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L'a fait pour quelques mois disparoître à nos yeux:;
Mais en vain pour un temps une taxe l'exile;
On le verra bientôt pompeux en cette ville
Marcher encor chargé des dépouilles d'autrui,
Et jouir du ciel même irrité cóntre lui;
Tandis que Colletet1, crotté jusqu'à l'échine,
S'en va chercher son pain de cuisine en cuisine,
Savant en ce métier, si cher aux beaux esprits,
Dont Montmaur2 autrefois fit leçon dans Paris.
Il est vrai que du roi la bonté secourable
Jette enfin sur la muse un regard favorable;
Et, réparant du sort l'aveuglement fatal,
Va tirer désormais Phébus de l'hôpital 3.
On doit tout espérer d'un monarque si juste:
Mais, sans un Mécénas, à quoi sert un Auguste?
Et fait comme je suis, au siècle d'aujourd'hui,
Qui voudra s'abaisser à me servir d'appui?
Et puis, comment percer cette foule effroyable
De rimeurs affamés dont le nombre l'accable;
Qui, dès que sa main s'ouvre, y courent les premiers,
Et ravissent un bien qu'on devoit aux derniers,
Comme on voit les frelons, troupe lâche et stérile,
Aller piller le miel que l'abeille distille?

Cessons donc d'aspirer à ce prix tant vanté
Que donne la faveur à l'importunité.

• Fameux poëte fort gueux, dont on a encore plusieurs ouvrages. (B.)

2 Célèbre parasite, dont Ménage a écrit la vie. (B.)

3 Le roi, en ce temps-là, à la sollicitation de M. Colbert, donna plusieurs pensions aux gens de lettres. (B.)

Saint-Amand' n'eut du ciel que sa veine en partage:
L'habit qu'il eut sur lui fut son seul héritage;

Un lit et deux placets composoient tout son bien;
Ou, pour en mieux parler, Saint-Amand n'avoit rien.
Mais quoi! las de traîner une vie importune,
Il engagea ce rien pour chercher la fortune,

Et, tout chargé de vers qu'il devoit mettre au jour,
Conduit d'un vain espoir, il parut à la cour2.
Qu'arriva-t-il enfin de sa muse abusée ?

Il en revint couvert de honte et de risée;
Et la fièvre, au retour, terminant son destin,
Fit
par avance en lui ce qu'auroit fait la faim.
Un poëte à la cour fut jadis à la mode;

Mais des fous aujourd'hui c'est le plus incommode :
Et l'esprit le plus beau, l'auteur le plus poli,
N'y parviendra jamais au sort de l'Angéli3.

Faut-il donc désormais jouer un nouveau rôle?
Dois-je, las d'Apollon, recourir à Barthole?
Et, feuilletant Louet alongé par Brodeau 4,
D'une robe à longs plis balayer le barreau?
Mais à ce seul penser je sens que je m'égare.
Moi! que j'aille crier dans ce pays barbare,
Où l'on voit tous les jours l'innocence aux abois
Errer dans les détours d'un dédale de lois,

1 On a plusieurs ouvrages de lui où il y a beaucoup de génie. Il ne savoit pas le latin, et étoit fort pauvre. (B.)

> Le poëme qu'il y porta étoit intitulé le Poëme de la Lune; et il y louoit le roi, surtout de savoir bien nager. (B.)

3 Célèbre fou que M. le prince de Condé avoit amené avec lui des Pays-Bas, et qu'il donna au roi Louis XIII. (B.)

4 Brodeau a commenté Louet. (B.)

Et, dans l'amas confus des chicanes énormes,
Ce qui fut blanc au fond rendu noir par les formes;
Où Patru gagne moins qu'Huot et le Mazier1,
Et dont les Cicérons se font chez Pé-Fournier 2!
Avant qu'un tel dessein m'entre dans la pensée,
On pourra voir la Seine à la Saint-Jean glacée;
Arnauld à Charenton devenir huguenot,
Saint-Sorlin janséniste, et Saint-Pavin bigot.

Quittons donc pour jamais une ville importune
Où l'honneur a toujours guerre avec la fortune;
Où le vice orgueilleux s'érige en souverain,
Et va la mitre en tête et la crosse à la main;
Où la science, triste, affreuse, délaissée,
Est partout des bons lieux comme infame chassée;
Où le seul art en vogue est l'art de bien voler;
Où tout me choque; enfin, où... Je n'ose parler.
Et quel homme si froid ne seroit plein de bile
A l'aspect odieux des mœurs de cette ville?
Qui pourroit les souffrir? et qui, pour les blâmer,
Malgré Muse et Phébus n'apprendroit à rimer?
Non, non, sur ce sujet pour écrire avec grace
Il ne faut point monter au sommet du Parnasse;
Et, sans aller rêver dans le double vallon,
La colère suffit, et vaut un Apollon.

Tout beau, dira quelqu'un, vous entrez en furie.

• Procureurs qui se chargeoient souvent des mauvaises causes. Olivier Patru, avocat et homme de lettres distingué, mourut de faim.

2 Célèbre procureur. Il s'appeloit Pierre Fournier; de palais, pour abréger, l'appeloient Pé-Fournier. (B.)

mais les gens

A quoi bon ces grands mots? doucement, je vous prie:
Ou bien montez en chaire; et là, comme un docteur.
Allez de vos sermons endormir l'auditeur :

C'est là que bien ou mal on a droit de tout dire.
Ainsi parle un esprit qu'irrite la satire,

Qui contre ses défauts croit être en sûreté
En raillant d'un censeur la triste austérité;

Qui fait l'homme intrépide, et, tremblant de foiblesse.
Attend pour croire en Dieu que la fièvre le presse;
Et, toujours dans l'orage au ciel levant les mains,
Dès que l'air est calmé, rit des foibles humains.
Car de penser alors qu'un Dieu tourne le monde,
Et règle les ressorts de la machine ronde,
Ou qu'il est une vie au delà du trépas,

C'est là, tout haut, du moins, ce qu'il n'avouera pas.
Pour moi, qu'en santé même un autre monde étonne,
Qui crois l'ame immortelle, et que c'est Dieu qui tonne.
Il vaut mieux pour jamais me bannir de ce lien
Je me retire donc. Adieu, Paris, adieu

1664.

A MOLIÈRE.

SUR LA DIFFICULTÉ D'ACCORDER LA RIME ET LA RAISON.

Rare et fameux esprit, dont la fertile veine
Ignore en écrivant le travail et la peine;
Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts,
Et qui sais à quel coin se marquent les bons vers;
Dans les combats d'esprit savant maître d'escrime,
Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime.
On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher :
Jamais au bout du vers on ne te voit broncher;
Et, sans qu'un long détour t'arrête ou t'embarrasse,
A peine as-tu parlé, qu'elle-même s'y place.
Mais moi, qu'un vain caprice, une bizarre humeur,
Pour mes péchés, je crois, fit devenir rimeur,
Dans ce rude métier où mon esprit se tue,

En vain, pour la trouver, je travaille et je sue.
Souvent j'ai beau rêver du matin jusqu'au soir;
Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir;
Si je veux d'un galant dépeindre la figure,
Ma plume pour rimer trouve l'abbé de Pure';

'Auteur oublié des traductions de Quintilien, de l'Histoire des Indes de J.-P. Maffei, de l'Histoire africaine de Birago, d'une tragédie d'Ostorius, et de plusieurs romans; mort en 1680.

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