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ou d'en haut, peu importe. Je suis convaincu que les mauvais principes enfantent les mauvaises actions et les mauvaises institutions, parce que j'ai une trop haute idée de l'homme, même égaré, pour ne pas croire qu'il est, en définitive, conduit par sa pensée. Non, on ne peut pas dire impunément à une nation que la loi morale n'est qu'une fiction, que le devoir n'est qu'un décor de l'intérêt et qu'en dehors de la sensation il n'y a rien. La largeur d'esprit qui fait trouver ces théories indifférentes ou simplement curieuses me manque tout à fait; je les trouve mortelles et dégradantes. Si elles étaient vraies, il faudrait bien s'y résigner; mais alors je ne comprendrais pas qu'on se résignât à une aussi misérable tragédie-comédie que le serait la vie. Par bonheur, elles ne sont pas vraies, elles ne sont que des hypothèses gratuites qui nous étourdissent par le bruit qu'elles font. Elles se heurtent contre les résultats les moins contestables de la science et de la philosophie, sans parler de ce roc de la conscience qui finira toujours par les briser.

Voilà ce que j'ai cherché à établir, en m'appuyant des travaux féconds des plus grands esprits de mon temps. Je suis de ceux qui ne croient qu'à la liberté pour défendre la vérité. Vouloir défendre la religion de la conscience par d'autres moyens que la libre discussion, c'est déjà la nier. Ce qu'on appelle la liberté du bien me paraît un mal essentiel, car le bien doute de lui-même dès qu'il veut fermer la bouche à l'erreur. Je n'ai cessé dans ma carrière publique et je ne cesserai pas de demander le plein affranchissement de la conscience. Je le veux avec ses dernières conséquences. Je me sens d'autant plus obligé de mettre tout ce qui

me reste d'énergie et de flamme au service des plus hautes vérités de la vie morale en dehors desquelles je ne vois que ruine et déshonneur pour ma patrie et déchéance irrémédiable pour cette âme humaine qui doit subsister quand les institutions publiques auront disparu comme une tente dressée pour un jour. Heureux serais-je, si ce livre, qui est un livre de bonne foi, pouvait, malgré ses imperfections, contribuer pour sa faible part à dissiper le malentendu funeste qui oppose, dans l'ordre supérieur de la pensée, la science à la conscience, et, dans la sphère pratique, la liberté à la religion. Un peuple et un pays peuvent mourir de cette

erreur.

Paris, ce 14 octobre 1882.

E. DE PRESSENSÉ.

LES ORIGINES

LIVRE PREMIER

LE PROBLÈME DE LA CONNAISSANCE

CHAPITRE PREMIER

LE PROBLÈME DE LA CONNAISSANCE ET LE POSITIVISME.

Avant d'apprécier la valeur des diverses explications des choses, une question se pose qui doit être avant tout résolue, c'est celle de la possibilité de les expliquer. Cette possibilité est contestée aujourd'hui par l'école positiviste qui n'admet que la constatation des faits et de leurs rapports en interdisant toute explication; elle nous limite à la question du comment en traitant de chimérique celle du pourquoi. Nous ne pouvons faire un pas dans la voie de la recherche sans avoir écarté l'objection fondamentale qui la barre devant nous. Précisons d'abord la théorie de la connaissance de l'école positiviste telle qu'elle ressort des livres du maître, Auguste Comte, et des commentaires de son illustre disciple, M. Littré, qui a jeté tant d'éclat sur sa doctrine. Cette théorie est fort simple; elle se donne comme la méthode même de la science. Celle-ci n'a qu'à constater ce qui tombe sous l'observation immédiate, les faits recueillis par l'expérience, et à les grouper sans jamais se préoccuper de leur cause ou de leur fin, car ce domaine échappe à tous les procédés d'expérimenta

tion. Le télescope atteint les dernières limites du visible dans les profondeurs du ciel, ce qu'on peut presque appeler l'infiniment grand; le microscope saisit l'infiniment petit; les causes et les fins sont au delà. La science n'a pas à s'en soucier: c'est le domaine de l'inconnaissable. Le positivisme ne veut pas plus le nier que l'affirmer, car la négation serait encore une théorie sur l'origine des choses; le matérialisme est une philosophie et par là même en dehors de la science positiviste. Celle-ci est le terme du mouvement de l'esprit humain.

La pensée n'a pas débuté par cette abstention sévère qui l'enferme dans les limites des faits immédiatement constatés. Elle a passé par deux phases préliminaires qui, par leur généralité et leur durée, s'élèvent à la hauteur de lois historiques. «< En étudiant le développement total de l'intelligence humaine dans ses sphères d'activité, dit Auguste Comte, depuis son premier essor le plus simple jusqu'à nos jours, je crois avoir découvert une grande loi fondamentale à laquelle il est assujetti par une nécessité invariable. Cette loi consiste en ce que chacune de nos conceptions principales, chaque branche de nos connaissances passe successivement par trois états théoriques différents : l'état théologique ou fictif; l'état métaphysique ou abstrait; l'état scientifique ou positif. Dans l'état théologique, l'esprit humain, dirigeant essentiellement ses recherches vers la nature intime des êtres, les causes premières et finales de tous les effets qui la frappent, en un mot vers les connaissances absolues, se représente les phénomènes comme produits par l'action directe et continue d'agents surnaturels plus ou moins nombreux. Dans l'état métaphysique, qui n'est au fond qu'une simplification générale de la première, les agents surnaturels sont remplacés par des forces abstraites, véritables entités inhérentes aux divers êtres du monde. Enfin, dans l'état positif, l'esprit humain, reconnaissant l'impossibilité d'obtenir des notions absolues, renonce à chercher l'origine et la destination de l'univers et à connaître les causes intimes des phénomènes,

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