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au Parthénon! L'ordre est dorique, et le peu de hauteur de la colonne dans cet ordre vous donne à l'instant l'idée de la durée et de la solidité; mais cette colonne, qui de plus est sans base, deviendrait trop lourde. Ictinus a recours à son art: il fait la colonne cannelée, et l'élève sur des degrés; par ce moyen il introduit presque la légèreté du corinthien dans la gravité dorique. Pour tout ornement vous avez deux frontons et deux frises sculptées. La frise du péristyle se compose de petits tableaux de marbre régulièrement divisés par un triglyphe: à la vérité, chacun de ces tableaux est un chef-d'œuvre; la frise de la cella règne comme un bandeau au haut d'un mur plein et uni: voilà tout, absolument tout.

Par quelle fatalité ces chefs-d'œuvre de l'antiquité, que les modernes vont admirer si loin et avec tant de fatigues, doivent-ils en partie leur destruction aux modernes? Le Parthénon subsista dans son entier jusqu'en 1687: les chrétiens, le convertirent d'abord en église; et les Turcs, par jalousie des chrétiens le changèrent à leur tour en mosquée. Il faut que des Vénitiens viennent, au milieu des lumières du dix-septième siècle, canonner les monuments de Périclès; ils tirent à boulets rouges sur les Propylées et le temple de Minerve; une bombe tombe sur ce dernier édifice, enfonce la voûte, met le feu à des barils de poudre, et fait sauter en partie un édifice qui honorait moins les faux dieux des Grecs que le génie de l'homme. La ville étant prise, Morosini, dans le dessein d'embellir Venise des débris d'Athènes, veut descendre les statues du fronton du Parthénon, et les brise. Un autre moderne vient d'achever, par amour des arts, la destruction que les Vénitiens avaient commencée.1

Nous employâmes la matinée entière à visiter la citadelle. Les Turcs avaient autrefois accolé le minaret d'une mosquée au portique du Parthénon. Nous montâmes par l'escalier à moitié détruit de ce minaret; nous nous assîmes sur une partie brisée de la frise du temple, et nous promenâmes nos regards autour de nous. Nous avions le mont Hymette à l'est, le Pentélique au nord, le Parnès au nord-ouest; les monts Icare, Cordyalus ou Ægalée à l'ouest, et pardessus le premier on apercevait la cime du Cithéron; au sud-ouest et au midi on voyait la mer, le Pirée, les côtes de Salamine, d'Égine, d'Épidaure et la citadelle de Corinthe.

Au-dessous de nous, dans le bassin dont je viens de décrire la circonférence, on distinguait les collines et la plupart des monuments d'Athènes; au sud-ouest, la colline du Musée avec le tombeau de Philopappus; à l'ouest, les rochers de l'Aréopage, du Pnyx et du Lycabettus; au nord, le petit mont Anchesme, et à l'est les hauteurs qui dominent le Stade. Au pied même de la citadelle, on voyait les débris du théâtre de Bacchus et d'Hérode Atticus. A la gauche de ces débris venaient les grandes colonnes isolées du temple de Jupiter Olympien; plus loin encore, en tirant vers le nord-est, on apercevait l'enceinte du Lycée, le cours de l'Ilissus, le Stade, et un temple de

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Alluding to Lord Elgin, who carried to London the sculptures of the frieze of the Parthenon and the finest of the four caryatides of the Pandroseum. They may still be seen in the British Museum. Cf. Byron, The Curse of Minerva.

Diane ou de Cérès. Dans la partie de l'ouest et du nord-ouest, vers le grand bois d'oliviers, M. Fauvel me montrait la place du Céramique extérieur, de l'Académie, et de son chemin bordé de tombeaux. Enfin, dans la vallée formée par l'Anchesme et la citadelle, on découvrait la ville moderne.

Il faut maintenant se figurer tout cet espace tantôt nu et couvert d'une bruyère jaune, tantôt coupé par des bouquets d'oliviers, par des carrés d'orge, par des sillons de vignes: il faut se représenter des fûts de colonnes et des bouts de ruines anciennes et modernes, sortant du milieu de ces cultures; des murs blanchis et des clôtures de jardins traversant les champs: il faut répandre dans la campagne des Albanaises qui tirent de l'eau, ou qui lavent à des puits les robes des Turcs; des paysans qui vont et viennent, conduisant des ânes, ou portant sur leur dos des provisions à la ville: il faut supposer toutes ces montagnes dont les noms sont si beaux, toutes ces ruines si célèbres, toutes ces îles, toutes ces mers non moins fameuses, éclairées d'une lumière éclatante. J'ai vu, du haut de l'Acropole, le soleil se lever entre les deux cimes du mont Hymette: les corneilles qui nichent autour de la citadelle, mais qui ne franchissent jamais son sommet, planaient au-dessous de nous; leurs ailes noires et lustrées étaient glacées de rose par les premiers reflets du jour; des colonnes de fumée bleue et légère montaient dans l'ombre le long des flancs de l'Hymette et annonçaient les parcs ou les chalets des abeilles; Athènes, l'Acropole et les débris du Parthénon se coloraient de la plus belle teinte de la fleur du pêcher; les sculptures de Phidias, frappées horizontalement d'un rayon d'or, s'animaient et semblaient se mouvoir sur le marbre par la mobilité des ombres du relief; au loin, la mer et le Pirée étaient tout blancs de lumière; et la citadelle de Corinthe, renvoyant l'éclat du jour nouveau, brillait sur l'horizon du couchant, comme un rocher de pourpre et de feu.

Du lieu où nous étions placés, nous aurions pu voir, dans les beaux jours d'Athènes, les flottes sortir du Pirée pour combattre l'ennemi ou pour se rendre aux fêtes de Délos; nous aurions pu entendre éclater au théâtre de Bacchus les douleurs d'Edipe, de Philoctète et d'Hécube: nous aurions pu ouïr les applaudissements des citoyens au discours de Démosthène. Mais, hélas! aucun son ne frappait notre oreille. A peine quelques cris échappés à une populace esclave sortaient par intervalles de ces murs, qui retentirent si longtemps de la voix d'an peuple libre. Je me disais, pour me consoler, ce qu'il faut se dire sans cesse: Tout passe, tout finit dans ce monde. Où sont allés les génies divins qui élevèrent le temple sur les débris duquel j'étais assis? Ce soleil, qui peut-être éclairait les derniers soupirs de la pauvre fille de Mégare, avait vu mourir la brillante Aspasie. tableau de l'Attique, ce spectacle que je contemplais, avait été contemplé par des yeux fermés depuis deux mille ans. Je passerai à mon tour: d'autres hommes aussi fugitifs que moi viendront faire les mêmes réflexions sur les mêmes ruines. Notre vie et notre cœur sont entre les mains de Dieu: laissons-le donc disposer de l'une comme de l'autre.

Ce

III. FRAGMENT D'ATALA.

C'est une singulière destinée, mon cher fils, que celle qui nous réunit. Je vois en toi l'homme civilisé qui s'est fait sauvage; tu vois en moi l'homme sauvage que le Grand-Esprit (j'ignore pour quel dessein) a voulu civiliser. Entrés l'un et l'autre dans la carrière de la vie par les deux bouts opposés, tu es venu te reposer à ma place, et j'ai été m'asseoir à la tienne: ainsi nous avons dû avoir des objets une vue totalement différente. Qui, de toi ou de moi, a le plus gagné ou le plus perdu à ce changement de position? C'est ce que savent les génies, dont le moins savant a plus de sagesse que tous les hommes ensemble.

A la prochaine lune des fleurs', il y aura sept fois dix neiges, et trois neiges de plus, que ma mère me mit au monde sur les bords du Meschacébé. Les Espagnols s'étaient depuis peu établis dans la baie de Pensacola; mais aucun blanc n'habitait encore la Louisiane. Je comptais à peine dix-sept chutes de feuilles, lorsque je marchai avec mon père, le guerrier Outalissi, contre les Muscogulges, nation puissante des Florides. Nous nous joignîmes aux Espagnols, nos alliés, et le combat se donna sur une des branches de la Mobile.+ Areskoui5 et les manitous ne nous furent pas favorables. Les ennemis triomphèrent; mon père perdit la vie; je fus blessé deux fois en le défendant. Oh! que ne descendis-je alors dans le pays des âmes! j'aurais évité les malheurs qui m'attendaient sur la terre. Les esprits en ordonnèrent autrement: je fus entraîné par les fuyards à SaintAugustin.7

Dans cette ville, nouvellement bâtie par les Espagnols, je courais le risque d'être enlevé pour les mines de Mexico, lorsqu'un vieux Castillan, nommé Lopez, touché de ma jeunesse et de ma simplicité, m'offrit un asile, et me présenta à une sœur avec laquelle il vivait sans épouse.

Tous les deux prirent pour moi les sentiments les plus tendres. On m'éleva avec beaucoup de soin; on me donna toutes sortes de maîtres. Mais après avoir passé trente lunes à Saint-Augustin, je fus saisi du dégoût de la vie de cités. Je dépérissais à vue d'œil: tantôt je demeurais immobile pendant des heures à contempler la cime des lointaines forêts; tantôt on me trouvait assis au bord d'un fleuve, que je regardais tristement couler. Je me peignais les bois à travers lesquels cette onde avait passé, et mon âme était tout entière à la solitude.

Ne pouvant plus résister à l'envie de retourner au désert, un matin je me présentai à Lopez, vêtu de mes habits de sauvage, tenant d'une

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The month of May.

Neige, i. e. hiver, meaning a year, that is 73 years.

I. e. Mother of the waters, one of the Indian names of the Mississipi. The Mobile, a river in Alabama U S., formed by the junction of the Alabama and the Tombeckbee, flows into the bay of Mobile, which is a portion of the Mexican gulf.

5 The war-god.

The tutelary spirits.

7 A small town in Eastern Florida.

main mon arc et mes flèches, et de l'autre mes vêtements européens. Je les remis à mon généreux protecteur, aux pieds duquel je tombai en versant des torrents de larmes. Je me donnai des noms odieux; je m'accusai d'ingratitude. »Mais enfin, lui dis-je, ô mon père! tu le vois toi-même: je meurs, si je ne reprends la vie de l'Indien.<<<

Lopez, frappé d'étonnement, voulut me détourner de mon dessein, Il me représenta les dangers que j'allais courir, en m'exposant à tomber de nouveau entre les mains des Muscogulges. Mais voyant que j'étais résolu à tout entreprendre, fondant en pleurs, et me serrant dans ses bras: »Va, s'écria-t-il, enfant de la nature, reprends cette indépendance de l'homme, que Lopez ne veut point te ravir. Si j'étais plus jeune moi-même, je t'accompagnerais au désert (où j'ai aussi de doux souvenirs), et je te remettrais dans les bras de ta mère. Quand tu seras dans tes forêts, songe quelquefois à ce vieil Espagnol qui te donna l'hospitalité, et rappelle-toi, pour te porter à l'amour de tes semblables, que la première expérience que tu as faite du cœur humain a été tout en sa faveur.« Lopez finit par une prière au Dieu des chrétiens, dont j'avais refusé d'embrasser le culte; et nous nous quittâmes avec des sanglots.

Je ne tardai pas à être puni de mon ingratitude. Mon inexpérience m'égara dans les bois, et je fus pris par un parti de Muscogulges et de Siminoles, comme Lopez me l'avait prédit. Je fus reconnu pour Natchez, à mon vêtement et aux plumes qui ornaient ma tête. On m'enchaîna, mais légèrement, à cause de ma jeunesse. Simaghan, le chef de la troupe, voulut savoir mon nom. Je répondis: »Je m'appelle Chactas, fils d'Outalissi, fils de Miscou, qui ont enlevé plus de cent chevelures aux héros muscogulges.« Simaghan me dit: >>Chactas, fils d'Outalissi, fils de Miscou, réjouis-toi; tu seras brûlé au grand village.« Je repartis: »Voilà qui va bien«: et j'entonnai ma chanson de mort.

Les femmes qui accompagnaient la troupe témoignaient pour ma jeunesse une pitié tendre et une curiosité aimable. Elles me questionnaient sur ma mère, sur les premiers jours de ma vie, elles voulaient savoir si l'on suspendait mon berceau de mousse aux branches fleuries des érables, si les brises m'y balançaient auprès du nid des petits oiseaux. Elles m'apportaient de la crême de noix, du sucre d'érable, de la sagamité, des jambons d'ours, des peaux de castors, des coquillages pour me parer, des mousses pour ma couche. Elles chantaient, elles riaient avec moi, et puis elles se prenaient à verser des larmes, en songeant que je serais brûlé.

1 A kind of paste, made of Indian corn.

MILLEVOYE

CHARLES-HUBERT MILLEVOYE was the son of a merchant and

was born in 1782 at Abbeville in Picardy. He died at Paris in 1816. Millevoye was carefully educated and at an early age began to show considerable poetical talent. He first tried the bar, and subsequently entered a bookseller's business, but he soon abandoned both these careers. In 1806 he began to compete for the prizes offered by the French Academy, which he won several times. We reprint the first of his elegies, which is generally considered his best production.

LA CHUTE DES FEUILLES.

De la dépouille de nos bois.
L'automne avait jonché la terre;
Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste, et mourant à son aurore,
Un jeune malade, à pas lents,
Parcourait une fois encore
Le bois cher à ses premiers ans:
>>Bois que j'aime! adieu...je succombe.
Ton deuil m'avertit de mon sort;
Et dans chaque feuille qui tombe
Je vois un présage de mort.
Fatal oracle d'Épidaure, 1

Tu m'as dit: »Les feuilles des bois
»A tes yeux jauniront encore;
>>Mais c'est pour la dernière fois.
»L'éternel cyprès se balance;
»Déjà sur ta tête en silence
>>I incline ses longs rameaux:
>>Ta jeunesse sera flétrie
»Avant l'herbe de la prairie,
»>Avant le pampre des coteaux.<«<

1

Et je meurs! De leur froide haleine
M'ont touché les sombres autans2 ;
Et j'ai vu, comme une ombre vaine,
S'évanouir mon beau printemps.
Tombe, tombe, feuille éphémère!
Couvre, hélas! ce triste chemin;
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain.
Mais si mon amante voilée
Au détour de la sombre allée
Venait pleurer quand le jour fuit,
Eveille par un léger bruit
Mon ombre un instant consolée.<<<
Il dit, s'éloigne.... et, sans retour...
La dernière feuille qui tombe
A signalé son dernier jour.
Sous le chêne on creusa sa tombe...
Mais son amante ne vint pas
Visiter la pierre isolée;

Et le pâtre de la vallée

Troubla seul du bruit de ses pas
Le silence du mausolée.

Epidaurus in Argolis, on the Saronic gulf. There was in this town a magnificent temple and a famous oracle of Esculapius, the God of healing.

2

Autan, a poetical word for tempête.

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