Page images
PDF
EPUB

VICTOR COUSIN.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.

VICTOR COUSIN. the philosopher, writer and statesman, was born in

1792 at Paris, where his father was a watchmaker. He was educated at the lycée Charlemagne, where he distinguished himself by his cleverness, went through the École normale' and entered the scholastic career. He paid two visits (1817 and 1824-1825) to Germany, to study German philosophy and shared with Villemain and Guizot, as a professor at the Sorbonne, a popularity almost without precedent in the annals of that institution. In 1840, Victor Cousin who had been a French peer for some years, held for eight months the office of minister of public instruction in the Thiers cabinet. Under the ministry of M. Guizot he assumed the part of champion of the University and defender of philosophy in the house of Peers. He retired into private life under the second Empire and busied himself solely with literary work; he died at Cannes in 1867. Victor Cousin was the author of a great many philosophical works and of a series of Literary essays. The best known of his works is his Translation of the Dialogues of Plato. We reprint a passage from Cousin's Etude sur la marquise de Sable, which appeared in the Revue des Deux Mondes in 1854.

LE SALON DE LA MARQUISE DE SABLÉ. LA ROCHEFOUCAULD ET LE CARDINAL DE RETZ.2

Mme de Sablé s'était fait bâtir à Port Royal3 un corps de logis à la fois séparé du monastère et renfermé dans son enceinte. Son appartement était tout voisin du chœur de l'église, et elle avait à deux pas le parloir des religieuses. Elle pouvait recevoir une assez nombreuse compagnie, sans que l'ordre du couvent en fût le moins du monde troublé.

La Rochefoucauld 4 a trouvé la matière de la plupart de ses maximes dans les conversations qui avaient lieu chez Mme de Sablé, dans leur commun retour sur le passé, dans les aventures dont s'entretenait la compagnie et qui faisaient alors du bruit, dans l'histoire de monsieur tel et de madame telle, surtout dans sa propre histoire. Cela est si vrai qu'avec les Maximes on éclaire la vie de La Rochefoucauld et l'histoire même de son temps, comme on peut suivre la marche opposée et répandre un grand jour sur certaines maximes, en les rapportant aux circonstances, aux choses et aux personnes qui vraisemblablement leur ont donné naissance. Il y avait chez Mme de Sablé, comme dans toutes les petites sociétés, une sorte de fond commun; on s'occupait à peu près des mêmes sujets, mais chacun y apportait une tournure d'esprit particulière et mettait son cachet à ce qu'il faisait. Quand La Rochefoucauld avait composé quelques sentences, il les mettait sur le tapis avant ou après dîner, ou il les envoyait au bout d'une lettre.

On en causait, on les examinait; on lui faisait des observations dont il profitait; on a pu lui ôter des fautes, mais on ne lui a prêté aucune beauté: il n'y a pas un tour délicat et rare, un trait fin et acéré, qui ne vienne de lui, ou ces messieurs et ces dames ont donné généreusement tout leur talent à La Rochefoucauld, et n'en ont pas gardé pour eux-mêmes.

1

1 V. p. 502, n. 2. 2 Reprinted by permission of MM. Didier et Cie. 3 Port-Royal, a celebrated convent at Paris, lying at the extremity of the faubourg St.-Jacques, at present a hospital.

4 V. p. 123.

Je ne m'en défends pas, je n'aime pas La Rochefoucauld: je veux dire l'homme et le philosophe; mais je mets très-haut l'écrivain. Sans doute La Rochefoucauld pâlit devant Pascal;1 mais Pascal, c'est un homme de génie, un grand esprit inspiré par un grand cœur et servi par un art consommé. Il a tour à tour la hauteur et le pathétique de Corneille, la plaisanterie profonde de Molière, la magnificence et la sublimité de Bossuet; il occupe avec eux les sommets de l'art. Au-dessous de Pascal et de ces maîtres incomparables, La Rochefoucauld a encore une belle place; son vrai rival, celui avec lequel il a des rapports de tout genre, c'est le cardinal de Retz. Peut-être la nature avait-elle plus fait pour Retz; elle lui avait donné autant d'esprit, plus d'imagination, de force, d'étendue. Retz a des moments admirables; il démêle et expose avec une netteté supérieure les affaires les plus difficiles; sa narration est pleine d'agrément; il excelle dans les portraits, il y déploie les plus grandes qualités, et particulièrement une étonnante impartialité à l'égard même de ceux qui l'ont le plus combattu, Condé ou Molé,4 Mazarin5 seul excepté; il est unique pour la profonde intelligence des partis et la peinture vivante de l'intérieur de chacun d'eux; il a de la finesse, de la vigueur, de l'éclat, et par-dessus tout cela une parfaite simplicité, une aisance du plus haut ton. Une seule chose lui a manqué: le soin et l'étude. L'art n'a point achevé son génie: il est négligé, quelquefois même incorrect, et il se perd souvent dans des détails infinis. C'est que Retz voulait seulement amuser Mme de Caumartin et se divertir luimême dans sa retraite de Commercy, et que, s'il regardait aussi le public et la postérité, c'était d'un regard détourné et lointain, tandis que La Rochefoucauld, après avoir commencé à écrire par occasion, par complaisance même, pour faire sa cour à Mademoiselle et à Mme de Sablé, peu à peu enhardi par ses succès de société, s'en proposa de plus grands, et songea à paraître devant le public. Là est le trait particulier de La Rochefoucauld, qui le distingue entièrement de Retz, de ces grands seigneurs et de ces grandes dames dont Mme de Sévigné et Saint-Simons sont les représentants les plus illustres, qui avaient tant d'esprit et écrivaient si bien, sans en faire profession et sans penser à se faire imprimer, au moins de leur vivant. Grâce à sa liaison avec Segrais et avec Mme de La Fayette, 10 qui elle-même était un auteur, La Rochefoucauld a su qu'il y a un art d'écrire, et il s'est exercé dans cet art. A peu près vers 1660, il est devenu un homme de lettres, bien entendu en mettant tout son soin à ne le pas paraître.

1 Pascal, v. p. 54.

2 Paul de Gondi, cardinal de Retz (pr. rèce) coadjutor of the Archbishop of Paris (1614-1679) played an important part during the disturbances of the Fronde and wrote some interesting Memoirs.

Condé v. p. 155. Mole (1584-1656) chief-president of the parliament. Cardinal Mazarin (1602—166)) prime-minister and president of the Council of Regency since 1643.

6

Wife of the Councillor of State L.-F. de Caumartin (1624-1687), the intimate friend of Cardinal de Retz. 7 V. p. 134.

9

The duke of St.-Simon, author of the Memoirs (1675-1755).
Segrais, a minor poet (1625-1701). 10 V. p. 123, n. 1.

VILLEMAIN.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.1

ABEL FRANÇOIS VILLEMAIN was born at Paris in 1790. After

being educated at one of the Parisian lycées, he began to read for the bar; but soon M. de Fontanes, then grand-master of the University, who had met him in society and appreciated his talents, opened a new field to his ambition; in 1810 he gave him a mastership at the lycée Charlemagne and a short time after appointed him lecturer on French literature and Latin poetry at the Ecole Normale.2

A Panegyric of Montaigne, with which he gained the prize of the French Academy in 1812 began his literary reputation. His second success was more brilliant still. The subject of the new prize-essay was: The Advantages and disadvantages of criticism. The author was allowed to read it himself at the solemn session of the Institute on April 21st 1814, in the presence of the emperor Alexander and Frederick-William III, king of Prussia, and of the élite of the royalist society of Paris. The extravagant encomiums which on this occasion he bestowed on the allied sovereigns have been made the subject of bitter reproaches by later critics.

Two years later the youthful writer received a third prize from the Academy for his Panegyric of Montesquieu. In 1819 appeared his first great work, The History of Cromwell compiled from contemporary memoirs and parliamentary records; a book containing much hard work and written in a simple and vigorous style and a moderate yet liberal spirit. The author met with a favourable reception at the court of Louis XVIII and soon entered on political life. He obtained an appointment in the Home office and became maître des requêtes 3 in the Council of State. In 1821 he was elected a member of the French Academy. He had been for some years professor of French literature at the Sorbonne. There he gave a complete set of lectures on the national literature of the 15th, 16th and 17th century, which are embodied in the Cours de littérature française, his most important work, and the Discours et mélanges littéraires.

Villemain, who both in his books and his lectures endeavoured to conciliate his liberal opinions with his personal devotion to the king, insensibly passed over to the opposition. He was accordingly deprived of his appointment in the Council of State; but this increased his popularity to such an extent that his lectures at the Sorbonne, which he had taken up again, became perfect ovations.

1 We have followed Vapereau, Dictionnaire des contemporains. 2 The École Normale founded at Paris in 1808 by Napoleon I, was changed under the Restoration to an École Préparatoire, and reestablished in its original form in 1830. It is an institution, where a number of students, living in the establishment, are educated in the higher branches of learning, for masterships in the public schools. There are two sections, the Lettres (Classical) and the Sciences (Modern), the lecturers are called maîtres de conférences.

The three degrees through which the members of the Council of State had to pass were those of auditeur, maître des requêtes and conseiller.

After the revolution of July, Villemain sate in the chamber of deputies for a year, was appointed in 1831 member of the Council of Public Instruction, and in the following year raised to the French peerage. He was twice minister of public instruction; on the last occasion (December 1844) his health compelled him to seek retirement. When he had regained it, Villemain, who had been perpetual secretary of the French Academy since 1832, devoted the rest of his life to literary work. He died at Castres in 1867. Of the numerous publications of his last literary period we mention only his Studies on ancient and foreign literature and a Selection of Studies on contemporary literature.

Villemain is one of the most highly-gifted of the French writers of the 19th century. A various and extensive knowledge, a thorough understanding for the loftiest speculations of the human mind and a deep sympathy with all that is high and noble, are the intellectual qualities which we find wedded in his works to a clear, precise and graceful style.

I. MONTAIGNE.1

(Eloge de Montaigne, couronné par l'Académie, en 1812.)

Dans tous les siècles où l'esprit humain se perfectionne par la culture des arts, on voit naître des hommes supérieurs qui reçoivent la lumière et la répandent, et vont plus loin que leurs contemporains, en suivant les mêmes traces. Quelque chose de plus rare, c'est un génie qui ne doive rien à son siècle, ou plutôt qui, malgré son siècle, par la seule force de sa pensée, se place de lui-même à côté des écrivains les plus parfaits, nés dans les temps les plus polis; tel est Montaigne. Penseur profond sous le règne du pédantisme, auteur brillant et ingénieux dans une langue informe et grossière, il écrit avec le secours de sa raison et des anciens. Son ouvrage reste et fait seul toute la gloire littéraire d'une nation; et lorsque, après de longues années, sous les auspices de quelques génies sublimes qui s'élancent à la fois, arrive enfin l'âge du bon goût et du talent, cet ouvrage, longtemps unique, demeure toujours original; et la France, enrichie tout coup de tant de brillantes merveilles, ne sent pas refroidir son admiration pour ses antiques et naïves beautés. Un siècle nouveau succède, aussi fameux que le précédent, plus éclairé peut-être, plus exercé à juger, plus difficile à satisfaire, parce qu'il peut comparer davantage; cette seconde épreuve n'est pas moins favorable à la gloire de Montaigne: on l'entend mieux, on l'imite plus hardiment; il sert à rajeunir la littérature, qui commençait à s'épuiser; il inspire nos plus illustres écrivains; et ce philosophe du siècle de Charles IX semble fait pour instruire le dix-huitième siècle.

Quel est ce prodigieux mérite qui survit aux variations du langage, au changement des mœurs? C'est le naturel et la vérité. Voilà le charme qui ne peut vieillir. Qui pourrait se lasser d'un livre de bonne foi, écrit par un homme de génie? Ces épanchements familiers

1 Reprinted by permission of MM. Didier et Cie.

2 Michel de Montaigne (generally pronounced Montagne) v. p. XLII

de l'auteur, ces révélations inattendues sur de grands objets et sur des bagatelles, en donnant à ses écrits la forme d'une longue confidence font disparaître la peine légère que l'on éprouve à lire un ouvrage de morale. On croit converser; et comme la conversation est piquante et variée, que souvent nous y venons à notre tour, que celui qui nous instruit a soin de nous répéter: Ce n'est pas ici ma doctrine, c'est mon étude, nous avoue ses faiblesses pour nous convaincre des nôtres, et nous corrige sans nous humilier, jamais on ne se lasse de l'entretien.

L'ouvrage de Montaigne est un vaste répertoire de souvenirs et de réflexions nées de ces souvenirs. Son inépuisable mémoire met à sa disposition tout ce que les hommes ont pensé. Son jugement, son goût, son instinct, son caprice même lui fournissent aisément des pensées nouvelles. Sur chaque objet, il commence par dire tout ce qu'il sait, et, ce qui vaut mieux, il finit par dire ce qu'il croit. Cet homme, qui, dans la discussion, cite toutes les autorités, écoute tous les partis, accueille toutes les oppositions, lorsqu'enfin il vient à décider, ne consulte plus que lui seul, et donne son avis, non comme bon, mais comme sien: une telle marche est longue, mais elle est agréable, elle est instructive, elle apprend à douter; et ce commencement de la sagesse en est quelquefois le dernier terme.

On sait avec quelle constance il avait étudié les grands génies de l'ancienne Rome, combien il avait vécu dans leur commerce et dans leur intimité. Doit-on s'étonner que son ouvrage porte, pour ainsi dire, leur marque, et paraisse, du moins pour le style, écrit sous leur dictée? Souvent il change, modifie, corrige leurs idées. Son esprit, impatient du joug, avait besoin de penser par lui-même; mais il conserve les richesses de leur langage et les formes de leur diction. L'heureux instinct qui le guidait lui faisait sentir que, pour donner à ses écrits le caractère de durée qui manquait à sa langue, trop imparfaite pour être déjà fixée, il fallait y transporter, y naturaliser en quelque sorte les beautés d'une autre langue qui, par sa perfection, fût assurée d'être immortelle; ou, plutôt l'habitude d'étudier les chefs-d'œuvre de la langue latine, le conduisait à les imiter. Il en prenait à son insu toutes les formes, et se faisait Romain sans le vouloir. Quelquefois, réglant sa marche irrégulière, il semble imiter Cicéron même. Sa phrase se développe lentement, et se remplit de mots choisis qui se fortifient et se soutiennent l'un l'autre dans un enchaînement harmonieux. Plus souvent, comme Tacite, il enfonce profondément la signification des mots, met une idée, neuve sous un terme familier, et, dans une diction fortement travaillée, laisse quelque chose d'inculte et de sauvage. Il a le trait énergique, les sons heurtés, les tournures vives et hasardées de Salluste, l'expression rapide et profonde, la force et l'éclat de Pline l'ancien. Souvent aussi, donnant à sa prose toutes les richesses de la poésie, il s'épanche, il s'abandonne avec l'inépuisable facilité d'Ovide, ou respire la verve et l'âpreté de Lucrèce.1 Voilà les diverses couleurs qu'il emprunte de toutes parts pour tracer des tableaux qui ne sont qu'à lui.

1 T. Lucretius Carus, a poet of the Augustan age, author of the poem: De rerum natura.

« PreviousContinue »