère.
Peut-être, a dit l'auteur pâlissant de courroux :
Mais vous, pour en parler, vous y connoissez-vous?

I De Racine.

BOILEAU. T. I.

3

Mieux que vous mille fois, dit le noble en furie.
Vous? mon dieu! mêlez-vous de boire, je vous prie,
A l'auteur sur-le-champ aigrement reparti.
Je suis donc un sot, moi? vous en avez menti,
Reprend le campagnard; et, sans plus de langage,
Lui jette pour défi son assiette au visage.
L'autre esquive le coup; et l'assiette volant
S'en va frapper le mur, et revient en roulant.
A cet affront l'auteur, se levant de la table,
Lance à mon campagnard un regard effroyable;
Et, chacun vainement se ruant entre deux,
Nos braves s'accrochant se prennent aux cheveux.
Aussitôt sous leurs pieds les tables renversées
Font voir un long débris de bouteilles cassées :
En vain à lever tout les valets sont fort prompts,
Et les ruisseaux de vin coulent aux environs.

Enfin, pour arrêter cette lutte barbare,
De nouveau l'on s'efforce, on crie, on les sépare;
Et, leur première ardeur passant en un moment,
On a parlé de paix et d'accommodement.
Mais, tandis qu'à l'envi tout le monde y conspire,
J'ai gagné doucement la porte sans rien dire,
Avec un bon serment que, si pour l'avenir
En pareille cohue on me peut retenir,

Je consens de bon cœur, pour punir ma folie,
Que tous les vins pour moi deviennent vins de Brie;
Qu'à Paris le gibier manque tous les hivers,

Et qu'à peine au mois d'août l'on mange des pois verts.

SATIRE IV.

1664.

A M. L'ABBE LE VAYER.

LES FOLIES HUMAINES.

D'où vient, cher Le Vayer, que l'homme le moins
Croit toujours seul avoir la sagesse en partage, [sage
Et qu'il n'est point de fou qui, par belles raisons,
Ne loge son voisin aux petites-maisons?

Un pédant, enivré de sa vaine science,
Tout hérissé de grec, tout bouffi d'arrogance,
Et qui, de mille auteurs retenus mot pour mot,
Dans sa tête entassés, n'a souvent fait qu'un sot,
Croit qu'un livre fait tout, et que, sans Aristote,
La raison ne voit goutte, et le bon sens radote.

D'autre part un galant, de qui tout le métier
Est de courir le jour de quartier en quartier,
Et d'aller, à l'abri d'une perruque blonde,
De ses froides douceurs fatiguer tout le monde,
Condamne la science, et, blâmant tout écrit,
Croit qu'en lui l'ignorance est un titre d'esprit,
Que c'est des gens de cour le plus beau privilége.
Et renvoie un savant dans le fond d'un collége.

Un bigot orgueilleux, qui, dans sa vanité,
Croit duper jusqu'à Dieu par son zèle affecté,

Couvrant tous ses défauts d'une sainte apparence,
Damne tous les humains de sa pleine puissance.

Un libertin d'ailleurs, qui, sans ame et sans foi, Se fait de son plaisir une suprême loi,

Tient que ces vieux propos de démons et de flammes
Sont bons pour étonner des enfants et des femmes,
Que c'est s'embarrasser de soucis superflus,
Et qu'enfin tout dévot a le cerveau perclus.

En un mot, qui voudroit épuiser ces matières,
Peignant de tant d'esprits les diverses manières,
Il compteroit plutôt combien, dans un printemps,
Guenaud et l'antimoine ont fait mourir de gens,
Et combien la Neveu devant son mariage,
A de fois au public vendu son pucelage.

Et

2

Mais, sans errer en vain dans ces vagues propos, pour rimer ici ma pensée en deux mots, N'en déplaise à ces fous nommés sages de Grèce, En ce monde il n'est point de parfaite sagesse : Tous les hommes sont fous, et, malgré tous leurs soins, Ne diffèrent entre eux que du plus ou du moins. Comme on voit qu'en un bois que cent routes séparent Les voyageurs sans guide assez souvent s'égarent, L'un à droit, l'autre à gauche, et, courant vainement, La même erreur les fait errer diversement; Chacun suit dans le monde une route incertaine, Selon que son erreur le joue et le promène; Et tel y fait l'habile et nous traite de fous, Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous.

' Médecin de la reine, grand partisan de l'antimoine. 2 Infame débordée connue de tout le monde. (B.)

Mais, quoi que sur ce point la satire publie,
Chacun veut en sagesse ériger sa folie;
Et, se laissant régler à son esprit tortu,
De ses propres défauts se fait une vertu.
Ainsi, cela soit dit pour qui veut se connoître,
Le plus sage est celui qui ne pense point l'être;
Qui, toujours pour un autre enclin vers la douceur,
Se regarde soi-même en sévère censeur,
Rend à tous ses défauts une exacte justice,
Et fait sans se flatter le procès à son vice.
Mais chacun pour soi-même est toujours indulgent.
Un avare, idolâtre et fou de son argent,
Rencontrant la disette au sein de l'abondance,
Appelle sa folie une rare prudence,

Et met toute sa gloire et son souverain bien
A grossir un trésor qui ne lui sert de rien.
Plus il le voit accru, moins il en sait l'usage.

Sans mentir, l'avarice est une étrange rage,
Dira cet autre fou, non moins privé de sens,
Qui jette, furieux, son bien à tous venants,
Et dont l'ame inquiète, à soi-même importune,
Se fait un embarras de sa bonne fortune.
Qui des deux en effet est le plus aveuglé?

L'un et l'autre, à mon sens, ont le cerveau troublé, Répondra chez Frédoc1 ce marquis sage et prude, Et qui sans cesse au jeu, dont il fait son étude, Attendant son destin d'un quatorze ou d'un sept, Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet.

• Frédoc tenoit au Palais-Royal une maison de jeu.

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