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SARCEY

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.1

FRANCISQUE SARCEY was born at Dourdan (Seine-et-Oise) in 1828.

He shared at school the honours gained by his friend Edmond About and was admitted into the Ecole Normale in the same year with him and M. Taine. After having held masterships at various provincial schools for seven years, M. Sarcey gave up the scholastic profession and devoted himself to literature. He is best known as a writer in the press and a literary critic; at present he writes, with remarkable skill and in excellent style, the dramatic critiques of the Temps. As to the books published by him we shall only mention Le Nouveau seigneur de village, a tale, whose leading idea is political satire, and Le Siége de Paris (1871), which has been immensely successful, and from which we reprint a fragment.

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LE PARISIEN D'AVANT LE SIÈGE PEINT PAR LUI-MÊME. Les journalistes écrivaient nombres d'articles pour démontrer que Paris ne pourrait jamais être investi à moins de quinze cent mille hommes douze cent mille au bas mot; qu'une place de guerre qui pouvait se ravitailler et conserver ses communications libres était imprenable, à moins d'être emportée d'assaut. Quant à l'assaut, nous étions là . . .! on dénombrait les troupes de secours, et cette vaillante armée de quatre cent mille gardes nationaux qui surgiraient de terre, aussitôt que nos chefs frapperaient le sol du pied. Ah! ils n'auraient qu'à venir! ils verraient bien.

Nous nous repaissions de ces chimères, que nous prenions alors, que tout le monde prenait pour des réalités. Mais notre passion nous persuadait plus aisément encore que toutes les démonstrations des gens du métier. Nous ne nous demandions pas précisément s'il fallait faire grand fond sur ces fortifications sur lesquelles on feignait de compter si fort. Non, nous partions de cette idée, tenace et profonde comme toutes les idées préconçues, qu'il était impossible que l'ennemi arrivât jusqu'à Paris, qu'il l'assiégeât et le couvrît de feux. Cette monstruosité ne pouvait nous entrer dans la cervelle. Le sol sacré de la patrie s'entr'ouvrirait sans doute et dévorerait les bataillons prussiens, avant que fût consommé cet horrible sacrilége.

Il y a des peuples dont les imaginations, naturellement tristes, sont hantées de papillons noirs. Les Parisiens, au contraire, ont l'esprit toujours ouvert aux crédulités et aux espérances. Jamais ils ne regardent en face la réalité qui leur déplaît; ils ressemblent à l'autruche, qui se cache la tête entre deux pierres pour ne pas voir le chasseur qui la vise. Ils se leurrent jusqu'au bout de chimères agréables et détournent volontiers les yeux des malheurs qu'ils ne peuvent plus se dissimuler.

C'était dans toute la presse comme un parti pris de mensonges, qui flattaient la vanité nationale. On ne pouvait guère cacher les progrès des Allemands et leurs succès répétés, partout où ils rencontraient nos troupes. Mais on s'en tirait par des excuses que l'on tenait toutes prêtes, pour sauver à nos propres yeux notre We have followed Vapereau, Dictionnaire des contemporains. 2 V. p. 748. 3 V. p. 502, n. 2. V. P. 752.

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amour-propre souffrant. Nos défaites étaient plus glorieuses que des victoires, et l'on disait de la journée de Worth que c'était un revers triomphant. On exaltait la gloire de nos retraites, et l'héroïsme des soldats qui les exécutaient.

Un jour Edmond About1 vint, qui conta naïvement ce qu'il avait vu, après Reichshoffen, les troupes de Mac-Mahon en pleine déroute, les zouaves jetant leurs armes, pris de vin et pillant, les généraux qui avaient perdu la tête, et cent lieues de terrain abandonnées à l'ennemi, sans coup férir, quand il eût suffi de cinq cents hommes déterminés pour disputer les passages à une armée. A cette révélation, ce ne fut qu'un cri contre le malheureux feuilletoniste. On le traita de Prussien. Il y avait des vérités qu'il ne fallait pas dire, et c'était une trahison de les révéler à l'Europe. Au reste, rien de tout cela n'était exact; il avait mal vu, il exagérait. Comment supposer que les héros de l'Alma, de Magenta, de Solférino avaient fui honteusement devant des Pandours?

Pandours! nous les appelions des Pandours, des Huns, des Vandales; et nous leur versions sur la tête toutes les injures que nous fournissaient le vocabulaire et l'histoire: de bonne foi, hélas! combien peu d'entre nous étaient capables de se rendre compte des progrès que cette petite et humble Prusse, qui venait de se révéler tout à coup si formidable, avait faits, non pas seulement dans le maniement des armes, mais encore dans les sciences et les arts, qui sont l'honneur de la paix! Macaulay, le prudent et sagace observateur, avait déclaré, dès 1843 que la monarchie prussienne, le plus jeune des grands États européens, et que sa population aussi bien que ses revenus reléguaient au cinquième rang, occupait le second, après l'Angleterre, sous le rapport de l'instruction solide, du goût des arts et de la capacité pour tous les genres de science.

Et il n'était pas même question de nous! Macaulay se trompait sans doute, car il ne nous aimait guère, en bon Anglais qu'il était, et la haine égare. Mais que l'on nous eût étonnés, si l'on nous avait dit ce jugement, porté par un esprit qui passe pour être un des plus impartiaux et des plus profonds de l'Europe! Nous, la grande nation, au troisième rang! nous qui croyions fixer les regards de l'univers, parce que toute la haute vie cosmopolite se faisait habiller à Paris et chantait nos refrains! Il fallait que nous subissions bien des désastres encore avant d'accepter, sur notre propre compte, des vérités aussi désobligeantes. Sans compter que ce ne sont peut-être pas des vérités aussi incontestables que semblait le croire Macaulay!

Le premier moment de stupeur une fois passé, Paris, avec l'élasticité naturelle de son optimisme, rebondit à l'espérance. Le ministère Ollivier fut balayé en un jour, et l'on mit à la tête du gouvernement le général Montauban, comte de Palikao. C'était un vieux malin, qui n'eut pas de peine à nous prendre pour dupes. Je dirais même, si j'osais me servir de cette locution soldatesque, qu'il nous mit tous dedans. Il avait bien vu le mauvais effet qu'avaient produit sur la population les vanteries et les fanfaronnades du régime tombé:

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il prit avec infiniment d'habileté le contre-pied juste de ce système. Il ne donna plus aucune nouvelle des opérations militaires. Chaque jour, après la séance, il prenait à part deux ou trois de ses familiers, et leur glissait mystérieusement à l'oreille des paroles énigmatiques: >>Si Paris savait ce que je sais, il illuminerait ce soir . . . Chut!« ajoutait-il en posant le doigt sur ses lèvres.

>>Chut!<< répétait Paris, le même soir, tout bas du Boulevard Montmartre à la Chaussée d'Antin.

Et quand un membre de la gauche, impatienté de ce silence, s'avisait de demander à la Chambre quelques renseignements pius positifs, »Je ne puis rien dire, répondait le ministre, mais tout va bien .....« Et si on le pressait trop: »J'ai à faire. . . il faut que je m'en aille...«<

Ou encore: »Il m'est impossible de parler davantage ni plus haut: j'ai depuis vingt ans une balle dans la poitrine, et elle m'interdit les longs discours.<<

Et l'on s'extasiait sur ces façons évasives de répondre: homme! il a depuis trente ans une balle dans la poitrine!

Quel

Les journaux ne gardaient pas le même silence que Palikao. Il s'abattait tous les matins sur les kiosques1 une nuée de récits fantastiques, qui tenaient en haleine la confiance et la bonne humeur des Parisiens. Un jour, on contait que dix régiments prussiens, acculés contre des carrières taillées à pic, avaient été, d'un seul coup, précipités dans l'abîme, et qu'il avait péri vingt mille hommes, entassés les uns sur les autres. Une effroyable purée! Le lendemain, quelques soldats français, qui faisaient semblant de laver innocemment leur linge sur le bord d'un étang y avaient attiré le gros des forces ennemies, que Bazaine avait ensuite entourées par un mouvement rapide de conversion, et qu'il avait exterminées.

On calculait le nombre des Prussiens morts depuis le commencement de la guerre: c'était par centaines de mille que l'on comptait les cadavres. Jamais les Grecs, ces Gascons de l'antiquité, contant les défaites de Xerxès, n'avaient fait un aussi effroyable carnage de Perses.

Paris dévorait ces histoires. Un de mes amis, homme de beaucoup d'esprit, mais légèrement sceptique, avait le privilége d'en inventer d'inouïes, d'invraisemblables, qu'il avait le plaisir de voir gober aux nobs de ce public crédule. Il en a mis pour son compte une demidouzaine en circulation; et, comme un jour, après l'avoir entendu conter, de l'air le plus sérieux du monde, une de ses bourdes habituelles, je lui demandais quel plaisir il trouvait à cet exercice: Moi! aucun, me dit-il, c'est par philanthropie. Voilà des gens qui vont s'aller coucher sur des pensées riantes; ils feront les rêves les plus agréables du monde; ils seront heureux jusques à demain. Ce n'est donc rien que cela?

Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que je lui ai vu mettre vingt fois la crédulité des Parisiens aux plus rudes épreuves, sans la lasser jamais. Tel est leur penchant à se repaître des nouvelles qui les flattent, qu'il les eût encore empaumés, en leur disant une des Mille et une Nuits de la princesse Shénézarade.

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The kiosques in which the newspapers are sold at Paris.

CHERBULIEZ.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.1

VICTOR CHERBULIEZ was born in 1832 at Geneva, where his father was a schoolmaster. He was the nephew of ANTOINE-ÉLISÉE CHERBULIEZ (1797-1869), a Swiss political economist, and JOEL CHERBULIEZ (born in 1806), who has made a name as a writer and translator and who since 1830 has edited the Revue critique des livres nouveaux. M. Victor Cherbuliez has become known as the author of very valuable contributions to French literature. After a rather fanciful article on artistic archaeology, A propos d'un cheval, causeries athéniennes (1860, published later on under the title: D'un cheval de Phidias), he wrote a number of novels, the best of which appeared in the Revue des Deux Mondes and were very popular. We only name Le Comte Kostia (1863), Le prince Vitale (1864), Prosper Randoce (1868), from which we reprint an extract2 and La Revanche de Joseph Noirel.

PROSPER RANDOCE.

The hero of this novel, though his name does not appear in the title, is M. Didier de Peyrols, a young gentleman of good birth, living in the Dauphiné. A few months after the death of his father, whose only son he was supposed to be, he learns that he has a half-brother. Old M. de Peyrols, has, when on his death-bed, confided this secret to his old friend and confidential notary Patru. When the latter reveals it to Didier, he adds that M. de Peyrols not having been able to leave this younger son who is not aware of his origin anything in his will, has left it to the elder to provide for him as he will think fit, when he has become acquainted with his position and character. The notary also informs Didier that this brother, who is twenty-six years old, lives at Paris, that his name is Prosper Randoce and that he has published a volume of verses, which is rather a drug in the market, called: les Incendies de l'âme.

Didier's first step is to procure a copy of these poems and conscientiously to read them through from first to last. He finds that they consist of rather feeble imitations of Victor Hugo, though containing here and there some fine lines, which make him think that their author is not altogether devoid of talent. Didier then goes to Paris with the resolve of calling to see Prosper Randoce, without at first revealing the ties of relationship that exist between them. It is the description of this first interview that we reprint.

UN POËTE INCOMPRIS.

Didier revint le lendemain matin. Bien que d'ordinaire il se mît avec goût, il portait ce jour-là, non sans dessein, un paletot un peu fripé et une cravate négligemment nouée dont la fraîcheur laissait à désirer. Il monta l'escalier, qui avait bonne tournure, et sonna. Une voix lointaine cria: Entrez ! Il entra, franchit un vestibule, poussa une seconde porte, et se trouva dans une grande chambre moitié salon,

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We have followed Vapereau, Dictionnaire des contemporains.
By permission of the publishers, MM. Hachette et Cie.

3 Worn.

moitié cabinet de travail, qui prenait jour sur la rue par deux fenêtres cintrées. Près de la fenêtre de droite il y avait une longue table à écrire, et devant cette table un homme assis, le cou nu, la chevelure en désordre assez pareille à une crinière de lion, vêtu d'une sorte de cagoule1 en laine blanche. Cet homme retourna la tête, et Didier ne put réprimer un tressaillement: à vingt-six ans, son père devait avoir ce visage. »>C'est à M. Prosper Randoce que j'ai l'honneur de parler?« dit-il d'une voix qui n'avait pas tout à fait son timbre ordinaire. >Asseyez-vous, « répondit l'autre d'un ton brusque; sur quoi, lui tournant le dos, il se remit à écrire.

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Didier s'assit, il profita du délai de grâce qui lui était accordé pour souffler et se reconnaître. Il promena ses yeux autour de lui. Le cabinet de travail de Prosper ne ressemblait nullement à un paysage de Bohême. Une propreté exquise, un mobilier bien tenu, de l'acajou, du palissandre, des chaises en canne à dossier doré, deux fauteuils capitonnés, un bahut sculpté; devant la table à écrire une grande peau d'ours, sur la cheminée une pendule de marbre à figure, et dans la cheminée un bon feu qui flambait. Ce qui attira surtout l'attention de Didier, ce fut une grande table surchargée de bric-a-brac,5 de vieux cuivres, de statuettes, de bronzes, dont quelques-uns étaient de prix. Pour la première fois de sa vie, il fit un inventaire; il calcula dans sa tête ce que pouvait valoir cette table et ce qu'il y avait dessus; puis il estima tant bien que mal le prix des six chaises, des deur fauteuils, du bahut, de la pendule. Quand il eut fait son compte, il reporta ses yeux sur Prosper, qui lui tournait toujours le dos et semblait absorbé dans son travail. En face de la table à écrire, il y avait une glace, et dans cette glace Didier pouvait apercevoir la figure de Prosper. Il s'assura de nouveau que son demi-frère ressemblait beaucoup à leur père; c'étaient les mêmes cheveux crépus, le même. front étroit, mais élevé, le même nez aquilin, le même menton un peu pointu. Seulement Prosper était plus beau, l'ensemble de ses traits plus régulier.

Prosper continuait d'écrire. Didier perdit patience. Il se leva. >Je vois, monsieur, dit-il, que j'arrive dans un mauvais moment<.... Prosper eut l'air ou se donna l'air de se réveiller; il secoua sa tête et ses cheveux ébouriffés comme pour chasser le démon poétique qui le possédait, il repoussa du talon le tabouret sur lequel reposaient ses pieds et qui était apparemment le trépied de Delphes, posa sa plume avec un geste solennel, toisa Didier. »>Qu'y a-t-il pour votre service?« demanda-t-il sèchement.

>>Je ne sais, monsieur, comment vous expliquer.... Ma démarche

1 Cagoule, a sort of monastic garment of ample dimensions.

2 I. e. his study by no means gave one the idea that he was poor. La bohême (v. p. 719, n. 2) is applied by extension to the life and manners of tramps and vagabonds, and also of poor artists and authors, who lead a life of poverty and disorder.

3 Capitonné, of quilted silk.

Bahut (ba-u), an antique cabinet.

5 Tke name bric-a-brac, which is now also used by English collectors, is given to all sorts of antique and curious objects, e. g. cabinets, prints, statuettes, vases etc.

6 Dishevelled.

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