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ALFRED DE VIGNY.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.1

ALFRED-VICTOR, COMTE DE VIGNY, was born in 1799 at Loches

in Touraine and died in 1863. In his boyish years he had fallen in love with the glories of a soldier's life and in 1814 he entered the body-guard of Louis XVIII. In 1823 he exchanged into the line for the sake of joining the Spanish expedition, but his regiment was left behind at the Pyrenees and he devoted his enforced leisure to study and poetry. He soon got tired of a soldier's life and resigned his commission in 1828, when he devoted himself entirely to literature.

Alfred de Vigny published his first Poems between 1822 and 1826, the most noticeable of them being Moïse, Le Trappiste, Le Cor and Eloa. It was also in 1826 that he brought out the first and best of his historical novels, called Cinq-Mars. Its style and plot were much admired, but the author was justly blamed for having falsified history by unduly exalting the character of Cinq-Mars at the expense of Richelieu. Stello (1832) and Servitude et Grandeur militaires were equally successful, but provoked similar criticisms.

Alfred de Vigny has also written for the stage. In 1829 he produced a translation of Shakespeare's Othello, which is remarkable as being the first drama of the Romantic school,2 which was acted in France. The praise and the blame it earned were equally exaggerated. In 1835 the poet put on the stage Chatterton, a detached episode of his Stello, which obtained a great success. Alfred de Vigny's prose-writings and poetry are remarkable for elegance and purity of expression, but his style too frequently shows traces of labour.

LE COR.

I.

J'aime le son du cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.

Que de fois, seul, dans l'ombre à minuit demeuré,
J'ai souri de l'entendre, et plus souvent pleuré !
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques
Qui précédaient la mort des Paladins antiques.

O montagne d'azur! ô pays adoré!

Rocs de la Frazona, cirque du Marboré,
Cascades qui tombez des neiges entraînées,

Sources, gaves,3 ruisseaux, torrents des Pyrénées;

We have followed Vapereau, Dictionnaire des contemporains.

2 V. the article on Victor Hugo, p. 592.

3 Gave, a name given to torrents in the Western Pyrenees.

Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons,
Dont le front est de glace et le pied de gazons
C'est là qu'il faut s'asseoir, c'est là qu'il faut entendre
Les airs lointains d'un cor mélancolique et tendre.

Souvent un voyageur, lorsque l'air est sans bruit,
De cette voix d'airain fait retentir la nuit;

A ses chants cadencés autour de lui se mêle
L'harmonieux grelot du jeune agneau qui bêle.

Une biche attentive, au lieu de se cacher,
Se suspend immobile au sommet du rocher,
Et la cascade unit, dans une chute immense,
Son éternelle plainte au chant de la romance.
Ames des chevaliers, revenez-vous encor?
Est-ce vous qui parlez avec la voix du cor?
Roncevaux! Roncevaux! dans ta sombre vallée
L'ombre du grand Roland n'est donc pas consolée !1

II.

Tous les preux étaient morts, mais aucun n'avait fui.
Il reste seul debout, Olivier près de lui;

L'Afrique sur les monts l'entoure et tremble encore.

Roland, tu vas mourir, rends-toi, criait le More;

Tous tes Pairs sont couchés dans les eaux des torrents.
Il rugit comme un tigre, et dit: Si je me rends,
Africain, ce sera lorsque les Pyrénées

Sur l'onde avec leurs corps rouleront entraînées.

-

- Rends-toi donc, répond-il, ou meurs, car les voilà,
Et du plus haut des monts un grand rocher roula.
Il bondit, il roula jusqu'au fond de l'abîme,

Et de ses pins, dans l'onde, il vint briser la cime.

Merci! cria Roland; tu m'as fait un chemin.
Et jusqu'au pied des monts le roulant d'une main,
Sur le roc affermi comme un géant s'élance,
Et, prête à fuir, l'armée à ce seul pas balance.

III.

Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux
Descendaient la montagne et se parlaient entre eux.
A l'horizon déjà, par leurs eaux signalées,

De Luz et d'Argelès se montraient les vallées.

1 Roland, a famous hero of mediæval romance. History knows very little of him, but the legends represent him as the nephew and one of the paladins of the emperor Charlemagne. On returning from the expedition to Spain, Roland fell into an ambuscade in the pass of Roncevaux in the Pyrenees. According to the tale he called too late for help with the wonderful ivory horn he bore and perished with the flower of the Frankish chivalry (778). Cf. the Introduction p. XXI and XXII.

L'armée applaudissait. Le luth du troubadour
S'accordait pour chanter les saules de l'Adour;
Le vin français coulait dans la coupe étrangère,
Le soldat en riant, parlait à la bergère.

Roland gardait les monts; tous passaient sans effroi.
Assis nonchalamment sur un noir palefroi
Qui marchait revêtu de housses violettes,
Turpin disait, tenant les saintes amulettes:

Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu;
Suspendez votre marche: il ne faut tenter Dieu.
Par Monsieur Saint-Denis, certes ce sont des âmes
Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes.

Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor.
Ici l'on entendit le son lointain du cor.
L'empereur étonné, se jetant en arrière,
Suspend du destrier1 la marche aventurière.
Entendez-vous? dit-il.

-

Oui, ce sont des pasteurs
Rappelant des troupeaux épars sur les hauteurs,
Répondit l'archevêque, ou la voix étouffée.
Du nain vert Obéron qui parle avec sa fée.

Et l'Empereur poursuit; mais son front soucieux
Est plus sombre et plus noir que l'orage des cieux.
Il craint la trahison, et tandis qu'il y songe,

Le cor éclate et meurt, renaît et se prolonge.

Malheur! c'est mon neveu! malheur! car si Roland Appelle à son secours, ce doit être en mourant. Arrière, chevaliers, repassons la montagne!

Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l'Espagne!

IV.

Sur le plus haut des monts s'arrêtent les chevaux ;
L'écume les blanchit; sous leurs pieds, Roncevaux
Des feux mourants du jour à peine se colore.

A l'horizon lointain fuit l'étendard du More.

Turpin, n'as-tu rien vu dans le fond du torrent?

J'y vois deux chevaliers; l'un mort, l'autre expirant.

Tous deux sont écrasés sous une roche noire;

Le plus fort dans sa main élève un cor d'ivoire,
Son âme en s'exhalant nous appela deux fois.

Dieu! que le son du cor est triste au fond des bois!

TEPFFER.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.1

RODOLPHE TEPFFER was born in 1797 at Geneva, where his father was a painter. The youth intended to follow the same profession, but he was obliged to give up painting owing to an attack of ophthalmia, and devoted himself to literature and teaching instead.

He was very successful as a headmaster, and during his holidays used to take his pupils on rambles through the Alps, whence he brought back a number of essays and sketches, which were published in a series of handsomely illustrated volumes under the title Voyages en zigzag. In 1832 Topffer was appointed professor of rhetoric and literature at the Academy of Geneva. Having thenceforth a secure competence, he made use of his leisure hours for composition and published a number of charming little tales, distinguished by delicacy of thought and expression, which were subsequently collected under the title Nouvelles genevoises. Topffer's last work was Rose et Gertrude, a novel on a historical subject, on which he was engaged, when he was attacked by the disease which laid him in the grave. He died at Geneva, at the age of forty-seven. We reprint one of his Nouvelles genevoises, Le Lac de Gers, but want of space compels us to leave out several of its episodes.

LE LAC DE GERS.

De Sixt on peut se rendre dans la vallée de l'Arve en franchissant une chaîne de hautes montagnes, qui s'étend entre Cluses et Sallenche. Ce passage n'est guère connu et pratiqué que des contrebandiers, qui abondent dans cette contrée. Ces hommes hardis s'approvisionnent à Martigny, en Valais; puis s'acheminant, chargés de poids énormes, au travers de cols inaccessibles, ils viennent descendre dans les vallées intérieures de la Savoie, pendant que les douaniers font bonne garde sur la lisière du pays.

Les douaniers sont des hommes qui ont un uniforme, les mains crasseuses et une pipe à la bouche. Assis au soleil, ils fainéantent jusqu'à ce que vienne à passer une voiture, qui ne passe devant eux que par cette raison justement qu'elle ne contient pas trace de contrebande. »Monsieur n'a rien à déclarer? Non.<< Et les voilà aussitôt, nonobstant cette réponse catégorique, qui ouvrent les valises et fourrent les susdites mains parmi le linge blanc, les robes de soie et les mouchoirs de poche. L'État les paye pour exercer ce métier. Cela m'a toujours paru drôle.

We have followed the Notice sur Topffer, by Émile de la Bédollière.

Les contrebandiers sont des hommes armés jusqu'aux dents, et toujours disposés à piquer d'une balle un douanier qui aurait l'idée d'aller se promener sur le chemin qu'ils se sont réservé pour eux. Heureusement les douaniers, qui se doutent de cette circonstance, ne se promènent pas, ou se promènent partout ailleurs. Cela m'a toujours paru un signe de tact chez les douaniers.

J'ai eu souvent affaire avec les douaniers. Mes chemises ont eu l'honneur d'être palpées sur toutes les frontières par les agents de tous les gouvernements, absolus ou autres. Ils n'y ont rien trouvé de prohibé. J'ai eu moins souvent affaire aux contrebandiers; cependant j'eus quelque rapport avec eux, le jour où je m'avisai de vouloir passer seul de Sixt à Sallenche par les montagnes dont j'ai parlé. Je m'étais fait indiquer la route: une heure avant d'arriver au sommet, on côtoie un petit lac nommé le lac de Gers; au-delà on suit une arête de rocs qui traverse une plaine de neiges glacées; après quoi l'on redescend vers les forêts qui couronnent, du côté de Sallenche, la cascade de l'Arpenas. Au bout de trois heures d'une montée rapide, je découvris le petit lac. C'est un étang encaissé entre des pentes verdoyantes, qui s'y reflètent en teintes sombres, tandis que la transparence de l'onde laisse plonger le regard jusqu'aux mousses éclatantes qui, au fond, tapissent le sol. Je m'assis au bord de cette flaque, et, à l'instar de Narcisse, je m'y regardais . . . . je m'y regardais manger une aile de poulet sans que le plaisir de contempler mon image me fit perdre un seul coup de dent.

Outre ma personne, je voyais aussi dans la flaque l'image renversée des cimes voisines, des forêts, de toute la belle nature enfin, y compris deux corbeaux qui, volant au plus haut des airs, me_paraissaient, dans ce miroir, voler au plus profond des antipodes. Pendant que je m'amusais à considérer ce spectacle, une tête d'homme, ou de femme, ou de bête, tout au moins quelque chose ayant vie, me parut avoir bougé sur le penchant d'un mont. C'était celui que j'allais gravir. Je levai subitement les yeux pour y reconnaître l'objet lui-même, mais je ne vis plus rien, en sorte qu'attribuant ce phénomène à quelque ondulation de la surface de l'eau, je me remis en route, bien persuadé que je me trouvais seul dans la contrée. Toutefois, persuadé également que j'avais vu quelque chose, je m'arrêtais de temps en temps pour regarder de côté et d'autre, et, quand je fus voisin de l'endroit où j'avais cru apercevoir la tête, je fis avec précaution le tour de quelques rocs, et je redoublai de circonspection.

Il faisait fort chaud dans mon couloir; toutefois, à cette élévation, la chaleur est tempérée par la vivacité de l'air; d'ailleurs la beauté du spectacle que l'on a sous les yeux captive l'âme et fait oublier les petites incommodités qui, dans une plaine ingrate, paraissent quelquefois si intolérables. En me retournant, je voyais de fort près le dôme de glace du mont Buet, . . . . je crus voir aussi, pas bien loin, quelque chose qui bougeait derrière les derniers sapins que j'avais dépassés; j'allai m'imaginer que ce pouvaient être les pieds dont j'avais vu la tête, en sorte que je continuai de marcher avec une croissante circonspection.

Malheureusement je suis né très-peureux; je déteste le danger où les héros se plaisent, dit-on; je n'aime rien tant qu'une sécurité par

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