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Mais, mon père, pour vous dire la vérité, je me défie un peu de vos promesses; et je doute que vos auteurs en disent autant que Vous me faites tort, dit le père; je n'avance rien que je ne prouve, et par tant de passages, que leur nombre, leur autorité et leurs raisons vous rempliront d'admiration.

vous.

Car, pour vous faire voir l'alliance que nos pères ont faite des maximes de l'Évangile avec celles du monde, par cette direction d'intention, écoutez notre P. Reginaldus. »Il est défendu aux particuliers de se venger; car saint Paul dit (Rom. chap. XII): Ne rendez à personne le mal pour le mal; et l'Ecclésiaste, (ch. XXVIII): Celui qui veut se venger attirera sur soi la vengeance de Dieu, et ses péchés ne seront point oubliés. Outre tout ce qui est dit, dans l'Évangile, du pardon des offenses, comme dans les chapitres VI et XVIII de saint Matthieu.<<< Certes, mon père, si après cela il dit autre chose que ce qui est dans l'Ecriture, ce ne sera pas manque de la savoir. Que conclut-il donc enfin? - Le voici, dit-il: »De toutes ces choses, il parait qu'un homme de guerre peut sur l'heure même poursuivre celui qui l'a blessé; non pas, à la vérité, avec l'intention de rendre le mal pour le mal, mais avec celle de conserver son honneur: Non ut malum pro malo reddat, sed ut conservet honorem.<<

Voyez-vous comment ils ont soin de défendre d'avoir l'intention de rendre le mal pour le mal, parce que l'Écriture le condamne? Ils ne l'ont jamais souffert. Voyez Lessius: 2 »Celui qui a reçu un soufflet ne peut pas avoir l'intention de s'en venger; mais il peut bien avoir celle d'éviter l'infamie, et pour cela de repousser à l'instant cette injure, et même à coups d'épée.<< >>Nous sommes si éloignés de souffrir qu'on ait le dessein de se venger de ses ennemis, que nos pères ne veulent pas seulement qu'on leur souhaite la mort par un mouvement de haine.< Voyez notre P. Escobar:3 »Si votre ennemi est disposé à vous nuire, vous ne devez pas souhaiter sa mort par un mouvement de haine, mais vous le pouvez bien faire pour éviter votre dommage.<< Car cela est tellement légitime avec cette intention, que notre grand Hurtado de Mendoza dit: »qu'on peut prier Dieu de faire promptement mourir ceux qui se disposent à nous persécuter, si on ne le peut éviter autrement.<

- Mon révérend père, lui dis-je, l'Église a bien oublié de mettre une oraison à cette intention dans ses prières. On n'y a pas mis, me dit-il, tout ce qu'on peut demander à Dieu., Outre que cela ne se pouvait pas; car cette opinion-là est plus nouvelle que le Bréviaire: Vous n'êtes pas bon chronologiste. Mais, sans sortir de ce sujet, écoutez encore ce passage de notre P. Gaspar Hurtado; c'est l'un des vingt-quatre pères d'Escobar. >>Un bénéficier peut, sans aucun péché mortel, désirer la mort de celui qui a une pension sur son bénéfice; et un fils celle de son père, et se réjouir quand elle arrive, pourvu que ce ne soit que pour le bien qui lui en revient, et non pas par une haine personnelle.«<

1

P. stands for père (v. p. 55, n. 3). Regnauld (Reginaldus) a French Casuist, was born in 1540, died in 1623. Pascal in every case quotes passages from the writings of these Fathers in support of his statements. Lessius, a Belgian Casuist, was born in 1554, died in 1623.

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Escobary Mendoza, a famous Spanish Casuist, born in 1589, died in 1669.

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O mon père! lui dis-je, voilà un beau fruit de la direction d'intention! Je vois bien qu'elle est de grande étendue; mais néanmoins il y a de certains cas dont la résolution serait encore difficile, quoique fort nécessaire pour les gentilshommes. - Proposez-les pour voir, dit le père. Montrez-moi, lui dis-je, avec toute cette direction d'intention, qu'il soit permis de se battre en duel. Notre grand Hurtado de Mendoza, dit le père, vous y satisfera sur l'heure, dans ce passage que Dianal rapporte: »Si un gentilhomme qui est appelé en duel est connu pour n'être pas dévot, et que les péchés qu'on lui voit commettre à toute heure sans scrupule fassent aisément juger que, s'il refuse le duel, ce n'est pas par la crainte de Dieu, mais par timidité; et qu'ainsi on dise de lui que c'est une poule et non pas un homme, gallina et non vir; il peut, pour conserver son honneur, se trouver au lieu assigné, non pas véritablement avec l'intention expresse de se battre en duel, mais seulement avec celle de se défendre, si celui qui l'a appelé l'y vient attaquer injustement. Et son action sera toute indifférente d'elle-même. Car quel mal y a-t-il d'aller dans un champ, de s'y promener en attendant un homme, et de se défendre si on l'y vient attaquer? Et ainsi il ne pèche en aucune manière, puisque ce n'est point du tout accepter un duel, ayant l'intention dirigée à d'autres circonstances. Car l'acceptation du duel consiste en l'intention expresse de se battre, laquelle celui-ci n'a pas.«<

FRAGMENT DE LA NEUVIÈME LETTRE.

Maximes des casuistes sur les restrictions mentales.

Je veux maintenant vous parler des facilités que nous avons apportées pour faire éviter les péchés dans les conversations et dans les intrigues du monde. Une chose des plus embarrassantes qui s'y trouve est d'éviter le mensonge, et surtout quand on voudrait bien faire accroire une chose fausse. C'est à quoi sert admirablement notre doctrine des équivoques, par laquelle il est permis d'user de termes ambigus, en les faisant entendre en un autre sens qu'on ne les entend soimême«<, comme dit Sanchez.2 - Je sais cela, mon père, lui dis-je. - Nous l'avons tant publié, continua-t-il, qu'à la fin tout le monde en est instruit. Mais savez-vous bien comment il faut faire quand on ne trouve point de mots équivoques? Je Non, mon père. m'en doutais bien, dit-il, cela est nouveau: c'est la doctrine des restrictions mentales. Sanchez la donne au même lieu: >>On peut jurer, dit-il, qu'on n'a pas fait une chose, quoiqu'on l'ait faite effectivement, en entendant en soi-même qu'on ne l'a pas faite un certain jour, ou avant qu'on fût né, ou en sous-entendant quelque autre circonstance pareille, sans que les paroles dont on se sert aient aucun sens qui le puisse faire connaître; et cela est fort commode en beaucoup de rencontres, et est toujours très-juste quand cela est nécessaire ou utile pour la santé, l'honneur ou le bien.<<<

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Comment! mon père, et n'est-ce pas là un mensonge, et même un parjure? Non, dit le père: Sanchez le prouve au même lieu, et notre P. Filiutius aussi, parce que, dit-il, »c'est l'intention qui

Diana, an Italian Casuist, was born in 1590, died in 1663. 2 Sanchez, a Spanish Casuist, was born in 1550, died in 1610.

règle la qualité de l'action.<< Et il y donne encore un autre moyen plus sûr d'éviter le mensonge, c'est qu'après avoir dit tout haut: Je jure que je n'ai point fait cela, on ajoute tout bas, aujourd'hui; ou qu'après avoir dit tout haut: Je jure, on dise tout bas, que je dis, et que l'on continue ensuite tout haut, que je n'ai point fait cela. Vous voyez bien que c'est dire la vérité. Je l'avoue, lui dis-je; mais nous trouverions peut-être que c'est dire la vérité tout bas, et un mensonge tout haut; outre que je craindrais que bien des gens n'eussent pas assez de présence d'esprit pour se servir de ces méthodes. Nos pères, dit-il, ont enseigné au même lieu, en faveur de ceux qui ne sauraient pas user de ces restrictions, qu'il leur suffit, pour ne point mentir, de dire simplement qu'ils n'ont point fait ce qu'ils ont fait, pourvu qu'ils aient en général l'intention de donner à leurs discours le sens qu'un habile homme y donnerait. Dites la vérité, il vous est arrivé bien des fois d'être embarrassé, manque de cette connaissance? Quelquefois, lui dis-je. - Et n'aVeuerez-vous pas de même, continua-t-il, qu'il serait souvent bien commode d'être dispensé en conscience de tenir de certaines paroles qu'on donne? Ce serait, lui dis-je, mon père, la plus grande commodité du monde! Écoutez donc Escobar au traité III, où il donne cette règle générale: »Les promesses n'obligent point, quand on n'a point intention de s'obliger en les faisant. Or, il n'arrive guère qu'on ait cette intention, à moins que l'on les confirme par serment ou par contrat: de sorte que, quand on dit simplement: Je le ferai, on entend qu'on le fera si l'on ne change de volonté; car on ne veut pas se priver par là de sa liberté.« Il en donne d'autres que vous y pouvez voir vous-même, et il dit à la fin »que tout cela est pris de Molina2 et de nos autres auteurs: omnia ex Molina et aliis. Et ainsi on n'en peut pas douter.<<

-

O mon père! lui dis-je, je ne savais pas que la direction d'intention eût la force de rendre les promesses nulles. Vous voyez, dit le père, que voilà une grande facilité pour le commerce du monde.

II. PENSÉES DÉTACHÉES.

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(IV, 1.) C'est en vain, ô hommes, que vous cherchez dans vousmême le remède à vos misères. Toutes vos lumières ne peuvent arriver qu'à connaître que ce n'est point dans vous-mêmes que vous trouvez ni la vérité, ni le bien. Les philosophes vous l'ont promis, et ils n'ont pu le faire. Ils ne savent ni quel est votre véritable bien, ni quel est votre véritable état. Comment auraient-ils donné des remèdes à vos maux, puisqu'ils ne les ont pas seulement connus? Vos maladies principales sont l'orgueil, qui vous soustrait de Dieu, la concupiscence, qui vous attache à la terre, et ils n'ont fait autre chose qu'entretenir au moins l'une de ces maladies. S'ils vous ont donné Dieu pour objet, ce n'a été que pour exercer votre superbe.3 Ils vous ont fait penser que vous lui étiez semblables et conformes par votre nature. Et ceux qui ont vu la vanité de cette prétention

1

Archaïsm: For the want of. 2 Molina, a Spanish divine, 1535-1601. The substantive superbe, (Lat. superbia) meaning pride, is no longer used except occasionally in theological writings.

vous ont jetés dans l'autre précipice, en vous faisant entendre que votre nature est pareille à celle des bêtes, et vous ont portés à chercher votre bien dans les concupiscences qui sont le partage des animaux.

(VI, 1.) En voyant l'aveuglement et la misère de l'homme, en regardant tout l'univers muet, et l'homme sans lumière abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l'univers, sans savoir qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j'entre en effroi comme un homme qu'on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s'éveillerait sans connaître où il est, et sans moyen d'en sortir. Et sur cela j'admire comment on n'entre pas en désespoir d'un si misérable état. Je vois d'autres personnes auprès de moi d'une semblable nature: je leur demande s'ils sont mieux instruits que moi, ils me disent que non; et sur cela, ces misérables égarés, ayant regardé autour d'eux, et ayant vu quelques objets plaisants, s'y sont donnés et s'y sont attachés. Pour moi, je n'ai pu y prendre d'attache,2 et, considérant combien il y a plus d'apparence qu'il y a autre chose que ce que je vois, j'ai recherché si ce Dieu n'aurait point laissé quelques marques de soi.

(XIX, 3.) La vanité est si ancrée dans le cœur de l'homme, qu'un soldat, un goujat, un cuisinier, un crocheteur se vante et veut avoir ses admirateurs; et les philosophes mêmes en veulent. Et ceux qui écrivent contre [la gloire] veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit; et ceux qui le lisent veulent avoir la gloire de l'avoir lu; et moi qui écris ceci, j'ai peut-être cette envie.

(XIX. 5.) Curiosité n'est que vanité. Le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler. Autrement on ne voyagerait pas sur la mer, pour ne jamais en rien dire, et pour le seul plaisir de voir, sans espérance d'en jamais communiquer.

(XX, 7.) Que chacun examine sa pensée, il la trouvera toujours occupée au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent: et si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin: le passé et le présent sont nos moyens; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre; et nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais, si nous n'aspirons à une autre béatitude qu'à celle dont on peut jouir en cette vie.

(XXII, 1.) La guerre intérieure de la raison contre les passions a fait que ceux qui ont voulu avoir la paix se sont partagés en deux sectes. Les uns3 ont voulu renoncer aux passions et devenir dieux; les autres ont voulu renoncer à la raison et devenir bêtes brutes. Mais ils ne l'ont pu, ni les uns ni les autres, et la raison demeure toujours, qui accuse la bassesse et l'injustice des passions, et qui trouble le repos de ceux qui s'y abandonnent; et les passions sont toujours vivantes dans ceux mêmes qui y veulent renoncer.

1 Nowadays we should say être saisi d'effroi, s'effrayer.

2 Attache in the sense of attachement is an archaïsm, but in the language of the 17th century it was of frequent occurence. Cf.:

Par sa puissante attache aux choses éternelles. MOLIÈRE (Tartuffe, 11,1).
D'ailleurs pour cet enfant leur attache est visible. RACINE (Ath., III, 3).
3 The Stoïcs.
The Epicureans.

MOLIÈRE.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.1

JEAN-BAPTISTE POQUELIN, who took the name of MOLIÈRE, was

born at Paris on the 15th of January 1622. His father was an upholsterer by trade and employed as such in the household of the king. The child lost his mother at the early age of ten and from this time was frequently entrusted to the care of his grandfather, who, it is said, was fond of taking him to the play. Though intended to follow his father's trade, young Poquelin was sent to the Collège de Clermont, then under the direction of the Jesuits, where he received a classical education. He had meanwhile acquired a taste for the stage, and in 1645 he joined a society of young gentlemen who had combined for the purpose of acting plays in public. Their undertaking proved a failure at Paris, so they betook themselves to the provinces, and thus Molière spent thirteen years of his life as a strolling actor. During this period he may be said to have served his apprenticeship as a dramatic author, for he frequently wrote comic sketches for his company, while at the same time he was developing into a first rate comic actor. Besides a number of these farces, Molière composed at this time two comedies in verse, l'Étourdi (1653) and le Dépit amoureux (1656), both of which are taken from the Italian. In these two pieces we discover numerous flashes of a comic genius of the highest order, but in both the verses are laboured and the language is often faulty.

In 1658 Molière reappeared at Paris. His company obtained the patronage of the king's brother, took the name of Troupe de Monsieur and acted in the theatre of the Petit-Bourbon before crowded audiences. It was on this stage that Molière produced the Précieuses ridicules (1659). This is the first of his plays which truly belongs to the school of the New Comedy, which aims at correcting by means of ridicule the faults, the foibles and the vices of mankind. In 1661 Molière's company took possession of the theatre of the Palais-Royal, where they settled permanently. L'Ecole des Maris, a piece modelled on Terence's Adelphi, les Focheux (1661) and l'Ecole des Femmes (1662) followed on each other in rapid succession and raised Molière's reputation very high.

In 1662, at the age of forty, he married Armande Béjart, a girl of seventeen. This ill-assorted union was not a happy one, and when in his later plays the poet had to depict the torments of a disappointed and jealous lover and the tricks of an artful coquette, he had not very far to go for his models.

The protection of Louis XIV, who allowed him a yearly pension, and the lucrative success of his pieces gave Molière a position of wealth and influence, which he generously used for the encouragement of all rising talent. Thus he befriended Racine, helping him with his advice and producing at his theatre the young author's first tragedy Les Frères Ennemis, whose subject he had himself selected. He had

"We have chiefly followed GERUZEZ, Études littéraires and GENIN'S Vie de Molière, which precedes his Lexique de la langue de Molière.

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