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variations dans la taille, dans les couleurs, dans l'aspect, mais sans qu'aucun caractère important soit affecté; partout le type spécifique demeure, la domesticité ne produit que des altérations superficielles. En outre, dans les combats pour la vie, les hasards servent autant les faibles que les forts, la ruse supplée à la vigueur, et la faculté procréatrice est dans un rapport merveilleux avec les chances de destruction (1). » 3o Si haut que nous remontions par la paléontologie, nous retrouvons la distinction des espèces dans le monde végétal et dans le monde animal. On a bien pu retrouver des espèces intermédiaires qui donnent plus de continuité à la chaîne des êtres, mais on n'a pu fournir les preuves évidentes d'une transformation de ces espèces les unes dans les autres. M. Albert Gaudry conclut par ces paroles significatives son livre si intéressant sur les enchaînements du monde animal, dans les temps géologiques : « Avons-nous plus que des liens de parenté, connaissons-nous la paternité et pouvons-nous déclarer que telle espèce est l'ancêtre directe de telle autre? Dans la plupart des cas, nous n'en sommes pas là. En réunissant les matériaux de cet ouvrage, je suis très convaincu des innombrables lacunes que nous rencontrons lorsque nous cherchons à établir d'une manière rigoureuse la filiation des êtres animés (2). »

En ce qui concerne notre âge géologique, il nous fournit nos classifications actuelles dès ses périodes les plus reculées. « Les animaux, les plantes, les graines enfouis dans les hypogées d'Égypte sont encore les animaux et les plantes qui vivent aujourd'hui sur les bords du Nil (3). »

4° L'adaptation constante au milieu, d'après M. Blanchard, est démentie par ce fait que les êtres jouissant d'avantages propres à les garantir contre les périls qui les entourent

(1) Blanchard, Origine des êtres (Revue des Deux-Mondes), octobre 1874. (2) Gaudry, ouvrage cité, préface.

(3) Id.

ne les perdent à aucun degré, là où ces périls ont cessé, tandis que l'on voit périr des espèces transportées dans un milieu défavorable, où elles ne parviennent pas à s'accli

mater.

Constatons encore que les milieux n'ont pas une action modificatrice aussi puissante que celle qu'on leur attribue. « Les corps organisés, dit M. Gaudry, sont supérieurs aux corps inorganiques, et il n'est pas naturel de supposer que ceux-ci ont réglé la destinée des premiers. La preuve que les phénomènes physiques ne sont pas la cause principale des changements du monde organique, c'est que, de nos jours, plusieurs des contrées chaudes doivent être restées dans un état physique semblable à celui de la fin des temps miocènes et pourtant toutes les espèces qu'on y trouve offrent des différences (1).

5o D'après M. Blanchard, la loi de sélection sexuelle est constamment démentie par les unions fréquentes entre les individus privilégiés et des sujets fort déshérités.

6o La sélection artificielle ne produit aucun type nouveau durable. Dès que son action cesse, il y a retour au type primitif, non seulement pour le règne animal, mais encore pour le règne végétal, qui passe pour moins rebelle aux modifications profondes. M. Faivre a montré que malgré les changements produits par la sélection artificielle, l'espèce véritable subsiste et qu'elle renaît d'elle-même des types modifiés, lorsque les circonstances ou la sélection artificielle de l'homme n'exercent plus leur action modificatrice (2).

7° L'objection la plus forte contre la transformation des espèces est la stérilité presque constante des hybrides, qui n'ont jamais réussi à se reproduire naturellement, sans croisements artificiels. Nous renvoyons, sur ce point capital,

(1) Gaudry, ouvrage cité, p. 13.

(2) Faivre, Considération sur la variabilité de l'espèce et sur ses limites. (Lyon, 1863.)

à la démonstration fournie par MM. Blanchard et de Quatrefages. «Un doute ne subsiste pour la science, dit M. Blanchard, que pour la descendance de quelques espèces extrêmement voisines. Dans les circonstances où prédomine l'un des éléments de la production, l'autre s'efface. Ainsi se révèle le caractère indépendant des types spécifiques et l'impossibilité de constituer une nouvelle forme indépendante (1). ›

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Cette stérilité des hybrides est élevée, par MM. Blanchard et de Quatrefages, à la hauteur d'une loi fondamentale de la nature, qui seule maintient l'ordre et la fixité nécessaire dans le domaine de la vie; car, sans cette loi, nous n'aurions plus qu'un tourbillon de formes incohérentes et changeantes (2).

L'espèce ainsi comprise est l'une des marques de dessein les plus frappantes dans la nature. Rien n'y révèle mieux un plan profondément conçu, strictement exécuté. Laissons parler sur ce sujet un des plus grands naturalistes contemporains, l'illustre Agassiz: « A mes yeux, dit-il, rien ne démontre plus directement et plus absolument l'action d'un esprit réfléchi que toutes ces catégories sur lesquelles les espèces, les genres, les familles, les ordres, les classes, les embranchements sont fondés dans la nature; rien n'indique plus évidemment une considération délibérée du sujet que la manifestation réelle et matérielle de toutes ces choses par une succession d'individus dont la vie est limitée, dans le temps, à une durée relativement très courte. La grande merveille de toutes ces relations consiste dans le caractère fugitif de toutes les parties de cette harmonie compliquée. Tandis que l'espèce persiste pendant de longues périodes, les individus qui la représentent changent constamment et meurent

(1) M. Broca, dans ses Mémoires anthropologiques (Paris, Reinwald, 1877, p. 243), soutient la thèse contraire; mais les faits qu'il examine ne sont pas assez nombreux pour être décisifs.

(2) Voir Quatrefages, Unité de l'espèce, et les articles déjà cités de M. Blanchard dans la Revue des Deux-Mondes.

l'un après l'autre dans une rapide succession. Rien dans le règne inorganique n'est de nature à nous impressionner autant que l'unité de plan qui apparaît dans la structure des types les plus différents. D'un pôle à l'autre, sous tous les méridiens, les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les poissons révèlent un seul et même plan de structure. Ce plan dénote des conceptions abstraites de l'ordre le plus élevé; il dépasse de bien loin les plus vastes généralisations de l'esprit humain, et il a fallu les recherches les plus laborieuses pour que l'homme parvint seulement à s'en faire une idée. D'autres plans non moins merveilleux se découvrent dans les articulés, les mollusques, les rayonnés et les divers types des plantes. Et cependant ce rapport logique, cette admirable. harmonie, cette infinie variété dans l'unité, voilà ce qu'on nous représente comme le résultat des forces auxquelles n'appartient ni la moindre parcelle d'intelligence, ni la faculté de penser, ni le pouvoir de combiner, ni la notion de temps et d'espace. Si quelque chose peut, dans la nature, placer l'homme au-dessus des autres êtres, c'est précisément le fait qu'il possède ces nobles attributs. Sans ces dons, portés à un haut point d'excellence et de perfection, aucun des traits généraux de parenté qui unissent les grands types du règne animal et du règne végétal ne pourrait être ni perçu ni compris. Comment donc ces rapports auraient-ils pu être imaginés, si ce n'est à l'aide de facultés analogues? Si toutes ces relations dépassent la portée de la puissance intellectuelle de l'homme, si l'homme lui-même n'est qu'une partie, un fragment du système total, comment ce système aurait-il été appelé à l'être, s'il n'y a pas une intelligence suprême, auteur de toutes choses (1)? »

En résumé, le darwinisme n'est rien moins que prouvé comme explication du développement des êtres; la transfor

(1) Citation d'un discours d'Agassiz, Revue des cours scientifiques, 2 mai 1868.

mation des espèces se heurte à des objections de fait encore très fortes. Sans nous prononcer sur ce grand litige, nous maintenons que, si le darwinisme en triomphait, il ne supprimerait en rien la finalité, pourvu qu'il se contentât de ses conclusions scientifiques, sans faire incursion dans le domaine métaphysique et qu'il ne confondît pas la question du comment avec celle du pourquoi. Nous avons établi qu'il n'est pas une des lois auxquelles il soumet le développement des êtres qui s'explique par le simple jeu des forces mécaniques et qu'elles ne peuvent fonctionner sans l'intervention d'une causalité intelligente. Si nous inclinons à penser que l'influence de ces lois a été exagérée par le darwinisme, en ce sens qu'elles ne suffisent pas à expliquer le développement complet de l'existence sur notre globe à ses divers degrés, elles n'en ont pas moins une action réelle sur les modifications auxquelles n'échappe aucun être vivant. Darwin a rendu un grand service à la science, en faisant mieux connaître leur action. Oui, il est vrai qu'il y a une concurrence vitale, une lutte pour la vie, qui l'empêche de foisonner sans mesure dans ses manifestations les plus misérables. Il est vrai que l'hérédité, l'influence du milieu, le stimulant du besoin, l'exercice des organes, que toutes ces causes ont une action modificatrice sur les êtres vivants; mais leur effet le plus certain est de les amener à réaliser plus complètement leur type, l'idée directrice qui est leur raison d'être. Ces causes, même dans leur action limitée, supposent et appellent la finalité, ou pour mieux dire l'intelligence suprême qui les rend seules efficaces et qui, en les coordonnant, arrive à produire ce monde bien réglé et hiérarchisé où tout manifeste la loi, l'intelligence, la volonté, Dieu enfin.

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