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Le bon vieillard lui dit, l'âme inquiète:
>>A cet enfant quel destin est promis?<«<
Elle répond; »Vois-le, sous ma baguette,
Garçon d'auberge, imprimeur et commis.1
Un coup de foudre ajoute à mes présages,2
Ton fils atteint va périr consumé;
Dieu le regarde, et l'oiseau ranimé
Vole en chantant braver d'autres orages.<<
Et puis la fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.

»Tous les plaisirs, sylphes de la jeunesse,
Éveilleront sa lyre au sein des nuits.
Au toit du pauvre il répand l'allégresse,
A l'opulence il sauve des ennuis.
Mais quel spectacle attriste son langage?
Tout s'engloutit, et gloire et liberté:
Comme un pêcheur qui rentre épouvanté,
Il vient au port raconter leur naufrage.<
Et puis la fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.

Le vieux tailleur s'écrie: »Eh quoi! ma fille
Ne m'a donné qu'un faiseur de chansons!
Mieux jour et nuit vaudrait tenir l'aiguille,
Que, faible écho, mourir en de vains sons.
Va, dit la fée, à tort tu t'en alarmes;
De grands talents ont de moins beaux succès.
Ses chants légers seront chers aux Français,
Et du proscrit adouciront les larmes.<<
Et puis la fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.

Amis, hier j'étais faible et morose,
L'aimable fée apparaît à mes yeux.
Ses doigts distraits effeuillaient une rose;
Elle me dit: »Tu te vois déjà vieux.

Tel qu'aux déserts parfois brille un mirage,3
Aux cœurs vieillis s'offre un doux souvenir.

Pour te fêter tes amis vont s'unir:

Longtemps près d'eux revis dans un autre âge.«<

Et puis la fée, avec ses gais refrains,

Comme autrefois dissipa mes chagrins.

Béranger was as a matter of fact printer and clerk (cf. the sketch of his life p. 472. As to his ever having been a waiter, this is a jest referring to the little services he rendered now and then as a child in the household of his aunt at Péronne.

2 The author was struck by lightning in his youth.

3 Les effets fantastiques du mirage trompent les yeux du voyageur au milieu des sables du désert; il croit voir devant lui des forêts, des lacs, des ruisseaux, etc. (Note by Béranger.)

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PHILIPPE-PAUL, COMTE DE SÉGUR, was born at Paris in 1780, and died in 1873 at the age of ninety-three years. He was the son of general Ségur, grand-master of the ceremonies to the emperor Napoleon I and a distinguished writer.2 Young Ségur was brought up by his uncle, who is also known as an author, and he was one of the first among the old nobility who gave in their adhesion to the new order of things. At a very youthful age he entered the consular guard; at Hohenlinden (1800) he was appointed aide-de-camp to Macdonald and after the peace of Lunéville (1801) was sent on diplomatic missions to the courts of Denmark and Spain. Having been attached in 1806 to the service of King Joseph, he was present at the siege of Gaëta and subsequently joined the main army with the rank of major. As aide-de-camp to the emperor, he took part in the Polish campaign, where he was wounded twice, taken prisoner and sent beyond Moscow; after the peace of Tilsit (1807) he was exchanged along with the other prisoners.

In 1808 Count Ségur was sent to Spain, where a brilliant feat of arms, which he executed under the emperor's very eyes, was the occasion of his being promoted to a colonelcy. After having been employed in several political missions, he became quarter-mastergeneral to the emperor, with the rank of major-general, and in this capacity followed him in the fatal expedition to Russia (1812); on his return he was appointed governour of the pages, but he soon took active service again and distinguished himself in the campaigns of 1813 and 1814. He held no appointment under the Restoration, but he reappeared on the political scene after the revolution of July, when he became a lieutenant-general and a French peer. In 1830 he was also elected a member of the French Academy. He retired into private life in 1848, nor did he seek under the second Empire any of those favours, to which his former services entitled him.

Ségur's principal work is his History of Napoleon I and the Great Army in 1812, which on its publication in 1824 met with immense success. In 1829 he published a History of Russia and of Peter the Great and in 1834 a History of Charles VII, king of France.

The History of Napoleon and the Great Army pleased the public particularly because of its captivating style. The dramatic talent of the author paints his scenes with gorgeous colours, which dazzle the reader as much as the harmony of the language charms his ear. But though the literary value of the work is incontestable, its matter has been severely criticized. The author's besetting sin is that he aims too much at effect; his object is rather to present us with a striking picture than to bring out historic truth. It is therefore not

We have followed Vapereau, Dictionnaire des contemporains. 2 V. p. 417. Joseph-Alexandre, vicomte de Ségur (1756-1805) wrote several novels and a number of plays which were acted at the Théâtre-Français. Joseph Bonaparte (1768-1814), the elder brother of the emperor was successively king of Naples (1806-1808) and king of Spain (1808-1815).

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surprising that his statements should have met with strenuous contradictions, the most complete of which is that published by general Gourgaud, aide-de-camp to the Emperor, who was an eye-witness of the events which Ségur relates. This is how general Gourgaud speaks of the sources, from which the author of the History of the Great Army probably obtained most of his facts:

»Lorsqu'on se mettait en marche, le maréchal des logis recevait du grand-maréchal du palais, ou de celui qui en faisait les fonctions, l'ordre de devancer de quelques heures le quartier-général impérial sur le point où il devait s'arrêter. Là, ayant sous ses ordres deux fourriers du palais, qui composaient le personnel de son commandement, il faisait préparer le logement de l'empereur et de sa suite, veillait à l'établissement du service de santé, de celui de la table, de l'office et des écuries. Ce devoir rempli, M. le comte de Ségur, dans ses loisirs, pouvait voir les officiers-généraux qui arrivaient au quartier impérial et en partaient; il pouvait recueillir les bruits qui se répandaient, les conjectures qui se formaient au milieu des officiers qui allaient en mission ou en revenaient; les conversations plus ou moins animées et les clameurs souvent indiscrètes du salon de service, ou des officiers qui se délassaient des fatigues de la journée, en exhalant leur humeur sur les hommes et sur les choses. Voilà les témoins de M. de Ségur, voilà ses garants, voilà les sources où il a puisé. C'est ce qui a fait dire à un homme de beaucoup d'esprit que son livre était le procès-verbal des caquets du quartier-général.

General Gourgaud's criticisms, which he sums up by calling Ségur's work un roman mal tissu décoré du nom d'histoire" are rather too severe. We must in this make some allowance for one who was one of the Emperor's own aide-de-camps, who followed him into captivity at St.-Helena and was so enthusiastic an admirer of bis genius, that he bitterly denounces any one attempting to criticize the faults and errors of his idol. In general Gourgaud's refutation we must carefully distinguish between those criticisms which relate to Ségur's views on the Emperor's political and military conduct, and those by which he rectifies errors of fact, when Ségur has been led astray from his duty as a historian by his brilliant imagination as a writer. We shall append a few of these corrections of general Gourgaud to the fragment we reprint from the History of Napoleon and the Great Army.

HISTOIRE DE NAPOLÉON ET DE LA GRANDE ARMÉE

PENDANT L'ANNEE 1812.

ENTRÉE DE LA GRANDE ARMÉE EN RUSSIE.

(Livre IV, chapitre 2.)

Entre ces deux ailes, la grande armée marchait au Niémen en trois masses séparées. Le roi de Westphalie, avec quatre-vingt mille hommes, se dirigeait sur Grodno; le vice-roi d'Italie, avec soixantequinze mille hommes sur Pilony; Napoléon, avec deux cent vingt mille hommes sur Nogaraïski, ferme située à trois lieues au-dessus de Kowno. Le 23 juin, avant le jour, la colonne impériale atteignit le Niémen, mais sans le voir. La lisière de la grande forêt prussienne Jérôme - Napoléon Bonaparte (1784-1860), king of Westphalia between 1807 and 1813.

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Eugène de Beauharnais (1781-1824), was the son of the vicomte de Beauharnais and Joséphine, who afterwards married Bonaparte (Napoleon I).

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de Pilwisky et les collines qui bordent le fleuve cachaient cette grande armée prête à le franchir.

Napoléon, qu'une voiture avait transporté jusque là, monta à cheval à deux heures du matin. Il reconnut1 le fleuve russe, sans se déguiser, comme on l'a dit faussement, mais en se couvrant de la nuit pour franchir cette frontière, que, cinq mois après, il ne put repasser qu'à la faveur d'une même obscurité.2 Comme il paraissait devant cette rive, son cheval s'abattit3 tout à coup et le précipita sur le sable. Une voix s'écria: >>Ceci est d'un mauvais présage; un Romain reculerait!<< - On ignore si ce fut lui ou quelqu'un de sa suite qui prononça ces mots.

Sa reconnaissance faite, il ordonna qu'à la chute du jour suivant trois ponts fussent jetés sur le fleuve près du village de Poniémen; puis il se retira dans son quartier, où il passa toute cette journée, tantôt dans sa tente, tantôt dans une maison polonaise, étendu sans force dans un air immobile, au milieu d'une chaleur lourde, et cherchant en vain le repos.

Dès que la nuit fut revenue, il se rapprocha du fleuve. Ce furent quelques sapeurs, dans une nacelle, qui le traversèrent d'abord. Étonnés, ils abordent et descendent sans obstacle sur la rive russe. Là ils trouvent la paix; c'est de leur côté qu'est la guerre: tout est calme sur cette terre étrangère, qu'on leur a dépeinte si menaçante. Cependant un simple officier de Cosaks, commandant une patrouille, se présente bientôt à eux. Il est seul, il semble se croire en pleine paix et ignorer que l'Europe entière en armes est devant lui. Il demande à ces étrangers qui ils sont. Français, lui répondirentils. Que voulez-vous, reprit cet officier, et pourquoi venez-vous en Russie?« Un sapeur lui répondit brusquement: »Vous faire la guerre! prendre Vilna! délivrer la Pologne!«< Et le Cosak se retire, il disparaît dans les bois, sur lesquels trois de nos soldats, emportés d'ardeur, et pour sonder la forêt, déchargent leurs armes.

Ainsi le faible bruit de trois coups de feu, auxquels on ne répondit pas, nous apprit qu'une nouvelle campagne s'ouvrait, et qu'une grande invasion était commencée.

Ce premier signal de guerre irrita violemment l'empereur, soit prudence ou pressentiment. Trois cents voltigeurs passèrent aussitôt le fleuve, pour protéger l'établissement des ponts.

Alors sortirent des vallons et de la forêt toutes les colonnes françaises. Elles s'avancèrent silencieusement jusqu'au fleuve, à la faveur d'une profonde obscurité. Il fallait les toucher pour les reconnaître.

1 Reconnaître, faire une reconnaissance to reconnoitre.

2 General Gourgaud (v. the sketch of Ségur's life) states that while out reconnoitring, Napoleon did as a matter of fact assume the cloak and the forage-cap of one of the Polish lancers, who were on duty as his body-guard. The question is not an important one; but General Gourgaud very aptly remarks that if a man cloaks himself in darkness, he is not very likely to see anything himself, or to be able to choose a favourable spot for crossing a river; and that besides, in the month of June it is quite light at two a. m. on the banks of the Niemen.

3

S'abattre is used more particularly of a horse missing its footing and coming down suddenly.

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Ségur wrote cosack, according to the Russian spelling. The usual French way of spelling the word is cosaque.

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We should generally say: emportés par leur ardeur.

On défendit les feux et jusqu'aux étincelles. On se reposa les armes à la main, comme en présence de l'ennemi. Les seigles verts et mouillés d'une abondante rosée servirent de lit aux hommes et de nourriture aux chevaux.

La nuit, sa fraîcheur qui interrompait le sommeil, son obscurité qui allonge les heures et augmente les besoins, enfin les dangers du lendemain, tout rendait grave cette position. Mais l'attente d'une grande journée soutenait. La proclamation de Napoléon venait d'être lue; on s'en répétait à voix basse les passages les plus remarquables et le génie des conquêtes enflammait notre imagination.

Devant nous était la frontière russe. Déjà, à travers les ombres, nos regards avides cherchaient à envahir cette terre promise à notre gloire. Il nous semblait entendre les cris de joie des Lithuaniens à l'approche de leurs libérateurs. Nous nous figurions ce fleuve bordé de leurs mains suppliantes. Ici tout nous manquait, là tout nous serait prodigué! ils s'empresseraient de pourvoir à nos besoins: nous allions être entourés d'amour et de reconnaissance. Qu'importe une mauvaise nuit, le jour allait bientôt renaître, et avec lui sa chaleur et toutes ses illusions! Le jour parut! il ne nous montra qu'un sable aride, désert, et de mornes et sombres forêts! Nos yeux alors se tournèrent tristement sur nous-mêmes, et nous nous sentîmes ressaisis d'orgueil et d'espoir par le spectacle imposant de notre armée réunie.

A trois cents pas du fleuve, sur la hauteur la plus élevée, on apercevait la tente de l'empereur. Autour d'elle toutes les collines, leurs pentes, les vallées, étaient couvertes d'hommes et de chevaux. Dès que la terre eut présenté au soleil toutes ces masses mobiles, revêtues d'armes étincelantes, le signal fut donné, et aussitôt cette multitude commença à s'écouler en trois colonnes vers les trois ponts. On les voyait serpenter en descendant la courte plaine qui les séparait du Niémen, s'en approcher, gagner les trois passages, s'allonger, se rétrécir pour les traverser et atteindre enfin ce sol étranger qu'ils allaient dévaster, et qu'ils devaient bientôt couvrir de leurs vastes débris.

L'ardeur était si grande que deux divisions d'avant-garde, se disputant l'honneur de passer les premières, furent près d'en venir aux mains; on eut quelque peine à les calmer. Napoléon se hâta de poser le pied sur les terres russes. Il fit sans hésiter ce premier pas vers sa perte. Il se tint d'abord près du pont, encourageant les soldats de ses regards. Tous le saluèrent de leur cri accoutumé. Ils parurent plus animés que lui, soit qu'il se sentit peser sur le cœur une si grande agression, soit que son corps affaibli ne pût supporter le poids d'une chaleur excessive, ou que déjà il fût étonné de ne rien trouver à vaincre.

L'impatience enfin le saisit. Tout à coup il s'enfonça à travers le pays, dans la forêt qui bordait le fleuve. Il courait de toute la vitesse de son cheval; dans son empressement il semblait qu'il voulût tout seul atteindre l'ennemi. Il fit plus d'une lieue dans cette direction, toujours dans la même solitude, après quoi il fallut bien revenir près des ponts, d'où il redescendit avec le fleuve et sa garde vers Kowno. 1

One need not be a soldier to think this galop of a league in a hostile and unknown country rather an unlikely proceeding on the part of Napoleon. The following is General Gourgaud's criticism:

»Comment un écrivain qui porte un titre militaire ose-t-il travestir

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