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sur le merveilleux effet des compagnies d'ordonnance. C'est à la même époque que la taille, l'un des principaux revenus du roi, devient perpétuelle; grave atteinte portée à la liberté des peuples, mais qui a puissamment contribué à la régularité et à la force du gouvernement. En même temps le grand instrument du pouvoir, l'administration de la justice, s'étend et s'organise; les parlements se multiplient; cinq nouveaux parlements sont institués dans un très-court espace de temps; sous Louis XI,2 les parlements de Grenoble (en 1451), de Bordeaux (en 1462), et de Dijon (en 1477); sous Louis XII, les parlements de Rouen (en 1499) et d'Aix (en 1501). Le parlement de Paris prit alors aussi beaucoup plus d'importance et de fixité, soit pour l'administration de la justice, soit comme chargé de la police de son ressort.

Ainsi, sous le rapport de la force militaire, des impôts et de la justice, c'est-à-dire dans ce qui fait son essence, le gouvernement acquiert en France, au quinzième siècle, un caractère jusque là inconnu d'unité, de régularité, de permanence; le pouvoir public prend définitivement la place des pouvoirs féodaux.

En même temps s'accomplit un bien autre changement, un changement moins visible, et qui a moins frappé les historiens, mais encore plus important peut-être, c'est celui que Louis XI a opéré dans la manière de gouverner.

On a beaucoup parlé de la lutte de Louis XI contre les grands du royaume, de leur abaissement, de sa faveur pour la bourgeoisie et les petites gens. Il y a du vrai en cela, quoiqu'on ait beaucoup exagéré, et que la conduite de Louis XI avec les diverses classes de la société ait plus souvent troublé que servi l'État. Mais il a fait quelque chose de plus grave. Jusqu'à lui le gouvernement n'avait guère procédé que par la force, par les moyens matériels. La persuasion, l'adresse, le soin de manier les esprits, de les amener à ses vues, en un mot, la politique proprement dite, politique de mensonge et de fourberie sans doute, mais aussi de ménagement et de prudence, avait tenu jusque là peu de place. Louis XI a substitué dans le gouvernement les moyens intellectuels aux moyens matériels, la ruse à la force, la politique italienne à la politique féodale. Prenez les deux hommes dont la rivalité remplit cette époque de notre histoire, Charles le Téméraires et Louis XI: Charles est le représentant de l'ancienne façon de gouverner; il ne procède que par la violence, il en appelle constamment à la guerre; il est hors d'état de prendre patience, de s'adresser à l'esprit des hommes pour en faire l'instrument de son succès. C'est au contraire le plaisir de Louis XI d'éviter l'emploi de la force, de s'emparer des hommes individuellement, par la conversation, par le maniement habile des intérêts et des esprits. Il a changé non pas les institutions, non pas le système extérieur, mais les procédés secrets, la tactique du pouvoir. Il était réservé aux temps modernes de tenter une révolution encore, de travailler à

The taille or taille réelle, v. p. 354, n. 1.

2 Louis XI (1461-1483), son of Charles VII and father of Charles VIII. Charles le Téméraire (the Bold), 1467-1477, the last duke of Burgundy of the family of Valois.

introduire, dans les moyens comme dans le but politique, la justice à la place de l'égoïsme, la publicité au lieu du mensonge. Il n'en est pas moins vrai que c'était déjà un grand progrès que de renoncer au continuel emploi de la force, d'invoquer surtout la supériorité intellectuelle, de gouverner par les esprits, et non par le bouleversement des existences. C'est là, au milieu de ses crimes et de ses fautes, en dépit de sa nature perverse, et par le seul mérite de sa vive intelligence, ce que Louis XI a commencé.

II. MÉMOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE MON TEMPS.

TENTATIVE D'INSURRECTION FAITE EN 1836 A STRASBOURG PAR LE PRINCE LOUIS-NAPOLÉON. (Chapitre XXIV.)

De la Suisse où il résidait et des eaux de Bade où il se rendait souvent, le prince Louis1 entretenait en France, et particulièrement à Strasbourg, des relations assidues. Ni parmi ses adhérents, ni en lui-même, rien ne semblait lui promettre de grandes chances de succès; des officiers vieillis, des femmes passionnées, mais sans situation dans le monde, d'anciens fonctionniares sans emploi, des mécontents épars n'étaient pas des agents bien efficaces contre un pouvoir qui comptait déjà six ans de durée et qui avait vaincu, au grand jour, tous ses ennemis, républicains et légitimistes, conspirateurs et insurgés. Le prince Louis était jeune, inconnu en France, et de l'armée et du peuple; personne ne l'avait vu; il n'avait jamais rien fait; quelques écrits sur l'art militaire, des Rêveries politiques, un Projet de constitution et les éloges de quelques journaux démocratiques n'étaient pas des titres bien puissants à la faveur publique et au gouvernement de la France. Il avait son nom; mais son nom même fût demeuré stérile sans une force cachée et toute personnelle; il avait foi en lui-même et dans sa destinée. Tout en faisant son service comme capitaine dans l'artillerie du canton de Berne et en publiant des pamphlets dont la France s'occupait peu, il se regardait comme l'héritier et le représentant, non-seulement d'une dynastie, mais des deux idées qui avaient fait la force de cette dynastie, la Révolution sans l'anarchie et la gloire des armes. Sous des formes calmes, douces et modestes, il alliait un peu confusément une sympathie active pour les innovations et les entreprises révolutionnaires aux goûts et aux traditions du pouvoir absolu, et l'orgueil d'une grande race s'unissait en lui à l'instinct ambitieux d'un grand avenir. Il se sentait prince et se croyait, avec une confiance invincible, prédestiné à être empereur.

Ce fut avec ce sentiment et cette foi que, le 30 octobre 1836, à six heures du matin, sans autre appui qu'un colonel et un chef de bataillon gagnés d'avance à sa cause, il traversa les rues de

Louis Napoléon, born at Paris in 1808, emperor of the French under the name Napoleon III from 1852 to 1870, died at Chislehurst in 1873; he was the third son of Louis-Napoleon Bonaparte, king of Holland, younger brother of Napoleon I, and of Hortense, the daughter of Joséphine de Beauharnais.

Strasbourg et se présenta à la caserne du 4° régiment d'artillerie où, après deux petites allocutions du colonel Vaudrey et de lui-même, il fut reçu aux cris de Vive l'Empereur! Quelques-uns de ses partisans et, selon quelques rapports, lui-même, se portèrent aussitôt chez le général commandant et chez le préfet, et n'ayant pas réussi à les séduire, ils les firent assez mal garder dans leur hôtel. En arrivant à la seconde caserne qu'il voulait enlever, la caserne Finckmatt, occupée par le 46° régiment d'infanterie de ligne, le prince Louis n'y trouva pas le même accueil; prévenu à temps, le lieutenant-colonel Taillandier repoussa fermement toutes les tentatives et maintint la fidélité des soldats; le colonel Paillot et les autres officiers du régiment arrivèrent, également loyaux et résolus. Sur le lieu même, le prince et ceux qui l'accompagnaient furent arrêtés. A ce bruit bientôt répandu, les mouvements d'insurrection tentés dans divers corps et sur divers points de la ville cessèrent à l'instant; le général et le préfet avaient recouvré leur liberté et prenaient les mesures nécessaires. Parmi les adhérents connus du prince Louis dans cette entreprise de quelques heures, un seul, M. de Persigny, son confident et son ami le plus intime, réussit à s'échapper. Les autorités de Strasbourg, en envoyant au gouvernement du Roi leurs rapports, lui demandaient ses instructions sur le sort des prisonniers.

Quant à la conduite à tenir envers les divers prisonniers, notre délibération ne fut pas longue. En apprenant l'issue de l'entreprise et la captivité de son fils, la reine Hortense accourut en France sous un nom supposé, et s'arrêtant près de Paris, à Viry, chez la duchesse de Raguse, elle adressa de là, au Roi et à M. Molé, ses instances maternelles. Elle n'en avait pas besoin; la résolution de ne point traduire le prince Louis devant les tribunaux et de l'envoyer aux Etats-Unis d'Amérique était déjà prise. C'était le penchant décidé du Roi, et ce fut l'avis unanime du cabinet. Pour mon compte, je n'ai jamais servi ni loué l'empereur Napoléon Ier; mais je respecte la grandeur et le génie, même quand j'en déplore l'emploi, et je ne pense pas que les titres d'un tel homme aux égards du monde descendent tous avec lui dans le tombeau. L'héritier du nom et, selon le régime impérial, du trône de l'empereur Napoléon, devait être traité comme de race royale, et soumis aux seules exigences de la politique. Il fut extrait, le 10 novembre, de la citadelle de Strasbourg et amené en poste à Paris où il passa quelques heures dans les appartements du préfet de police, sans recevoir aucune autre visite que celle de M. Gabriel Delessert. Reparti aussitôt pour Lorient, il y arriva dans la nuit du 13 au 14, et fut embarqué le 15 à bord de la frégate l'Andromède, qui devait se rendre au Brésil en touchant à New-York. Quand la frégate fut sur le point d'appareiller, le sous-préfet de Lorient, M. Villemain, en rendant ses devoirs au prince Louis et avant de prendre congé de lui, lui demanda si, en arrivant aux États-Unis, il y trouverait, pour les premiers moments, les ressources dont il pourrait avoir besoin: »Aucune, lui dit le prince. Eh bien! mon prince, le Roi m'a chargé de vous remettre quinze mille francs qui sont en or dans cette petite cassette.« Le prince prit la cassette; le sous-préfet revint à terre, et la frégate fit voile.

LAMARTINE.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.1

ALPHONSE DE PRAT, who assumed the name of LAMARTINE, borrowed from a maternal uncle of his, was born in 1790 at Mâcon in Burgundy. His father had served as officer under the old régime. Young Lamartine received his earliest education in the bosom of his family, who lived in retirement on an estate near Mâcon. He completed it at Belley in a school which was under clerical direction, spent some time at Paris and Lyon and visited Italy twice. On his return to France in 1814 he entered the body-guard of king Louis XVIII, but a year later he left the service again.

The next five years he spent in travels, pleasures and idle reveries and then suddenly revealed himself to the world as a poet. The first volume of his Méditations poétiques (1820) was received with a universal enthusiasm, which to some extent recalled the sensation caused by Chateaubriand's Génie du christianisme.2 It further resembled that work by its religious tone. His success as a poet opened a new career to Lamartine. He was attached to the French legation at Fiorence, where he married an English heiress who was a devoted admirer of his poetical genius, and was successively secretary of the embassy at Naples and London and lastly chargé d'affaires in Tuscany.

In 1823 appeared the Nouvelles Méditations, which in spite of a number of fine poems, did not meet with such approval as the first volume. They were followed by two remarkable poems, La Mort de Socrate and Le Dernier chant du pèlerinage d'Harold. Some severe criticisms on modern Italy contained in the latter work roused the patriotic ire of a gentleman called Colonel Pepe, who challenged the poet and severely wounded him in the encounter which ensued. In 1825 Lamartine wrote on the occasion of the coronation of Charles X the Chant du sacre, for which he was rewarded with the cross of the Legion of Honour. After several detached poems, he published in 1829 his Harmonies poétiques et religieuses, in which he assumed the part of a devoted champion of the throne and altar. In the same year he was elected à member of the French Academy.

When the revolution of 1830 broke out, Lamartine had just been named French ambassador in Greece; but though the new government tried to gain him over to its side, the poet thought it due to himself and the cause he had defended, to refuse its offers. He presented himself before the electors of Toulon and afterwards of Dunkerque as candidate for election to the Chamber of Deputies, but failed in both places.

After this repulse, Lamartine started in 1823 on a journey to the East. He embarked with his family on board a ship he had equipped and armed himself. In the East he travelled like a king,

1 We have partly followed Vapereau Dict. des contemporains. 2V. p. 447.

attended by a numerous suite, often buying a house where he intended to sleep a night, and dazzling by his magnificence the Arabs who only called him the French emir. The fruit of this tour which lasted sixteen months was a book called: Voyage en Orient, souvenirs, impressions, pensées et paysages. In this work, which discusses a large variety of subjects, including religion, history, philosophy, politics and poetry, there are some fine passages, but there are also others which seem to have been copied indiscriminately, and without an effort at arrangement, from a traveller's note-book. This negligence of composition and still more the geographical blunders with which it teems, forbid its being placed on the same level with Chateaubriand's Itinéraire.1

During his absence, Lamartine had been elected at Dunkerque. In the chamber of deputies he took up a neutral position, not siding definitely either with the ministry or the opposition, only blaming the former for their supineness. His speeches were brilliant extempore effusions, which savoured more of the poet than the politician, and though they charmed the deputies and were eagerly read by the public, exercised absolutely no influence on the votes of the house.

In 1835 Lamartine published Jocelyn, a poem which he presented in the shape of a diary supposed to have been discovered in the house of a village priest and as a fragment of a great epic. It is nevertheless a complete poem in itself, overflowing with passion, uniting lyrical sentiment with dramatic power and interesting especially for the picture it contains of the mental struggles of the hero. The grandeur of the language is nearly always on a level with the lofty beauty of the ideas; yet we notice a few passages of unequal strength. The decline of the poet's powers is more visible in the Chute d'un ange, another antediluvian episode of the great universal epic, which he constantly promised the world. This extravagant, not to say absurd production, which was very carelessly composed besides, was coldly received, even by the most enthusiastic of the poet's admirers. The Recueillements poétiques (1839), Lamartine's last attempt at introspective poetry, were preceded by a Preface, in which he declared it a social duty to make poetry subservient to politics.

This work properly closes Lamartine's literary career. From this time forth he became transformed into a political character; he utterly abandoned his old Royalist and conservative principles and became a fervent supporter of the most revolutionary ideas. To this period of his life belongs the History of the Girondins, which a clever critic has called le mauvais livre par excellence." It was indeed a bad book, both as regards its historical value, which is nought, and the influence it exercised, which was most pernicious. It is a long political pamphlet written in a most seductive style, containing an apology of all the most criminal actors in the sanguinary drama of the Revolution and almost an apotheosis of Robespierre, their chief.

In 1848 Lamartine played an active part in the revolution of February. It was he, who during the last stormy session of the

V. pago 447 and page 449.

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