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SCÈNE V.

PAULINE. Mon Polyeucte touche à son heure dernière;
Pour achever de vivre il n'a plus qu'un moment:
Vous en êtes la cause, encor qu'innocemment.
Je ne sais si votre âme, à vos désirs ouverte,
Aurait osé former quelque espoir sur sa perte;
Mais sachez qu'il n'est point de si cruels trépas
Où d'un front assuré je ne porte mes pas,

Qu'il n'est point aux enfers d'horreurs que je n'endure,
Plutôt que de souiller une gloire si pure,

Que d'épouser un homme, après son triste sort,
Qui de quelque façon soit cause de sa mort;
Et si vous me croyiez d'une âme si peu saine,1
L'amour que j'eus pour vous tournerait tout en haine.
Vous êtes généreux; soyez-le jusqu'au bout.
Mon père est en état de vous accorder tout,
Il vous craint; et j'avance encor cette parole,
Que s'il perd mon époux, c'est à vous qu'il l'immole;
Sauvez ce malheureux, employez-vous pour lui;
Faites-vous un effort pour lui servir d'appui.

Je sais que c'est beaucoup que ce que je demande;
Mais plus l'effort est grand, plus la gloire en est grande.
Conserver un rival dont vous êtes jaloux,

C'est un trait de vertu qui n'appartient qu'à vous;

Et si ce n'est assez de votre renommée,

C'est beaucoup qu'une femme autrefois tant aimée,
Et dont l'amour peut-être encor vous peut toucher,
Doive à votre grand cœur ce qu'elle a de plus cher;
Souvenez-vous enfin que vous êtes Sévère.
Adieu: résolvez seul ce que vous voulez faire;
Si vous n'êtes pas tel que je l'ose espérer,
Pour vous priser encor je le veux ignorer.

Severus, moved by these words, desires Felix to pardon Polyeuctus. But the governour only sees in this request a stratagem which is to cause his downfall, and accordingly refuses to listen to him. However, to save the life of his son-in-law, he beseeches him to feign compliance for a few days, but Polyeuctus indignantly refuses, and having resisted to the last the entreaties of his beloved wife he is led to death. „To glory" cries he, as the guards are taking him away. Paulina follows him to the scaffold. When she returns, her husband's death and heroïc fortitude have finished the work which his words had begun. Divine grace has descended on her and opened her eyes; she is a Christian and longs to share her husband's martyrdom.

ACTE V, SCÈNE V et VI.

FÉLIX, PAULINE.

PAULINE. Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée: De ce bienheureux sang tu me vois baptisée;

L'âme si peu saine stands here for l'âme si peu généreuse.

2 Faire is here used as a pronominal verb; now we should say: Faites un effort sur vous-même.

Je suis chrétienne enfin, n'est-ce point assez dit?
Conserve en me perdant ton rang et ton crédit;
Redoute l'empereur, appréhende Sévère:

Si tu ne veux périr, ma perte est nécessaire;
Polyeucte m'appelle à cet heureux trépas;

Je vois Néarque et lui qui me tendent les bras.
Mène, mène-moi voir tes dieux que je déteste:
Ils n'en ont brisé qu'un, je briserai le reste;
On m'y verra braver tout ce que vous craignez,
Ces foudres impuissants qu'en leurs mains vous peignez,
Et saintement rebelle aux lois de la naissance,
Une fois envers toi manquer d'obéissance.

Ce n'est point ma douleur que par là je fais voir;
C'est la grâce qui parle, et non le désespoir.
Le faut-il dire encor, Félix? je suis chrétienne!
Affermis par ma mort ta fortune et la mienne:
Le coup à l'un et l'autre en sera précieux,

Puisqu'il t'assure en terre2 en m'élevant aux cieux.

When Severus bears of his rival's death, he bitterly reproaches Felix for not having believed his word, and threatens him with the loss of those dignities for whose sake the proconsul has sacrificed Polyeuctus. But while he is speaking a great change has taken place in Felix' heart. Already shaken by the heroïsm of Polyeuctus, he is convinced by his daughter's miraculous conversion; he is no longer the old, crafty and ambitious Felix but a Christian, and thus adresses Severus: Ne me reprochez plus que par mes cruautés

Je tâche à conserver mes tristes dignités:
Je dépose à vos pieds l'éclat de leur faux lustre.
Celle où j'ose aspirer est d'un rang plus illustre;
Je m'y trouve forcé par un secret appas;
Je cède à des transports que je ne connais pas;
Et par un mouvement que je ne puis entendre,
De ma fureur je passe au zèle de mon gendre.
C'est lui, n'en doutez point, dont le sang innocent
Pour son persécuteur prie un Dieu tout-puissant;
Son amour épandu sur toute la famille
Tire après lui le père aussi bien que la fille.
J'en ai fait un martyr, sa mort me fait chrétien:
J'ai fait tout son bonheur, il veut faire le mien.
C'est ainsi qu'un chrétien se venge et se courrouce.
Heureuse cruauté dont la suite est si douce!
Donne la main, Pauline. Apportez des liens;
Immolez à vos dieux ces deux nouveaux chrétiens:
Je le suis, elle l'est, suivez votre colère.

Severus is greatly moved by this new conversion and cannot help admiring a faith which produces such witnesses to its truth. He forgives Felix, and in the emperor's name confirms him in the possession of all his dignities.

Saintement rebelle cf. Horace's expression: Splendide mendax.

2 Assurer was often used in the 17th century in the sense of rassurer, affermir. En terre sur la terre.

PASCAL.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.1

BLAISE PASCAL was born in the year 1623 at Clermont-Ferrand

in Auvergne, where his father was president of the Cour des aides. He died in 1662 at the age of thirty-nine. From his earliest years Pascal showed great cleverness; he was about twelve years old, when one day he asked his father the meaning of the word geometry; his father answered that geometry was the science of drawing figures correctly and finding out their proportions. He promised the boy that he should learn it, as soon as he knew Latin and Greek, but meanwhile he forbade him to think about it, and carefully hid away all the mathematical books of his library. But young Pascal's mind had been stirred by this occurrence; he was constantly dreaming of the forbidden subject and often tried to draw circles which should be perfectly round, and triangles with equal sides, on the floor of the room where he spent his play-time. Next he invented axioms, and though he did not even know the proper names of his figures, he "constructed and demonstrated theorems, and without any extraneous help got as far as the thirty-second proposition in Euclid.

When his father discovered this, he no longer attempted to debar his son from a study for which he displayed so much aptitude; he allowed him to learn Mathematics and the boy made such rapid progress, that at the age of sixteen he had the reputation of being a learned mathematician and composed a treatise on conic Sections, which Descartes read with admiration. He now devoted himself entirely to Physics and Mathematics and both these sciences are indebted to him for several valuable discoveries.

About 1653, his health having suffered from excess of mental work, he was obliged to give up study altogether for a time. He now began to mix in society, and soon took a liking to it; he had even determined to marry, when an accident which nearly cost him his life turned his thoughts into a different channel. Pascal had been brought up very religiously, and he took his narrow escape as a warning from heaven to give up all earthly connexions and devote himself entirely to heavenly things. Accordingly he withdrew from the world, and having become intimate with the two brothers Arnauld, Nicole and several other men distinguished by their learning and piety, he joined them at Port-Royal des Champs, where they lived a life of almost monastic seclusion.

In 1656 the Sorbonne being about to publish a censure on a book of Dr. Arnauld, Pascal wrote in defence of his friend the celebrated work, which has made his name famous among posterity. Its real title was Lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial de ses amis, but it generally goes by the very inappropriate name of Lettres Provinciales, or Provinciales.

Taken from the Vie de Blaise Pascal written by his sister madame Perier and from the Discours of the abbé Bossut, sur la vie et les ouvrages de Pascal.

2 The Cour des aides was the court which judged in appeal all law suits having reference to rates and taxes.

The chief purpose of these letters was to expose the lax morality taught by the Casuists, and this Pascal has done in masterly style, using argument and satire with equal effect against his antagonists. His success was complete and his work, which may be called the first fruits of modern French prose composition, earned immense popularity for its author.

Pascal was preparing a still more important work on the subject of religion, in which he meant to defend the faith against the prevalent scepticism of the age, but he died before it was completed. The fragments he left behind were collected after his death, and published in 1670 under the title: Pensées de Pascal sur la religion et sur d'autres sujets.

I. LETTRES PROVINCIALES.

FRAGMENT DE LA SEPTIÈME LETTRE.

De la méthode de diriger les intentions, selon les casuistes. Il me parla des maximes de ces casuistes touchant les gentilshommes à peu près en ces termes: 2

Vous savez, me dit-il, que la passion dominante des personnes de cette condition est ce point d'honneur qui les engage à toute heure à des violences qui paraissent bien contraires à la piété chrétienne; de sorte qu'il faudrait les exclure presque tous de nos confessionnaux, si nos pères n'eussent un peu relâché de la sévérité de la religion pour s'accommoder à la faiblesse des hommes. Mais comme ils voulaient demeurer attachés à l'Évangile par leur devoir envers Dieu, et aux gens du monde par leur charité pour le prochain, ils ont eu besoin de toute leur lumière pour trouver des expédients qui tempérassent les choses avec tant de justesse, qu'on pût maintenir et réparer son honneur par les moyens dont on se sert ordinairement dans le monde, sans blesser néanmoins sa conscience, afin de conserver tout ensemble deux choses aussi opposées en apparence que la piété et l'honneur. Mais autant que ce dessein était utile, autant l'exécution en était pénible; car je crois que vous voyez assez la grandeur et la difficulté de cette entreprise. Elle m'étonne, lui dis-je assez froidement. Elle vous étonne? me dit-il: je le crois, elle en étonnerait bien d'autres. Ignorez-vous que, d'une part, la loi de l'Évangile ordonne »de ne point rendre le mal pour le mal, et d'en laisser la vengeance à Dieu?<«< et que, de l'autre, les lois du monde défendent de souffrir les injures sans en tirer raison soi-même, et souvent par la mort de ses ennemis? Avez-vous jamais rien vu qui paraisse plus contraire? Et cependant, quand je vous dis que nos pères ont accordé ces choses, vous me dites simplement que cela vous étonne. Je ne m'expliquais pas assez,

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The name Casuists was given to those theologians, who made a study of particular cases in morals, who professed to examine what are called cas de conscience, i. e. to decide whether such and such an action is good or bad, whether it would be a deadly or a venial sin, and so on. 2 Pascal supposes himself here to be a pupil of one of the Casuists. 3 Pères (patres), which like the English the Fathers, is frequently used absolutely to mean the early fathers of the church, is also said of all ecclesiastics in France, and here stands for the Casuists in particular.

mon père. Je tiendrais la chose impossible, si, après ce que j'ai vu de vos pères, je ne savais qu'ils peuvent faire facilement ce qui est impossible aux autres hommes. C'est ce qui me fait croire qu'ils en ont bien trouvé quelque moyen, que j'admire sans le connaître, et que je vous prie de me déclarer.

-

Puisque vous le prenez ainsi, me dit-il, je ne puis vous le refuser. Sachez donc que ce principe merveilleux est notre grande méthode de diriger l'intention, dont l'importance est telle dans notre morale, que j'oserais quasi la comparer à la doctrine de la probabilité. Vous en avez vu quelques traits en passant, dans de certaines maximes que je vous ai dites; car, lorsque je vous ai fait entendre comment les valets peuvent faire en conscience de certains messages fâcheux, n'avez-vous pas pris garde que c'était seulement en détournant leur intention du mal dont ils sont les entremetteurs, pour la porter au gain qui leur en revient? Voilà ce que c'est que diriger l'intention; et vous avez vu même que ceux qui donnent de l'argent pour des bénéfices seraient de véritables simoniaques1 sans une pareille diversion. Mais je veux maintenant vous faire voir cette grande méthode dans tout son lustre sur le sujet de l'homicide, qu'elle justifie en mille rencontres, afin que vous jugiez par un tel effet tout ce qu'elle est capable de produire. Je vois déjà, lui dis-je, que par là tout sera permis, rien n'en échappera. Vous allez toujours d'une extrémité à l'autre, répondit le père: corrigez-vous de cela; car, pour vous témoigner que nous ne permettons pas tout, sachez que, par exemple, nous ne souffrons jamais d'avoir l'intention formelle de pécher pour le seul dessein de pécher, et que quiconque s'obstine à n'avoir point d'autre fin dans le mal que le mal même, nous rompons avec lui; cela est diabolique: voilà qui est sans exception d'âge, de sexe, de qualité. Mais quand on n'est pas dans cette malheureuse disposition, alors nous essayons de mettre en pratique notre méthode de diriger l'intention, qui consiste à se proposer pour fin de ses actions un objet permis. Ce n'est pas qu'autant qu'il est en notre pouvoir nous ne détournions les hommes des choses défendues; mais, quand nous ne pouvons pas empêcher l'action, nous purifions au moins l'intention; et ainsi nous corrigeons le vice du moyen par la pureté de la fin.

Voilà par où nos pères ont trouvé moyen de permettre les violences qu'on pratique en défendant son honneur; car il n'y a qu'à détourner son intention du désir de vengeance, qui est criminel, pour la porter au désir de défendre son honneur, qui est permis selon nos pères. Et c'est ainsi qu'ils accomplissent tous leurs devoirs envers Dieu et envers les hommes. Car ils contentent le monde en permettant les actions, et ils satisfont à l'Évangile en purifiant les intentions. Voilà ce que les anciens n'ont point connu, voilà ce qu'on doit à nos pères. Le comprenez-vous maintenant? Fort bien, lui dis-je. Vous accordez aux hommes l'effet extérieur et matériel de l'action, et vous donnez à Dieu ce mouvement intérieur et spirituel de l'intention; et, par cet équitable partage, vous alliez les lois humaines avec les divines.

The crime of simony consists in giving or taking money for an ecclesiastical benefice. The name originates from the offer of Simon Magus to purchase the gift of healing etc. from the apostles. The person guilty of simony is called simoniaque.

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