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MÉRIMÉE.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.

PROSPER MÉRIMÉE, archeologist, historian and novelist, born at

Paris in 1803, died in 1870, was the son of a distinguished painter. He studied for the bar and then took a government appointment, while at the same time he engaged in literary pursuits. He was successively employed at the Board of Trade and the Admirality; in 1831 he was appointed inspector of the historical monuments of France and under the second Empire was raised to the rank of senator. He had already in 1825 published his Théâtre de Clara Gazul, supposed to be a Spanish comedy, and in 1827 a collection of Illyrian songs which he attributed to Hyacinth Maglanovich, two pieces of literary mystification which were both perfectly successful, and the former of which powerfully assisted the Romantic movement in France. The neatness and elegance of style we admire in these works characterize all his other productions, chiefly novels and tales. (Tamango, la Prise de la Redoute, la Vénus d'Ille, le Vase étrusque, Matteo Falcone, Colomba, etc.). His other works are: Chronique du règne de Charles IX, Histoire de don Pedro Ier, roi de Castille, Les faux Démétrius, Mélanges historiques et littéraires, Monuments historiques, etc. His Lettres à une inconnue were published after his death. Mérimée had been elected a member of the French Academy1 in 1844.

I. LA PRISE DE LA REDOUTE.

Un militaire de mes amis, qui est mort de la fièvre, en Grèce, il y a quelques années, me conta un jour la première affaire à laquelle il avait assisté. Son récit me frappa tellement que je l'écrivis de mémoire aussitôt que j'en eus le loisir.

>Je rejoignis le régiment le 4 septembre au soir. Je trouvai le colonel au bivac. Il me reçut d'abord assez brusquement; mais après avoir lu la lettre de recommandation du général B . . ., il changea de manières, et m'adressa quelques paroles obligeantes.

Je fus présenté par lui à mon capitaine, qui revenait à l'instant même d'une reconnaissance.2 Ce capitaine, que je n'eus guère le temps de connaître, était un grand homme brun, d'une physionomie dure et repoussante. Il avait été simple soldat, et avait gagné ses épaulettes et sa croix sur les champs de bataille. Sa voix, qui était enrouée et faible, contrastait singulièrement avec les proportions presque gigantesques de sa personne. On me dit qu'il devait cette voix étrange à une balle qui l'avait percé de part en part à la bataille d'Iéna.

En apprenant que je sortais de l'école de Fontainebleau, il fit la grimace, et dit: »Mon lieutenant est mort hier . . .« Je compris qu'il voulait dire: >>C'est vous qui devez le remplacer, et vous n'en êtes pas capable.« Un mot piquant me vint sur les lèvres, mais je

me contins.

1

On the occasion of Mérimée's election (he was then inspector of historical monuments) the following verses were circulated in Paris:

Mérimée, exerçant l'active surveillance

Qu'il doit aux monuments antiques de la France,
De ses courses n'a plus l'embarras hasardeux,

Car il va désormais siéger au milieu d'eux.

La lune se leva derrière la redoute de Cheverino, située à deux portées de canon de notre bivac. Elle était large et rouge comme cela est ordinaire à son lever. Mais ce soir elle me parut d'une grandeur extraordinaire. Pendant un instant, la redoute se détacha en noir sur le disque éclatant de la lune. Elle ressemblait au cône d'un volcan au moment de l'éruption.

Un vieux soldat auprès de qui je me trouvais, remarqua la couleur de la lune. »Elle est bien rouge, dit-il, c'est signe qu'il en coûtera bon pour l'avoir, cette fameuse redoute!<< J'ai toujours été superstitieux, et cet augure, dans ce moment surtout, m'affecta. Je me couchai, mais je ne pus dormir. Je me levai, et je marchai quelque temps, regardant l'immense ligne de feux qui couvrait les hauteurs au-delà du village de Cheverino.

Lorsque je crus que l'air frais et piquant de la nuit avait assez rafraîchi mon sang, je revins auprès du feu; je m'enveloppai soigneusement de mon manteau, et je fermai les yeux, espérant ne pas les ouvrir avant le jour.

Mais le sommeil me tint rigueur. Insensiblement mes pensées prenaient une teinte lugubre. Je me disais que je n'avais pas un ami parmi les cent mille hommes qui couvraient la plaine. Si j'étais blessé, je serais dans un hôpital, traité sans égards par des chirurgiens ignorants. Ce que j'avais entendu dire des opérations chirurgicales me revint à la mémoire. Mon cœur battait avec violence, et machinalement je disposais comme une espèce de cuirasse le mouchoir et le portefeuille que j'avais sur la poitrine. La fatigue m'accablait, je m'assoupissais à chaque instant, et à chaque instant quelque pensée sinistre se reproduisait avec plus de force, et me réveillait en sursaut.

Cependant la fatigue l'avait emporté, et quand on battit la diane, j'étais tout à fait endormi. Nous nous mimes en bataille, on fit l'appel, puis on remit les armes en faisceaux, et tout annonçait que nous allions passer une journée tranquille.

Vers les trois heures, un aide-de-camp arriva, apportant un ordre. On nous fit reprendre les armes; nos tirailleurs se répandirent dans la plaine; nous les suivîmes lentement, et au bout de vingt minetes, nous vîmes tous les avant-postes des Russes se replier et rentrer dans la redoute.

Un corps d'artillerie vint s'établir à notre droite, un autre à notre gauche, mais tous les deux bien en avant de nous. Ils commencèrent un feu très-vif sur l'ennemi, qui riposta énergiquement, et bientôt la redoute de Cheverino disparut sous des nuages épais de fumée.

Notre régiment était presque à couvert du feu des Russes par un pli du terrain. Leurs boulets, rares d'ailleurs pour nous, car ils tiraient de préférence sur nos canonniers, passaient au-dessus de nos têtes, ou tout au plus nous envoyaient de la terre et de petites pierres

Aussitôt que l'ordre de marcher en avant eut été donné, mon capitaine me regarda avec une attention qui m'obligea à passer deur ou trois fois la main sur ma jeune moustache d'un air aussi dégagé qu'il me fut possible. Au reste, je n'avais pas peur, et la seule crainte que j'éprouvasse, c'était que l'on ne s'imaginât que j'avais peur. Les boulets inoffensifs contribuèrent encore à me maintenir

dans mon calme héroïque. Mon amour-propre me disait que je courais un grand danger, puisque enfin j'étais sous les feux d'une batterie. J'étais enchanté d'être si à mon aise, et je pensai au plaisir de raconter la prise de Cheverino dans le salon de madame de Saint-Luxan, rue de Provence.

Le colonel passa devant notre compagnie; il m'adressa la parole: >>Eh bien! vous allez en voir de grises, pour votre début.<<< Je souris d'un air tout à fait martial, en brossant la manche de mon habit, sur laquelle un boulet, tombé à trente pas de moi, avait envoyé un peu de poussière.

Il paraît que les Russes s'aperçurent du peu d'effet de leurs boulets, car ils les remplacèrent par des obus, qui pouvaient plus facilement nous atteindre dans le creux où nous étions postés. Un assez gros éclat m'enleva mon shako, et tua un homme auprès de moi.

>>Je vous fais mon compliment, me dit le capitaine, comme je venais de ramasser mon shako; vous en voilà quitte pour la journée.<< Je connaissais cette superstition militaire qui croit que ce mot non bis in idem est un axiome aussi bien sur un champ de bataille que dans une cour de justice. Je remis fièrement mon shako. »C'est faire saluer les gens sans cérémonie,« dis-je aussi gaiement que je pus. Cette mauvaise plaisanterie, vu la circonstance, parut excellente. >Je vous félicite, reprit le capitaine: vous n'aurez rien de plus, et vous commanderez une compagnie ce soir; car je sens bien que le four chauffe pour moi. Toutes les fois que j'ai été blessé, l'officier auprès de moi a reçu quelque balle morte; et ajouta-t-il d'un ton plus bas et plus honteux, leurs noms commençaient toujours par un P.«<

Je fis l'esprit fort; bien des gens auraient fait comme moi; bien des gens auraient été, aussi bien que moi, frappés de ces paroles prophétiques. Conscrit comme je l'étais, je sentais que je ne pouvais sacrifier mes sentiments à personne, et que je devais toujours paraître froidement intrépide.

Au bout d'une demi-heure, le feu des Russes diminua sensiblement; alors nous sortîmes de notre couvert pour marcher sur la redoute.

Notre régiment était composé de trois bataillons. Le deuxième fut chargé de tourner la redoute du côté de la gorge; les deux autres devaient donner l'assaut. J'étais dans le troisième bataillon.

En sortant de derrière l'espèce d'épaulement qui nous avait protégés, nous fûmes reçus par plusieurs décharges de mousqueterie qui ne firent que peu de mal dans nos rangs. Le sifflement des balles me surprit: souvent je tournais la tête, et je m'attirai ainsi quelques plaisanteries de la part de mes camarades, plus familiarisés avec ce bruit. A tout prendre, me dis-je, une bataille n'est pas une chose si terrible.

Nous avancions au pas de course, précédés de tirailleurs; tout à coup les Russes poussèrent trois hourras, trois hourras distincts, et restèrent silencieux et sans tirer. »Je n'aime pas ce silence, dit mon capitaine, cela ne présage rien de bon.« Je trouvai que nos gens étaient un peu trop bruyants, et je ne pus m'empêcher de faire intérieurement la comparaison de leurs clameurs tumultueuses avec le silence imposant de l'ennemi.

Les

Nous parvinmes rapidement au pied de la redoute; les palissades avaient été brisées et la terre bouleversée par nos boulets. soldats s'élancèrent sur ces ruines nouvelles, avec des cris de vive l'empereur! plus fort qu'on ne l'aurait attendu de gens qui avaient déjà tant crié.

Je levai les yeux, et jamais je n'oublierai le spectacle que je vis. La plus grande partie de la fumée s'était élevée et restait suspendue comme un dais à vingt pieds au-dessus de la redoute. Au travers d'une vapeur bleuâtre, on apercevait, derrière leur parapet à demi détruit, les grenadiers russes, l'arme haute, immobiles comme des statues. Je crois voir encore chaque soldat, l'œil gauche attaché sur nous, le droit caché par le fusil élevé. Dans une embrasure à quelques pieds de nous, un homme tenant un boute-feu était auprès d'un canon.

Je frissonnai, et je crus que ma dernière heure était venue. »Voilà la danse qui va commencer, s'écria mon capitaine. Bonsoir.<<< Ce furent les dernières paroles que je lui entendis prononcer.

Je vis se

Un roulement de tambour retentit dans la redoute. baisser tous les fusils. Je fermai les yeux et j'entendis un fracas épouvantable, suivi de cris et de gémissements. J'ouvris les yeux, surpris de me trouver encore au monde. La redoute était de nouveau enveloppée de fumée. J'étais entouré de blessés et de morts. Mon capitaine était étendu à mes pieds; sa tête avait été broyée par un boulet, et j'étais couvert de sa cervelle et de son sang. De toute ma compagnie il ne restait debout que six hommes et moi.

A ce carnage succéda un moment de stupeur. Le colonel mettant son chapeau au bout de son épée, gravit le premier le parapet, en criant vive l'empereur! Il fut suivi aussitôt de tous les survivants. Je n'ai presque plus de souvenir net de ce qui vint après. Nous entrâmes dans la redoute, je ne sais comment. On se battit corps à corps au milieu d'une fumée si épaisse que l'on ne pouvait se voir. Je crois que je frappai, car mon sabre se trouva tout sanglant. Enfin j'entendis crier: victoire! et la fumée diminuant, j'aperçus du sang et des morts, sous lesquels disparaissait la terre de la redoute. Les canons surtout étaient encombrés sous des tas de cadavres. Environ deux cents hommes debout, en uniforme français, étaient groupés sans ordre, les uns chargeant leurs fusils, les autres essuyant leurs baïonnettes. Onze prisonniers russes étaient avec eux. Le colonel était renversé tout sanglant, sur un caisson brisé, près de la gorge. Quelques soldats s'empressaient autour de lui; je m'approchai: »Où est le plus ancien capitaine?« demanda-t-il à un sergent. Le sergent haussa les épaules d'une manière très>>Et le plus ancien lieutenant?«< >>Voici monsieur qui est arrivé d'hier,« dit le sergent d'un ton tout à fait calme. Le colonel sourit amèrement. >>Allons, monsieur, me dit-il, vous commandez en chef; faites promptement fortifier la gorge de la redoute avec ces chariots, car l'ennemi est en force; mais le général C. ... va nous faire soutenir.<«< >>Colonel, lui dis-je, vous êtes grièvement blessé?«-»Flambé, mon cher, mais la redoute est prise.a

expressive.

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II. LETTRE (A UNE INCONNUE).

3 janvier 1843.

Il y a une douzaine de jours, j'ai dîné avec Mlle Rachel,1 chez un académicien. C'était pour lui présenter Béranger.2 Il y avait là quantité de grands hommes. Elle vint tard, et son entrée me déplut. Les hommes lui dirent tant de bêtises et les femmes en firent tant, en la voyant, que je restai dans mon coin. D'ailleurs, il y avait un an que je ne lui avais parlé. Après le dîner, Béranger, avec sa bonne foi et son bon sens ordinaires, lui dit qu'elle avait tort de gaspiller son talent dans les salons, qu'il n'y avait pour elle qu'un véritable public, celui du Théâtre-Français, etc. Mademoiselle Rachel parut approuver beaucoup la morale, et, pour montrer qu'elle en avait profité, joua le premier acte d'Esther. Il fallait quelqu'un pour lui donner la réplique, et elle me fit apporter un Racine en cérémonie par un académicien. Moi, je répondis brutalement que je n'entendais rien aux vers et qu'il y avait dans le salon des gens qui, étant dans cette partie-là, les scanderaient bien mieux. Hugot s'excusa sur ses yeux, un autre sur autre chose. Le maître de la maison s'exécuta. Représentez-vous Rachel en noir, entre un piano et une table à thé, une porte derrière elle et se composant une figure théâtrale. Ce changement à vue a été fort amusant et très-beau; cela a duré environ deux minutes, puis elle commenca:

Est-ce toi, chère Élise . . .

La confidente, au milieu de sa réplique, laisse tomber ses lunettes et son livre; dix minutes se passent avant qu'elle ait retrouvé sa page et ses yeux. L'auditoire voit qu'Esther enrage quelque peu. Elle continue. La porte s'ouvre derrière: c'est un domestique qui entre. On lui fait signe de se retirer. Il s'enfuit et ne peut parvenir à fermer la porte. La porte susdite, ébranlée, oscillait, accompagnant Rachel d'un mélodieux cric-crac très-divertissant. Comme cela ne finissait pas, mademoiselle Rachel porta la main sur son cœur et se trouva mal, mais en personne habituée à mourir sur la scène, donnant au monde le temps d'arriver à l'aide. Pendant l'intermède, Hugo et M. Thiers se prirent de bec5 au sujet de Racine. Hugo disait que Racine était un petit esprit et Corneille un grand. Vous dites cela, répondit Thiers, parce que vous êtes un grand esprit; vous êtes le Corneille (Hugo prenait des airs de tête très-modestes) d'une époque dont le Racine est Casimir Delavigne. Je vous laisse à penser si la modestie était de mise. Cependant l'évanouissement passe et l'acte s'achève, mais fiascheggiando. Voilà mon histoire, ne me compromettez pas auprès des académiciens, c'est tout ce que je vous demande.

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1 Rachel (1820-1858), a celebrated tragic actress of the ThéâtreFrançais, was born in the canton of Thurgau in a poor Jewish family of the name of Felix. Her leading parts were Camille, Hermione, Athalie, Lucrèce. 2 V. p. 472. p. 165. A familiar expression for se prendre de querelle. V. p. 164. 7 V. p. 1.

5

R. Platz, Manual of French Literature.

3 V.

8

V. p. 520.

40

V. p. 591.

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