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Là veillent les spahis, les fougueux janissaires,
Des peuples d'Occident éternels adversaires:
Dix mille Mamelouks, au vol précipité,
Du désert sablonneux couvrent la nudité;
D'autres du Nil voisin ont bordé le rivage:
Ils refoulent à gauche une horde sauvage
De Grecs, d'Arméniens, de Cophtes demi-nus,
D'Africains arrivés de pays inconnus;
De paisibles fellahs, tourbe indisciplinée,
Par la peur du bâton au péril condamnée;
D'Arabes vagabonds que l'espoir du butin
Autour des Mamelouks rallia ce matin:

Ces nomades soldats pressent leurs rangs timides
Des tentes de Mourad au pied des pyramides.

Bonaparte s'avance, et son regard si prompt
De la ligne ennemie a mesuré le front;
Son génie a jugé le combat qui s'apprête,
Un plan vainqueur jaillit tout armé de sa tête;
D'agiles messagers, sous les canons tonnants,
Portent l'ordre du chef à tous ses lieutenants,
Et bientôt à leur voix l'obéissante armée
En six carrés égaux dans la plaine est formée.2

D'épouvantables cris ont troublé le désert:
De l'enceinte du camp, sous leurs pas entr'ouvert,
Des hauteurs d'Embabeh, peuplé de janissaires,
Accourent au galop Mourad et ses vingt frères:
Déjà le Bey superbe a parcouru trois fois
Les rangs des Mamelouks alignés à sa voix:
Qu'il est brillant d'orgueil! Jamais fils de Prophète
N'avait paru plus beau sous son habit de fête;
Une aigrette mobile, aux rubis ondoyants,
Orne son turban vert, respecté des croyants;
Sur sa mâle poitrine, où le Croissant éclate,
Pendent les boutons d'or de sa veste écarlate;
Un large cachemire, en ceinture roulé,
Supporte un atagan3 au fourreau ciselé;

Sa main brandit un sabre, et, sur la haute selle,
D'un double pistolet la poignée étincelle.

Comme le vent de feu, dont les immenses ailes,
Du mobile désert tourmentant les vallons,
Précipitent l'arène en larges mamelons;
Ainsi des Musulmans l'impétueuse masse
Du Nil aux rangs chrétiens a dévoré l'espace.

The tillers of the soil in Egypt.

A la bataille des Pyramides, Bonaparte forma son armée en six carrés, et contre eux vinrent se briser toutes les charges des Mamelouks. Pendant l'action, il était visible à tous les yeux, au centre du carré de Dugua. (Note by the authors.) Atagan or yataghan, a Turkish dagger.

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On dit qu'au premier choc de ces fiers circoncis,
Les vieux républicains pâlirent, indécis!1
Jamais dans l'Italie, aux glorieuses rives,

Ni les Germains couverts de cuirasses massives,
Ni des légers Hongrois les poudreux tourbillons,
N'avaient d'un pareil choc heurté nos bataillons.
La profonde colonne, un instant ébranlée,
Vit le fer de Mourad luire dans la mêlée;
Mais, à la voix des chefs, déjà les vétérans
Sur la ligne rompue ont rétabli les rangs.
Ainsi, dans ces marais où les hardis Bataves
A l'Océan conquis imposent des entraves,
Quand la vague, un moment, par de puissants efforts,
De son premier domaine a ressaisi les bords,
L'homme accourt, et bientôt une digue nouvelle
Montre aux flots repoussés sa barrière éternelle.

Dites quel fut le chef qui, sur ses régiments,
Vit luire le premier les sabres ottomans.
Toi, vertueux Desaix!2 au point d'être entamée,
Déjà ton dévoûment nous sauvait une armée.
Dans les carrés voisins, le soldat raffermi,
Du même front que toi regarde l'ennemi;

Il revient plus terrible, et, dans la plaine immense,
Sur six points isolés le combat recommence.
Déjà les Mamelouks, lancés de toutes parts,
Assiégent des chrétiens les mobiles remparts;
Tantôt, pressant le vol du coursier qui le porte,
Mourad devant les rangs passe avec son escorte,
Et le geste insolent du hardi cavalier

Provoque le plus brave en combat singulier;
Tantôt sa voix, pareille à l'ouragan qui tonne,
De tous les Mamelouks formant une colonne,
Sous la ligne de feu les pousse en bonds égaux,
Et cet amas confus d'hommes et de chevaux
Résonne sur le fer des carrés intrépides,
Comme un bloc de granit tombé des pyramides;
Partout la baïonnette et les longs feux roulants,
Des fougueux Mamelouks arrêtent les élans;
Et, telle qu'un géant sous la cotte de maille,
L'armée offre partout sa puissante muraille,

'Le premier choc des Mamelouks contre les carrés fut si terrible que le courage des Français en fut ébranlé un instant; c'est ce qui nous a été raconté par plusieurs acteurs de ce magnifique drame. (Note by the authors.) Desaix, born in 1768 of a noble family, adopted the principles of the Revolution, distinguished himself repeatedly in the service and was raised to the rank of lieutenant-general. He displayed great skill and bravery in Egypt, and after subduing Upper-Egypt he subsequently governed it with so much equity and moderation that he earned from the natives the appellation of the Righteous Sultan. He fell fighting bravely at Marengo June 14, 1800.

Gloire à Napoléon! on dirait que son bras
Par des chaînes de fer a lié ses soldats,

Et que son art magique, en ces plaines mouvantes,
A bâti sur le roc six redoutes vivantes.

Français et Mamelouks, tous ont les yeux sur lui;
Au centre du combat, qu'il est grand aujourd'hui !
Sur son cheval de guerre il commande, et sa tête,
Sublime de repos, domine la tempête:

Mourad l'a reconnu. >Bey des Francs, lui dit-il,
Sors de tes murs de fers, viens sur les bords du Nil;
Et là, seuls, sans témoins, que notre cimeterre
Dans un combat à mort dispute cette terre!<
A ces cris de Mourad, vingt braves réunis
Frémissent de laisser tant d'affronts impunis;
A leur tête Junot,1 Lannes,2 Berthier, La Salle,
Du centre aux ennemis vont franchir l'intervalle;
En même temps, au flanc des bataillons froissés,
Six mille Mamelouks tombent à flots pressés;
C'est l'heure décisive: un signal militaire
Tonne, et, comme l'Etna déchirant son cratère,
L'angle s'ouvre, et soudain, sur les rangs opposés,
Le canon a vomi ses arsenaux brisés;

Les grêlons, échappés à leur bouche qui gronde,
Volent avec le feu dans la masse profonde,

Et sous les pieds sanglants de six mille chevaux,
La mitraille a passé comme une immense faux.

Jour de mort et de deuil, où l'Égypte étonnée

Vit de ses Mamelouks l'élite moissonnée!
A ses plus braves chefs Mourad a survécu;
Quel œil reconnaîtrait le superbe vaincu?
Sous la poudre et le sang qui sillonnent sa face,
On voit briller encore une farouche audace;
Haletant de fatigue, il ne tient qu'à demi
Le tronçon d'un damas brisé sur l'ennemi,
Et quitte en soupirant ces plaines funéraires,

Qu'inonda sous ses yeux le sang de ses vingt frères.

1 Junot (1771-1813) duke of Abrantes, took possession of Portugal in 1805, was appointed its governour and subsequently served in the Spanish (1810) and the Russian war (1812). His wife, the duchess of Abrantes, has written some very interesting Memoirs on the Empire.

2 Lannes (1769-1809) duke of Montebello, marshal of the Empire, distinguished himself in the battles of Austerlitz (1805), Jena (1806) Eylau and Friedland (1807) and died in consequence of wounds received at the battle of Esslingen (1809).

Berthier (1753-1815), marshal of the Empire and prince of Neuchâtel.

La Salle (1775-1809) died on the battlefield of Wagram after having been named lieutenant-general.

MIGNET.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.1

FRANÇOIS-AUGUSTE-ALEXIS MIGNET was born in 1796 at Aix.

He received a classical education at Avignon and returned to his native city in 1815 for the purpose of attending law-lectures. It was there he met and formed a lasting friendship with M. Thiers. They were called to the bar together and after practising side by side for a year and a half, they left it at the same time for the wider field of literature. In 1821 the Académie des inscriptions et belles-lettres awarded a prize to M. Mignet's essay Sur l'état du gouvernement et de la législation en France à l'époque de l'avènement de saint Louis.

Encouraged by this success, M. Mignet now devoted himself entirely to literature and went to Paris, where he became attached to the staff of the Courrier Français. At the same time he began at the Athénée 2 a series of historical lectures, which soon acquired great celebrity.

In 1824 appeared his Histoire de la Révolution française, which met with great success both in France and abroad. The work is not a complete and minute narrative but an animated and rapid sketch, a brilliant résumé written by a sincere admirer of the Revolution, who without approving its sanguinary excesses, excuses them by the political necessities of the time and looks upon them as brought about by an unavoidable fatality. His Histoire de la Révolution therefore stamps M. Mignet as belonging to the so-called fatalist school of historians.

As a writer in the press M. Mignet had a certain share in the revolution of July, but when it was over, he withdrew from politics and only accepted from the new king the post of director of the archives in the Foreign office. Being thus placed in a singularly favourable position for continuing his historical researches, he gave himself up to them altogether, and only interrupted them for a short time, when he was sent in 1833 on a diplomatic mission to Spain. In 1832 he had been elected a member of the Académie des sciences morales et politiques and in 1836 of the French Academy; in the following year he was appointed perpetual secretary to the former. The revolution of February 1848 deprived him of his place in the Foreign office.

Besides a series of Historical Essays and Sketches which he read at the Académie des sciences morales et politiques, M. Mignet published: Les Négociations relatives à la succession d'Espagne (1836-1842), Antonio Pérez et Philippe II (1845) an historical

We have followed Vapereau, Dictionnaire des contemporains.

2 The name Athenaeum (from 49vn the goddess of wisdom) was given by the ancients to several buildings at Athens, Alexandria, Rome and Constantinople, which were devoted to scientific and artistic purposes. In modern times it has been extended to all public institutions in which men of learning meet for the purpose of delivering lectures on science and literature. The Paris Athenaeum mentioned above was founded in 1785

episode as interesting in every way as a novel, La Vie de Franklin, L'Histoire de Marie Stuart (1851), and Charles-Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de St-Just (1854). It is said that he has been for the last thirty years engaged in writing a History of the Reformation.

M. Mignet's style is pure and elegant, and though classically correct it exhibits great liveliness and brilliancy.

HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION.

COUP D'ÉTAT DU 18 ET DU 19 BRUMAIRE. LE DIRECTOIRE ET LA
CONSTITUTION DE L'AN III RENVERSÉS PAR BONAPARTE.

(Histoire de la Révolution, chapitre XIII.)

Bonaparte avait appris en Orient, par son frère Lucien1 et quelques autres de ses amis, l'état des affaires en France et le déclin du gouvernement directorial. Son expédition avait été brillante, mais sans résultat. Après avoir battu les Mamelouks et ruiné le ur domination dans la basse et dans la haute Égypte, il s'était avancé en Syrie; mais le mauvais succès du siége de Saint-Jean-d'Acre l'avait contraint de retourner dans sa première conquête. C'est là qu'après avoir défait une armée ottomane sur le rivage d'Aboukir, si fatal une année auparavant à la flotte française, il se décida à quitter cette terre de déportation et de renommée, pour faire servir à son élévation la nouvelle crise de la France. Il laissa le général Kléber pour commander l'armée d'Orient, et traversa, sur une frégate, la Méditerranée, couverte de vaisseaux anglais. Il débarqua à Fréjus le 17 vendémiaires an VIII (9 octobre 1799), dix-neuf jours après la bataille de Berghen, remportée par Brune sur les Anglo-Russes du duc d'York, et quatorze jours après celle de Zurich remportée par Masséna sur les Austro-Russes de Korsakoff et de Souwaroff. Il parcourut la France, des côtes de la Méditerranée à Paris, en triomphateur. Son expédition, presque fabuleuse, avait surpris et occupé les imaginations et avait encore ajouté à sa renommée, déjà si grande par la conquête de l'Italie. Ces deux entreprises l'avaient mis hors de ligne avec les autres généraux de la république. L'éloignement du théâtre sur lequel il avait combattu lui avait permis de commencer sa carrière d'indépendance et d'autorité. Général victorieux, négociateur avoué et obéi, créateur de républiques, il avait traité tous les intérêts avec adresse, toutes les croyances avec modération. Préparant de loin ses destinées ambitieuses, il ne s'était fait l'homme d'aucun système, et il les avait tous ménagés pour s'élever de leur eonsentement. Il avait entretenu cette pensée d'usurpation dès ses vie

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1 Lucien Bonaparte, v. page 472, n. 2.

Alluding to the battle of Aboukir (1798) commonly called in England the battle of the Nile.

In the Republican calendar the year began on September 22 và the date of the proclamation of the Republic; the names of its twelve months were: Vendémiaire, brumaire, frimaire in autumn; nirose, pis viôse, ventôse in winter; germinal, floréal, prairial in spring; messidor. thermidor, fructidor in summer.

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