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regarde pas dormir nos enfants! Tu vois bien qu'il n'y a pas de vrai bonheur dans l'égoïsme, puisque, seule comme me voilà, séparée de tout ce que j'aime, le cœur me bat de joie à travers les larmes, et que je vais remercier Dieu à deux genoux avant de m'endormir.

Pendant que Mlle de Saint-Geneix écrivait à sa sœur, la marquise de Villemer causait avec le plus jeune de ses fils dans son petit salon du faubourg Saint-Germain. La maison était vaste et d'un bon rapport; pourtant la marquise, riche autrefois et maintenant fort gênée, nous en saurons bientôt la cause, occupait depuis peu le second étage, afin de tirer parti du premier.

>>Eh bien; chère maman, disait le marquis à sa mère, êtes-vous contente de votre nouvelle demoiselle de compagnie? Vos gens m'ont dit qu'elle était arrivée. Mon cher enfant, répondit la marquise, je ne vous en dirai qu'un mot, c'est qu'elle m'a ensorcelée. — Vraiment? contez-moi cela. Ma foi, je ne sais pas trop si je le dois, j'ai peur de vous monter la tête d'avance. Ne craignez rien, répondit tristement le marquis, que sa mère avait essayé de faire sourire; quand même je serais aussi prompt à m'enflammer, je sais trop ce que je dois à la dignité de votre maison et au repos de votre vie. Oui, oui, mon ami! Je sais aussi, moi, que je peux être tranquille sur une question d'honneur et de délicatesse quand c'est à vous que j'ai affaire; aussi je peux vous dire que cette petite d'Arglade m'a trouvé une perle, un diamant, et que, pour commencer, ce phénix m'a fait faire des folies!<«<

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La marquise raconta son entretien avec Caroline et fit ainsi son portrait. >>Elle n'est ni grande ni petite, elle est très-bien faite, des pieds mignons, des mains d'enfant, des cheveux blond cendré en quantité, un teint de lis et de roses, des traits exquis, des dents de perles, un petit nez très-ferme, de beaux grands yeux vert de mer qui vous regardent tout droit sans hésitation, sans rêvasserie, sans fausse timidité, avec une candeur et une confiance qui plaisent et engagent; rien d'une provinciale, des manières qui en sont d'excellentes à force de n'en être pas; beaucoup de goût et de distinction dans la pauvreté de son ajustement; enfin tout ce que je craignais et pourtant rien de ce que je craignais, c'est-à-dire la beauté qui m'inspirait de la méfiance et aucune des afféteries ou des prétentions qui eussent justifié cette méfiance-là. De plus, une voix et une prononciation qui font de sa lecture une vraie musique, un solide talent de musicienne, et par-dessus tout cela toutes les apparences, tous les signes évidents de l'esprit, de la raison, de la sagesse et de la bonté: si bien qu'intéressée et bouleversée par son dévouement à une famille pauvre, à laquelle je vois bien qu'elle se sacrifie, j'ai oublié mes projets d'économie et me suis engagée à lui donner les yeux de la tête.<< >>S'est-elle donc fait marchander? demanda le marquis. Tout au contraire, elle s'arrangeait de ce que j'avais résolu de lui donner. En ce cas, vous avez bien fait, maman, et je suis heureux que vous ayez enfin une société digne de vous. Vous avez gardé trop longtemps cette vieille fille gourmande et dormeuse qui vous impa

tientait, et quand il s'agit de la remplacer par un trésor, vous auriez grand tort de compter ce qu'il en coûte. Oui, reprit la marquise, voilà ce que votre frère me dit aussi. Ni lui ni vous ne voulez compter, mes chers enfants, et je crains bien d'avoir été trop vite dans cette satisfaction que je me suis donnée. Cette satisfaction vous était nécessaire, dit le marquis avec vivacité, et vous devez d'autant moins vous la reprocher que vous avez cédé surtout au besoin de faire une bonne action. Je l'avoue, mais j'ai peut-être eu tort, répondit la marquise d'un air soucieux: on n'a pas toujours le droit de faire le bien! Ah! ma mère! s'écria le fils avec un mélange d'indignation et de douleur, quand vous en serez à ce point de vous refuser la joie de l'aumône, le mal que j'ai commis sera bien grand! - Du mal! vous? Quel mal? reprit la mère étonnée et inquiète; vous n'avez jamais commis de mal, mon cher fils. Pardonnez-moi, dit le marquis toujours ému. J'ai été coupable le jour où je me suis engagé, par respect pour vous, à payer les dettes de mon frère! Taisez-vous! s'écria la marquise en pâlissant. Ne parlons pas de cela, nous ne nous entendrions pas.< Elle tendit les mains au marquis pour atténuer l'amertume involontaire de cette réponse. Le marquis baisa les mains de sa mère et se retira peu d'instants après.

Le lendemain, Caroline de Saint-Geneix sortit pour mettre ellemême à la poste la lettre chargée qu'elle envoyait à sa sœur, et voir les quelques personnes avec lesquelles, du fond de sa province, elle avait conservé des relations. C'étaient d'anciens amis de sa famille qu'elle ne rencontra pas tous et à qui elle laissa son nom sans donner son adresse, puisqu'elle ne devait plus avoir de domicile qui lui fût propre. Elle éprouva bien une certaine tristesse à se sentir ainsi perdue et comme inféodée dans une maison étrangère; mais elle ne fit pas de longues réflexions sur sa destinée. Outre qu'elle s'était interdit une fois pour toutes de nourrir en elle-même aucune mélancolie débilitante, elle n'était pas d'un caractère craintif, et aucune épreuve, quelque fâcheuse qu'elle eût été, ne l'avait brouillée avec la vie. Il y avait dans son organisation une étonnante vitalité, une activité ardente et d'autant plus remarquable qu'elle s'alliait à une grande tranquillité d'esprit et à une singulière absence de préoccupations personnelles. Ce caractère assez exceptionnel se développera et s'expliquera par la suite de notre récit, autant qu'il nous sera possible; mais il est nécessaire que le lecteur veuille bien se rappeler ceci, qui est connu de tout le monde, à savoir que personne ne peut expliquer complétement et mettre dans un jour absolu le caractère d'une autre personne. Tout individu a au fond de son être un mystère de puissance ou d'impuissance qu'il peut d'autant moins révéler qu'il ne le comprend pas lui-même. L'analyse doit paraitre satisfaisante quand elle approche de la vérité, mais elle ne saurait la saisir sur le fait sans laisser incomplète ou obscure quelque face de l'éternel problème des choses de l'âme.

BARBIER.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.

HENRI-AUGUSTE BARBIER was born at Paris in 1805. He read for the bar, was called, and even took the degree of licencie. But soon following his natural bent he became an author, writing a novel, Les Mauvais garçons, which is mainly a picture of French society in the Middle Ages. After the revolution of July he took up satire and inveighed in his Iambics1 against the ambition and the corrupt morals of the day. In the noble poem L'Idole, in which hatred and an unwilling admiration go hand in hand, he had the daring, great for a Frenchman, to call Napoleon the author of all the calamities that had befallen France. Unfortunately the poems which M. Barbier has subsequently published have by no means fulfilled the hopes which such a beginning had raised. He was elected a member of the French Academy in 1869.

ÏAM BES.

L'IDOLE.

I.

Allons, chauffeur, allons, du charbon, de la houille,
Du fer, du cuivre et de l'étain;

Allons, à large pelle, à grands bras plonge et fouille,
Nourris le brasier, vieux Vulcain:

Donne force pâture à l'avide fournaise;

Car, pour mettre ses dents en jeu,
Pour tordre et dévorer le métal qui lui pèse,
Il lui faut le palais en feu.

C'est bon, voici la flamme ardente, folle, immense,
Implacable et couleur de sang,

Qui tombe de la voûte, et l'assaut qui commence,
Chaque lingot se prend au flanc.

Ce ne sont que des bonds, que hurlements, délire,
Cuivre sur plomb et plomb sur fer;
Tout s'allonge, se tord, s'embrasse et se déchire
Comme trois damnés dans l'enfer.

Enfin l'œuvre est finie, enfin la flamme est morte,
La fournaise fume et s'éteint,

L'airain bouillonne à flots; chauffeur, ouvre la porte
Et laisse passer le hautain!

O fleuve impétueux, mugis et prends ta course,
Sors de ta loge, et d'un élan,

D'un seul bond lance-toi, comme un flot de la source,
Comme une flamme d'un volcan!

La terre ouvre son sein à tes vagues de lave;
Précipite en bloc ta fureur,

Dans le moule profond, bronze, descends esclave,
Tu vas remonter empereur.

The author comprises under the name Iambics all satires clothed
2 Palais (palate) from the Latin palatum, not

in a lyrical form.

to be confounded with palais (palace) from palatium.

II.

Encor Napoléon! encor sa grande image!
Ah! que ce rude et dur guerrier

Nous a coûté de sang et de pleurs et d'outrage
Pour quelques rameaux de laurier!

Ce fut un triste jour pour la France abattue,
Quand du haut de son piédestal,

Comme un voleur honteux, son antique statue
Pendit sous un chanvre brutal.

Alors on vit au pied de la haute colonne,
Courbé sur un câble grinçant,

L'étranger, au long bruit d'un hourra monotone,
Ébranler le bronze puissant;

Et quand sous mille efforts, la tête la première,
Le bloc superbe et souverain
Précipita sa chute, et sur la froide pierre
Roula son cadavre d'airain;

Le Hun, le Hun stupide, à la peau sale et rance,
L'œil plein d'une basse fureur,

Au rebord des ruisseaux, devant toute la France,
Traina le front de l'empereur.1

Ah! pour celui qui porte un cœur sous la mamelle
Ce jour pèse comme un remords;
Au front de tout Français, c'est la tache éternelle
Qui ne s'en va qu'avec la mort.
J'ai vu l'invasion, à l'ombre de nos marbres 2
Entasser ses lourds chariots;

Je l'ai vue arracher l'écorce de nos arbres,
Pour la jeter à ses chevaux;

J'ai vu l'homme du Nord, à la lèvre farouche,
Jusqu'au sang nous meurtrir la chair,

Nous manger notre pain, et jusque dans la bouche
S'en venir respirer notre air;

Eh bien! dans tous ces jours d'abaissement, de peine,
Pour tous ces outrages sans nom,

Je n'ai jamais chargé qu'un être de ma haine.
Sois maudit, ô Napoléon!

III.

O Corse à cheveux plats!3 que ta France était belle,
Au grand soleil de messidor!4

It was not however le Hun, le Hun stupide à la peau sale et rance (meaning the Cossacks ?) but the French themselves, at least the Royalists among them, who on March 31st 1814 tried to pull down with a rope round its neck the statue of the Emperor on the colonne Vendôme. Nos marbres, i. e. the marbles we had taken from others and which they were indelicate enough to claim.

3 Cheveux plats alluding to the long straight hair, which Bonaparte wore in the Republican fashion, when general and first consul. Messidor, one of the months of the Republican calendar.

4

C'était une cavale indomptable et rebelle,
Sans frein d'acier ni rênes d'or;

Une jument sauvage à la croupe rustique,
Fumante encor du sang des rois;

Mais fière, et d'un pied fort heurtant le sol antique,
Libre pour la première fois!

Jamais aucune main n'avait passé sur elle
Pour la flétrir et l'outrager;

Jamais ses larges flancs n'avaient porté la selle
Et le harnais de l'étranger;

Tout son poil reluisait, et, belle vagabonde,
L'œil haut, la croupe en mouvement,

Sur ses jarrets dressée, elle effrayait le monde
Du bruit de son hennissement.
Tu parus, et sitôt que tu vis son allure,
Ses reins si souples et dispos,

Centaure impétueux, tu pris sa chevelure,
Tu montas botté sur son dos.

Alors, comme elle aimait les rumeurs de la guerre,
La poudre, les tambours battants,

Pour champ de course, alors, tu lui donnas la terre,
Et des combats pour passe-temps:

Alors, plus de repos, plus de nuits, plus de sommes,
Toujours l'air, toujours le travail,

Toujours comme du sable écraser des corps d'hommes,
Toujours du sang jusqu'au poitrail!

Quinze ans, son dur sabot dans sa course rapide
Broya des générations;

Quinze ans, elle passa fumante, à toute bride,
Sur le ventre des nations.

Enfin, lasse d'aller sans finir sa carrière,
D'aller sans user son chemin,

De pétrir l'univers, et comme une poussière,
De soulever le genre humain,
Les jarrets épuisés, haletante et sans force,
Près de fléchir à chaque pas,

Elle demanda grâce à son cavalier corse;
Mais, bourreau, tu n'écoutas pas!

Tu la pressas plus fort de ta cuisse nerveuse;
Pour étouffer ses cris ardents,

Tu retournas le mors dans sa bouche baveuse,
De fureur tu brisas ses dents;

Elle se releva: mais un jour de bataille, 2
Ne pouvant plus mordre ses freins,
Mourante, elle tomba sur un lit de mitraille
Et du coup te cassa les reins.

The word France being a feminine, the poet has to use jument and cavale in his metaphor.

2 The battle of Waterloo.

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