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AVERTISSEMENT

SUR

L'ÉPITRE PREMIÈRE'.

Je m'étois persuadé que la fable de l'huître que j'avois mise à la fin de cette épître au roi pourroit y délasser agréablement l'esprit des lecteurs qu'un sublime trop sérieux peut enfin fatiguer, joint que la correction que j'y avois mise sembloit me mettre à couvert d'une faute dont je faisois voir que je m'apercevois le premier. Mais j'avoue qu'il y a eu des personnes de bon sens qui ne l'ont pas approuvée. J'ai néanmoins balancé long-temps si je l'ôterois, parce qu'il y en avoit plusieurs qui la louoient avec autant d'excès que les autres la blâmoient. Mais enfin je me suis rendu à l'autorité d'un prince non moins considérable par les lumières de son esprit que par le nombre de ses victoires. Comme il m'a déclaré franchement que cette fable, quoique très bien contée, ne lui sembloit pas digne du reste de l'ouvrage, je n'ai point résisté, j'ai mis une autre fin à ma pièce 3, et je n'ai pas cru, pour une vingtaine de vers, devoir me brouiller avec le premier capitaine de notre siècle. Au reste, je suis bien aise d'avertir le lecteur qu'il y a quantité de pièces impertinentes qu'on s'efforce de faire courir sous

2

Cet avertissement fut mis à la tête de la seconde édition que l'auteur fit en 1672 de sa première épître.

Le grand Condé. (B.)

3 Cette fin consiste dans les quarante derniers vers.

mon nom, et entre autres une satire contre les maltôtes ecclésiastiques 1. Je ne crains pas que les habiles gens m'attribuent toutes ces pièces, parce que mon style, bon ou mauvais, est aisé à reconnoître. Mais comme le nombre des sots est grand, et qu'ils pourroient aisément s'y méprendre, il est bon de leur faire savoir que, hors les onze pièces 2 qui sont dans ce livre, il n'y a rien de moi entre les mains du public ni imprimé ni en manuscrit.

▾ Cette satire est, dit-on, du père Sanlecque, génovéfain, auteur de plusieurs autres écrits du même genre, et notamment d'un poëme contre les mauvais gestes de ceux qui parlent en public, et surtout des prédicateurs.

2

* Le discours au roi, les neuf premières satires et l'épître I. (B.)

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1669.

.AU ROI.

CONTRE LES CONQUÊTES.

Grand roi, c'est vainement qu'abjurant la satire Pour toi seul désormais j'avois fait vœu d'écrire. Dès que je prends la plume, Apollon éperdu Semble me dire: Arrête, insensé : : que

fais-tu?
Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages?
Cette mer où tu cours est célèbre en naufrages.
Ce n'est pas qu'aisément, comme un autre, à ton char
Je ne pusse attacher Alexandre et César;

Qu'aisément je ne pusse, en quelque ode insipide,
T'exalter aux dépens et de Mars et d'Alcide;
Te livrer le Bosphore, et, d'un vers incivil,
Proposer au sultan de te céder le Nil:
Mais, pour te bien louer, une raison sévère
Me dit qu'il faut sortir de la route vulgaire;
Qu'après avoir joué tant d'auteurs différents,
Phébus même auroit s'il entroit sur les rangs;
Que par des vers tout neufs, avoués du Parnasse,

peur

1 Cette épître fut composée sur l'invitation de Colbert, qui vouloit éteindre dans l'ame de Louis XIV la passion des conquêtes.

Il faut de mes dégoûts justifier l'audace;
Et, si ma muse enfin n'est égale à mon roi,
Que je prête aux Cotins des armes contre moi.
Est-ce là cet auteur, l'effroi de la Pucelle,
Qui devoit des bons vers nous tracer le modèle,
Ce censeur, diront-ils, qui nous réformoit tous?
Quoi! ce critique affreux n'en sait pas plus que nous!
N'avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui dans nos vers pris Memphis et Byzance,
Sur les bords de l'Euphrate abattu le turban,
Et coupé, pour rimer, les cèdres du Liban?
De quel front aujourd'hui vient-il sur nos brisées,
Se revêtir encor de nos phrases usées?

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Que répondrois-je alors? Honteux et rebuté,
J'aurois beau me complaire en ma propre beauté,
Et, de mes tristes vers admirateur unique,
Plaindre, en les relisant, l'ignorance publique :
Quelque orgueil en secret dont s'aveugle un auteur,
Il est fâcheux, grand roi, de se voir sans lecteur,
Et d'aller, du récit de ta gloire immortelle,
Habiller chez Francœur le sucre et la cannelle.
Ainsi, craignant toujours un funeste accident,
J'imite de Conrart 2 le silence prudent:

Je laisse aux plus hardis l'honneur de la carrière,
Et regarde le champ, assis sur la barrière.

Malgré moi toutefois un mouvement secret
Vient flatter mon esprit qui se tait à regret.
Quoi! dis-je tout chagrin, dans ma verve infertile,

' Fameux épicier. (B.)

2 Fameux académicien qui n'a jamais rien écrit. (B.)

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