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GIBOYER. Ah! Monsieur tient à voir briller sur sa devanture1 l'insigne de l'honneur?

VERNOUILLET. Dans un an je veux être estampillé de tous les ordres de l'Europe. (Ouvrant une autre lettre.) De mon agent de change.... Diable! hausse d'un franc! C'est demain la liquidation, et j'ai vendu cent mille. Je suis dans de beaux draps! 2

GIBOYER. Pourquoi cette hausse?

VERNOUILLET. La visite de l'empereur de Russie à la reine d'Angleterre est démentie.

GIBOYER. Ah! oui, par le Courrier de Paris.

VERNOUILLET. Belle autorité! Faut-il que ces boursiers soient jo

bards!3

GIBOYER. Le Courrier est en général bien informé.

VERNOUILLET. J'ai cent raisons de croire qu'il l'est mal aujourd'hui. GIBOYER. Tu en as même cent mille.

VERNOUILLET. Cours aux bureaux du journal; fais-moi une correspondance de Saint-Pétersbourg: le tzar est parti. Nous rectifierons après la liquidation, s'il y a lieu.

GIBOYER. Il est toujours beau de confesser une erreur.

Devanture literally show-window, is here humorously applied to

the button-hole adorned with the ribbon of some order.

2 I. e. a critical situation, familiar, as in English a nice mess.

3 Jobard, a familiar expression, meaning a person easily taken in, a greenhorn.

R. Platz, Manual of French Literature.

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OCTAVE FEUILLET.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.1

OCTAVE FEUILLET was born in 1822 at Saint-Lô, in Normandy,

where his father was secretary-general to the prefecture. He received a classical education at the collége Louis-le-Grand, and about 1848 became known as the author of various tales (nouvelles), comedies, and comédies-proverbes, which he published in different newspapers and magazines, especially the Revue des Deux Mondes. During the first period of his literary career M. Octave Feuillet was a follower and imitator of Alfred de Musset,2 reproducing his exquisite gracefulness, while he avoided his excesses, but little by little he acquired a style of his own.

He began to make a name in literature just as the great struggle between the romantiques and the classiques was drawing to a close, but while romanticism3 was still in the ascendant: his genius was necessarily influenced by the tone of its surroundings, and we find in M. Octave Feuillet's works all that elegance, that love of curious and archaïc forms, that contempt for all that is hackneyed and vulgar, which characterized the new school: at the same time he was led by it frequently to forget simplicity for mannerism. All these qualities of romanticism, whether good or bad, he assimilated, but he rejected that morbid love of paradox and eccentricity for its own sake, which his healthy mind could not approve, while he imported its exquisite poetry into the relations of every day life and devoted his remarkable talents to the worship and defence of the eternally true and beautiful. The most noteworthy of M. Octave Feuillet's plays and comédies-proverbes are le Village, la Fée, le Cheveu blanc (1856), Dalila, a drama in three acts (1857), Montjoie (1863), la Belle au Bois dormant, a drama in five acts (1865), le Cas de Conscience (1867), Julie (1869), l'Acrobate (1873), le Sphinx (1874).

Among his novels we name La Petite Comtesse (1856) and Le Roman d'un Jeune Homme pauvre (1858), which he subsequently produced on the stage, L'histoire de Sibylle (1862), Monsieur de Camors and Julia de Trécaur (1871). In 1862 M. Octave Feuillet was elected a member of the French Academy, in the place of Scribe.

I. DALILA.
(1857.)

The name of this play is allegorical and sufficiently indicates its leading idea. As Samson in the Bible perishes because he sacrifices to his love for a woman the outward symbol of the superhuman strength with which God has endowed him for the deliverance of his chosen people, so the hero of the play falls, because he destroys the God-given genius within him by a life of profligacy and disorder. He becomes faithless to the vows which bind him to his intended wife, the daughter of the man who has enriched and developed his talents for several years

We have followed Vapereau, Dictionnaire des contemporains_and Emile Montégut's article on Octave Feuillet in the Revue des Deut Mondes (December 1858). 3 V. the article on Victor Hugo, p. 591 and 592.

2 V. p. 650.

by his patient and conscientious teaching, he flings away the hope of a happy and tranquil life, and all this for the sake of a heartless coquette. This second Dalila, when she has conquered his heart, wasted his strength and mind in the petty conflicts of miserable intrigues and the agonies of jealousy, in her turn deserts him for another, and leaves him a prey to remorse and despair.

The chevalier Carnioli, an Italian diplomatist and an enthusiastic lover of music, has discovered in a Dalmatian village a lad of extraordinary musical talent, named André Roswein, who revealed his musical genius to the traveller, by the wonderful manner in which, though untutored, he played on the violin. Carnioli has taken him with him and had him educated first at Rome, next at Naples, and soon the talents of the youth being developed by first-rate masters, he bids fair to become both a poet and a composer of no ordinary merit. At Naples the youthful artist has had lessons of the most famous teacher of music in that town, old Sertorius, who with his daughter Martha lives at a cottage near the Pausilippus, on the bay of Naples and within view of Mount Vesuvius. It is in this cottage that the two following scenes of the drama are laid. The young composer has just finished his first opera, which has been accepted at the theatre of San Carlo and is to be performed that very evening.

ACTE I, SCÈNE I et II.1

MARTHE. A propos, mon père, n'est-il pas étrange que nous n'ayons pas vu M. Roswein depuis plus de quinze jours?

SERTORIUS. Nullement, mon enfant. Il doit être dans le feu de ses répétitions. Poëte et compositeur tout à la fois, ce n'est pas une mince besogne! . . . . Pauvre André! voilà une rude épreuve pour sa santé de demoiselle!

MARTHE. Vous n'avez pas entendu dire qu'il fût malade?

SERTORIUS. Du tout.... au contraire. Le chevalier Carnioli, qui faillit m'écraser hier sur le quai, me cria du haut de son char: Bonjour, maître.... André va bien.... Puis il ajouta quelques paroles que je n'entendis pas . . . . c'est un tourbillon que ce Carnioli. . . . Mais qu'as-tu donc, ma fille? tu sembles troublée . . . . inquiète.

MARTHE (prenant un journal sur la table). Vous n'avez pas lu ce journal, mon père? il annonce pour ce soir l'opéra de M. Roswein.... SERTORIUS (vivement). Pour ce soir? .... c'est impossible, Marthe. MARTHE. Voyez. . . . cela m'a préoccupée tout le jour.

SERTORIUS (lisant). »Théâtre Saint-Charles. Ce soir, 15 mai, première représentation de la Prise de Grenade, opéra en trois actes, attribué pour les paroles et pour la musique au jeune maestro dalmate André Roswein. La présence de la cour ajoutera à l'éclat de cette fête, impatiemment attendue par le monde entier des dilettanti. On sait que le maestro, déjà connu à Naples par plusieurs compositions transcendantes, est l'élève favori du savant Sertorius.< 15 mai.... C'est ce soir en effet. ... Voilà ce qu'ajoutait Carnioli. . . . Allons! c'est bien! (Il rend le journal à sa fille d'une main tremblante.) MARTHE. Il est à peine croyable, mon père, que M. André ne vous ait pas même envoyé un billet pour cette représentation?

1

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We reprint these scenes and the following extract by permission of the publisher, M. Calmann Lévy.

(N

SERTORIUS (avec amertume). Pourquoi donc? est-ce que tu n'as pas entendu? la cour y sera! qu'a-t-il besoin de nous? reprend le journal.) Ah! le savant Sertorius! Oui, cela fait bien dans une réclame! mon élève favori! . . . sans doute!

et reconnaissant! . . . . cela va sans dire!

MARTHE. C'est une erreur de ce journal, mon père. . . . un tel excès de négligence vis-à-vis de vous, qui l'avez fait ce qu'il est, serait trop surprenant, trop indigne!

SERTORIUS. Surprenant? pas du tout. Indigne, c'est différent! (Avec une émotion croissante.) Oui, que cet enfant, que j'ai enrichi en peu d'années de toute la science d'une longue vie, dont j'ai fécondé le génie au feu le plus ardent de mon âme, à qui j'ai versé, pour ainsi dire, dans les veines le meilleur sang de mon cœur, que cet enfant, dès sa première heure de triomphe, dédaigne son vieux maître, le père de son esprit! et le laisse à la porte comme un valet à sa livrée. ... oui, cela est indigne!.... Pardon, ma fille, tu m'as vu supporter en riant bien des ingratitudes. . . . mais celle-ci ne me serait pas plus sensible quand la main d'un fils m'en aurait porté le coup.. oui, la main d'un fils! c'est la pure vérité!

MARTHE (l'embrassant). Mon père, un peu de patience seulement, et tout s'expliquera pour le mieux, vous verrez.

SERTORIUS. Tout est expliqué, ma fille. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je connais cette espèce. (Il se lève et marche avec agitation.) Si les sept péchés capitaux ont besoin d'un blason, je me charge de le leur fournir: une plume et un pinceau, un ébauchoir et un archet! - Il semble véritablement, Marthe, qu'une sorte de malédiction pèse sur ce nom d'artiste dont s'affuble aujourd'hui tout ce qui défriche ou pille, à un titre quelconque, le champ de l'idéal.... Voilà ce Roswein: si jamais visage humain porta l'empreinte d'une âme élevée, simple et loyale, c'est le doux et sévère visage de ce jeune homme. Eh bien! tu le vois, il n'a pas fait deux pas dans sa fatale carrière, qu'il se retourne et nous montre le front d'un traître; il faut, bon gré mal gré, qu'à la première page de sa vie d'artiste il inscrive une lâche action. . . . il faut que l'enfant gagne ses éperons! Ah! ma fille, il y a eu, tu le sais, dans ma vie un moment terrible: celui où tout près de recueillir dans l'applaudissement public le fruit de mes veilles enthousiastes, je sentis tout à coup mes doigts et mon cerveau même comme frappés de paralysie; cette timidité maladive, pétrifiante, qui me suivit partout où j'essayai, sous quelque forme que ce fût, de répandre au dehors les flots harmonieux qui bouillonnaient dans ma tête, ce mal bizarre et ridicule me plongea dans les derniers abimes du désespoir . . . . Mais combien de fois depuis j'ai remercié Dieu de sa rigueur paternelle! combien je le bénis surtout aujourd'hui, dans la paix de ma conscience et dans la dignité de ma vieillesse! (Marthe lui a pris le bras et marche près de lui; après un silence, il reprend:) Quelle heure est-il donc, mon enfant?

MARTHE. Voici l'Angelus qui sonne aux Camaldules, 1

The convent of Camaldoli is the point among the environs of Naples from which the most beautiful and comprehensive view is obtained of the city, the bay, Mount Vesuvius, Sorrento, Capri, etc.

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SERTORIUS. L'Angelus déjà! Allons! il ne peut venir maintenant.... tout est dit.... pour aujourd'hui et pour toujours, c'est un ingrat! (André Roswein entre sur ces mots et se jette dans les bras de Sertorius.)

ANDRE (l'embrassant avec force). Que vous ai-je fait? voyons. comment ai-je mérité cela? qui est-ce qui est injuste? qui est-ce qui est ingrat? Ah! Dieu! quel homme!

SERTORIUS. Allons! la paix! la paix! ne m'étouffe pas, mon gargon.... je suis bien aise de te voir, mon ami.... je suis enchanté de te voir, j'en conviens. C'est ce journal, cet imbécile de journal qui annonçait ton opéra pour ce soir

ANDRÉ. Mais il a raison.

....

SERTORIUS. Eh bien! mon enfant, tu m'avoueras, en ce cas-là, que j'avais quelque droit d'attendre aujourd'hui un message de ta part, et que, voyant approcher la nuit, j'étais fondé en quelque sorte à désespérer.

ANDRE. Certainement, cher maître, j'aurais pu vous envoyer votre loge ce matin; mais je tenais à vous l'apporter moi-même et à vous embrasser une dernière fois avant la bataille. . . . A ma première minute de liberté, je suis accouru.

SERTORIUS. Bien, très-bien, André, n'en parlons plus eu tort. . . . Ah çà! c'est donc pour ce soir, sérieusement? ANDRÉ. Très-sérieusement.

....

SERTORIUS (se frottant les mains, avec jovialité). Diantre! oh! oh! .... Mais, dis-moi donc, jeune homme sais-tu que c'est fort grave cela? .... Et tu ris, je crois? .... Il rit, Marthe, ma parole d'honneur! Ces jeunes gens riraient à la bouche du canon!.... Mais, voyons, André, sois franc, quelle est ton impression réelle à l'approche de cette crise? Quel effet ressens-tu intérieurement? Le cœur bat-il un peu la chamade,1 hein, garçon?

ANDRÉ. Je suis dans un état singulier. Je m'entends parler et marcher, comme si je marchais et parlais sous une voûte d'une sonorite particulière. Quoique j'aie passé mes trois dernières nuits à refaire mon ouverture, il me semble que de ma vie je n'aurai besoin de dormir. Je me sens la légèreté d'un oiseau, et je ne sais pas pourquoi je ne m'envole pas, car j'ai une belle peur.

SERTORIUS. Or, çà, que voulais-je donc te demander encore?.... Ah! que pensent-ils de ton œuvre, ces gens de théâtre?

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ANDRÉ. Rien. Ils me le diront à minuit. Ah! cher maître, si vous aviez voulu me faire la grâce d'entendre une seule répétition, je serais plus tranquille; car, en vérité, c'est vous que je redoute bien plus que le public.

SERTORIUS. Mon ami, j'ai eu pour me refuser à ton désir plusieurs raisons excellentes. D'abord mon appréciation, portant sur l'ensemble de l'œuvre, sera plus sûre, plus complète et te sera plus profitable. Ensuite, j'ai pu en toute conscience déclarer à droite et à gauche que je ne connaissais pas une seule note de ton opéra,

1 The chamade is the signal made by a besieged garrison, by beating a drum, sounding a bugle, or hoisting a white flag, to indicate that they wish to capitulate. Hence figuratively, battre la chamade (lit. to sound a parley) avoir peur.

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