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j'aimais mieux que cet ordre passât par l'ambassadeur de France, j'en étais bien la maîtresse; que cet ambassadeur s'adresserait au landammann du canton de Vaud, qui renverrait M. Schlegel de chez moi. En faisant faire ce détour au despotisme, j'aurais gagné dix jours; rien de plus. Je voulus savoir pourquoi l'on m'ôtait la société de M. Schlegel, mon ami et celui de mes enfants. Le préfet, qui avait l'habitude, comme la plupart des agents de l'empereur, de joindre des phrases doucereuses à des actes très-durs, me dit que c'était par intérêt pour moi que le gouvernement éloignait de ma maison M. Schlegel, qui me rendait anti-française. Vraiment touchée de ce soin paternel du gouvernement, je demandai ce qu'avait fait M. Schlegel contre la France; le préfet m'objecta ses opinions littéraires, et entre autres une brochure de lui, dans laquelle, en comparant la Phèdre d'Euripide à celle de Racine, il avait donné la préférence à la première. C'était bien délicat pour un monarque corse, de prendre ainsi fait et cause pour les moindres nuances de la littérature française. Mais, dans le vrai, on exilait M. Schlegel parce qu'il était mon ami, parce que sa conversation animait ma solitude, et que l'on commençait à mettre en œuvre le système qui devait se manifester, de me faire une prison de mon âme, en m'arrachant toutes les jouissances de l'esprit et de l'amitié.

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Je repris la résolution de partir, à laquelle la douleur de quitter mes amis et les cendres de mes parents m'avait si souvent fait renoncer. Mais une grande difficulté restait à résoudre, c'était le choix des moyens de départ. Le gouvernement français mettait de telles entraves au passeport pour l'Amérique, que je n'osais plus recourir à ce moyen. D'ailleurs, j'avais des raisons de craindre qu'au moment où je m'embarquerais, on ne prétendît qu'on avait découvert que je voulais aller en Angleterre, et qu'on ne m'appliquât le décret qui condamnait à la prison ceux qui tentaient de s'y rendre sans l'autorisation du gouvernement. Il me paraissait donc infiniment préférable d'aller en Suède, dans cet honorable pays dont le nouveau chef 2 annonçait déjà la glorieuse conduite qu'il a su soutenir depuis. Mais par quelle route se rendre en Suède? Le préfet m'avait fait savoir de toutes manières, que partout où la France commanderait je serais arrêtée, et comment arriver là où elle ne commandait pas? Il fallait traverser la Bavière et l'Autriche. Je me fiais au Tyrol, bien qu'il fût réuni à un état confédéré, à cause du courage que ses malheureux habitants avaient montré. Quant à l'Autriche, malgré le funeste abaissement dans lequel elle était tombée, j'estimais assez son monarque pour croire qu'il ne me livrerait pas; mais je savais aussi qu'il ne pourrait me défendre. Après avoir sacrifié l'antique honneur de sa maison, quelle force lui restait-il en aucun genre? Je passais donc ma vie à étudier la carte de l'Europe pour m'enfuir, comme Napoléon l'étudiait pour s'en rendre maître, et ma campagne, ainsi que la sienne, avait toujours la Russie pour objet. Cette puissance était le dernier asile des opprimés: ce devait être celle que le dominateur de l'Europe voulait abattre.

1 For: en réalité.

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2 Bernadotte, then crownprince of Sweden. Alluding to Napoleon's marriage with the arch duchess Marie-Louise.

CHATEAUBRIAND.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.1

FRANÇOIS - RENÉ - AUGUSTE, VICOMTE DE CHATEAUBRIAND,

sprang from an old and noble family in Brittany. He was born in 1768 at St.-Malo, and his first years were spent in an old castle built on the sea-shore, in a wild, romantic spot, whose aspect was not without influence on the impressionable and dreamy character of the boy. Being a younger son, Chateaubriand was destined for the church, but he had more taste for a military life and obtained a commission as sublieutenant in the army, which the first events of the Revolution caused him to throw up. At the age of twenty-three he sailed for America (1791); he had a scheme for discovering the North-West passage, but finding this undertaking, whose difficulties he had not sufficiently considered, an impossible one, he began to rove through the vast solitudes of the New World, taking in their wild beauty with the eye of an artist and gathering, as he went, those imperishable impressions which have largely influenced the style and character of his writings.

A torn leaf of an English newspaper, which chance threw in his way in an American farm, told Chateaubriand the news of the king's attempted flight and of the first excesses of the Revolution. These grave events brought him back to France, where he landed in 1792. He was not long before joining the emigrant-army, which the prince de Condé was then organizing at Coblentz. Severely wounded in a skirmish near Thionville, taken on board ship at Ostende, he was saved by the care of a poor fisherman's wife at Jersey; thence, when he had recovered his health, he repaired to London, almost destitute, and gained a livelihood by doing translations for various booksellers. As the emigrant-laws were no longer strictly observed, since Bonaparte had become first consul, Chateaubriand returned to France. In 1800 he published Atala and René, two episodes of a fantastic novel, Les Natchez, the plan of which he had conceived in America, and which he subsequently finished. Atala met with a success almost equal to that achieved by Paul et Virginie,2 a work which had in a manner served as its model, and which it resembled by its poetical colouring and harmonious language.

In 1802 appeared the Génie du Christianisme, a book intended. by the author to restore among men of the world the religious beliefs, which had been so rudely shaken by the writers of the 18th century. This work excited a universal enthusiasm, and contemporary writers unanimously declare that it did in fact mainly contribute to the reestablishment of the Roman-Catholic religion, which Napoléon on his part supported by the Concordate he soon after concluded with the Pope. Later critics have, it is true, exposed the many weaknesses of a work which nowhere attempts to found religious belief on a sound basis, but, to raise and strengthen it, is content to appeal to poetical and artistic impressions and historical associations.

1 We have followed the Mémoires d'Outre-tombe and Chateaubriand's biography by Lamé Fleury. 2 V. p. 403 of this Manual.

The Génie du Christianisme had attracted the attention of the first consul, who appointed its author secretary of the French embassy at Rome. But soon after, in 1804, an energetic protest against the murder of the Duke of Enghien, which Chateaubriand had the courage to publish, put an end to his political career under the Empire.

In 1806 Chateaubriand went on a tour to Greece and Palestine: the Itinéraire de Paris à Jérusalem and some time after the Martyrs, a poem in prose, were the fruit of this visit. In 1811 the author of Atala was elected a member of the French Academy.

The restoration of 1814 at first counted Chateaubriand among its warmest supporters. His pamphlet Bonaparte et les Bourbons rendered a signal service to the cause of legitimate monarchy and once more threw open an official career to its author. After having fulfilled several important diplomatic missions, he was appointed, under circumstances of great difficulty, secretary of state for foreign affairs. It was Chateaubriand, who in 1823, directed the French intervention, by which absolute monarchy was restored in Spain, an intervention which had been resolved upon at the Congress of Verona (1822) whose history he subsequently published. But the wise and farsighted policy with which he opposed the ultra-royalist principles of his colleagues soon caused his disgrace; he resigned his seat in the cabinet and retired into private life.

The revolution of 1830 called Chateaubriand back to the political scene, but only for a short time. In the House of Peers he spoke against the election of Louis-Philippe, duke of Orléans, and for the rights of the infant duke of Bordeaux, who after the abdication of Charles II and the Dolphin was the legitimate heir to the throne. His eloquent words, however, found no response and under the monarchy of July he took no part in public affairs, devoting himself entirely to literary work and in particular to the composition of his Mémoires d'outre-tombe. He lived to see a third revolution in 1848, and died soon after at Paris.

Chateaubriand's style is brilliant and picturesque, but it is too frequently forced and artificial. We reprint a portion of the Génie du Christianisme, fragment of Atala and an extract from the Itinéraire de Paris à Jérusalem, which of all his works is the one whose style is most simple and unaffected.

I. LE GÉNIE DU CHRISTIANISME.

IDÉE DE L'OUVRAGE.

(Livre I, Chapitre I.)

Ce n'étaient pas les sophistes qu'il fallait réconcilier à la religion, c'était le monde qu'ils égaraient. On l'avait séduit en lui disant que le christianisme était un culte né du sein de la barbarie, absurde dans ses dogmes, ridicule dans ses cérémonies, ennemi des arts et des lettres, de la raison et de la beauté; un culte qui n'avait fait que verser le sang, enchaîner les hommes, et retarder le bonheur et les lumières du genre humain: on devait donc chercher à prouver au contraire que, de toutes les religions qui ont jamais existé, la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à

la liberté, aux arts et aux lettres; que le monde moderne lui doit tout, depuis l'agriculture jusqu'aux sciences abstraites, depuis les hospices pour les malheureux jusqu'aux temples bâtis par Michel-Ange,1 et décorés par Raphaël.2 On devait montrer qu'il n'y a rien de plus divin que sa morale, rien de plus aimable, de plus pompeux que ses dogmes, sa doctrine et son culte; on devait dire qu'elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, donne de la vigueur à la pensée, offre des formes nobles à l'écrivain, et des moules parfaits à l'artiste; qu'il n'y a point de honte à croire avec Newton et Bossuet, Pascal et Racine; enfin il fallait appeler tous les enchantements de l'imagination et tous les intérêts du cœur au secours de cette même religion contre laquelle on les avait armés.

Ici le lecteur voit notre ouvrage. Les autres genres d'apologie sont épuisés, et peut-être seraient-ils inutiles aujourd'hui. Qui estce qui lirait maintenant un ouvrage de théologie? quelques hommes pieux qui n'ont pas besoin d'être convaincus, quelques vrais chrétiens déjà persuadés. Mais n'y a-t-il pas de danger à envisager la religion sous un jour purement humain? Et pourquoi? Notre religion craintelle la lumière? Une grande preuve de sa céleste origine, c'est qu'elle souffre l'examen le plus sévère et le plus minutieux de la raison. Veut-on qu'on nous fasse éternellement le reproche de cacher nos dogmes dans une nuit sainte, de peur qu'on n'en découvre la fausseté? Le christianisme sera-t-il moins vrai quand il paraîtra plus beau? Bannissons une frayeur pusillanime; par excès de religion, ne laissons pas la religion périr. Nous ne sommes plus dans le temps où il était bon de dire: Croyez, et n'examinez pas; on examinera malgré nous; et notre silence timide, en augmentant le triomphe des incrédules, diminuera le nombre des fidèles.

Nous osons croire que cette manière d'envisager le christianisme présente des rapports peu connus: sublime par l'antiquité de ses souvenirs, qui remontent au berceau du monde, ineffable dans ses mystères, adorable dans ses sacrements; intéressant dans son histoire, céleste dans sa morale, riche et charmant dans ses pompes, il réclame toutes les sortes de tableaux. Voulez-vous le suivre dans la poésie? le Tasse, Milton, Corneille, Racine, Voltaire,5 vous retracent ses miracles. Dans les belles-lettres, l'éloquence, l'histoire, la philosophie? que n'ont point fait par son inspiration Bossuet, Fénelon, Massillon, Bourdaloue, Bacon, Pascal, Euler, Newton, Leibnitz!8 Dans les

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Michael-Angelo Buonarotti, painter, sculptor and architect (14741564). Raphaël Sanzio, the most illustrious of Italian painters (1483-1520). 3 Bossuet v. p. 153; Pascal v. p. 54; Racine v. p. 164.

Le Tasse (Torquato Tasso) 1544-1595 author of the Gierusalemme Liberata. 5 Corneille, Racine, Voltaire, the last named here because of his Zaïre, v. p. 1, 164, and 323. Fénelon v. p. 241; Massillon v. p. 263; Bourdaloue v. p. 263, n. 1. 7 Euler v. p, 363, n. 8.

8 Leibnitz (1646-1716), a man of almost universal knowledge, who was a distinguished theologian, philosopher, jurist, historian, linguist, mathematician, and naturalist was born at Leipzig; in 1676 he settled at Hanover, wrote the Théodicée and inaugurated the celebrated collection called Acta eruditorum, in which he published the most important of his discoveries, the Differential Calculus, though it is a contested point whether Newton or he discovered it first.

arts? que de chefs-d'œuvre! Si vous l'examinez dans son culte, que de choses ne vous disent point et ses vieilles églises gothiques, et ses prières admirables, et ses superbes cérémonies! Parmi son clergé, voyez tous ces hommes qui vous ont transmis la langue et les ouvrages de Rome et de la Grèce, tous ces solitaires de la Thébaïde, tous ces lieux de refuge pour les infortunés, tous ces missionnaires à la Chine, au Canada, au Paraguay, sans oublier les ordres militaires, d'où va naître la chevalerie! Mœurs de nos aïeux, peinture des anciens jours, poésie, romans même, choses secrètes de la vie, nous avons tout fait servir à notre cause. Nous demandons des sourires au berceau et des pleurs à la tombe; tantôt, avec le moine maronite, nous habitons les sommets du Carmel et du Liban; tantôt, avec la fille de la Charité, nous veillons au lit du malade; ici deux époux américains nous appellent au fond de leurs déserts; là nous entendons gémir la vierge dans les solitudes du cloître: Homère vient se placer auprès de Milton, Virgile à côté du Tasse: les ruines de Memphis et d'Athènes contrastent avec les ruines des monuments chrétiens, les tombeaux d'Ossian avec nos cimetières de campagne; à Saint-Denis nous visitons la cendre des rois, et quand notre sujet nous force de parler du dogme de l'existence de Dieu, nous cherchons seulement nos preuves dans les merveilles de la nature; enfin nous essayons de frapper au cœur de l'incrédule de toutes les manières: mais nous n'osons nous flatter de posséder cette verge miraculeuse de la religion, qui fait jaillir du rocher les sources d'eau vive.

II. ITINÉRAIRE DE PARIS A JÉRUSALEM.

LES RUINES D'ATHÈNES EN 1806.

Enfin, le grand jour de notre entrée à Athènes se leva. Le 23, à trois heures du matin, nous étions tous à cheval; nous commençâmes à défiler en silence par la voie Sacrée :1 je puis assurer que l'initié le plus dévot à Cérès n'a jamais éprouvé un transport aussi vif que le mien. Nous avions mis nos beaux habits pour la fête; le janissaire avait retourné son turban, et par extraordinaire, on avait frotté et pansé les chevaux. Nous traversâmes le lit d'un torrent appelé Saranta-Potamo ou les Quarante Fleuves, probablement le Céphise Eleusinien: nous vîmes quelques débris d'églises chrétiennes. D'autres ruines nous annoncèrent les monuments d'Eumolpe et d'Hippothoon;2 nous trouvâmes les rhiti ou les courants d'eau salée: c'était là que, pendant les fêtes d'Éleusis, les gens du peuple insultaient les passants, en mémoire des injures qu'une vieille femme avait dites autrefois à Cérès. De là passant au fond, ou au point extrême du canal de Salamine, nous nous engageâmes dans le défilé que forment le mont Parnès et le mont Egalée: cette partie de la voie Sacrée s'appelait le Mystique. Nous aperçûmes le monastère de Daphné, bâti sur les débris du temple d'Apollon, et dont l'église est une des plus anciennes de l'Attique. Un peu plus loin, nous remarquâmes quelques restes

The sacred road to Eleusis, where the traveller can see to this day, cut deep in the rock, the print of the wheels of the chariots which went in procession to the feasts of Ceres.

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Eumolpus, a mythical king of Eleusis. Hippothoon, an Athenian hero. R. Platz, Manual of French Literature.

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