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DIDEROT.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.

DENIS DIDEROT, who was born at Langres in 1713, was the son of a cutler. At an early age he showed himself gifted with extraordinary abilities. He was destined for the church, but he soon devoted himself to literature instead, and published a number of sceptical writings, which caused him to be prosecuted and fined by the authorities. With the assistance of the mathematician d'Alembert (1717-1783), of Voltaire, Rousseau, and other eminent men of letters, he published the Encyclopædia, a work of vast range, in which all the sciences are treated in articles arranged in alphabetical order, and which is the most faithful exponent of the doctrines of the 18th century. Diderot also put on the stage two dramas of a novel description, le Fils naturel and le Père de famille, which had no great success in France, but had the merit of inaugurating in Germany the school of the popular drama, whose chief representative was Iffland. For three years Diderot wrote for Grimm, who was the literary correspondent of several of the crowned heads of Europe, critical accounts of the Salons, which are still regarded as models of their kind, and have proved his best claim to celebrity. In 1765 he was compelled by want to sell his library. The empress Catherine II of Russia bought it, on condition that he should continue in possession of it, and from that time she undertook to provide for all his wants. In 1773 Diderot paid his benefactress a visit at St. Petersburg. After his return to Paris, he lived a very retired life and died in 1784. The best points of Diderot's writings are their warmth and boldness; their worst, a too vivid flow of imagination, and an inflated style.

Diderot's works are even less fit than Rousseau's to be put into the hands of young students. We have confined our selection to a short extract, merely to serve as a specimen of the writer's manner.

MONTESQUIEU ET CHESTERFIELD.

Le président de Montesquieu2 et milord Chesterfield3 se rencontrèrent, faisant l'un et l'autre le voyage d'Italie. Ces hommes étaient faits pour se lier promptement; aussi la liaison entre eux fut-elle

1 I. e. picture-exhibitions.

2 V. p. 289.

Lord Chesterfield (1694-1779) known especially for his elegant letters to his son.

bientôt faite. Ils allaient toujours, disputant sur les prérogatives des deux nations. Le lord accordait au président que les Français avaient plus d'esprit que les Anglais; mais il soutenait qu'en revanche ils n'avaient pas le sens commun. Le président convenait du fait; mais il n'y avait pas de comparaison à faire entre l'esprit et le bon sens. Il y avait déjà plusieurs jours que la dispute durait; ils étaient à Venise.

Le président se répandait beaucoup, allait partout, voyait tout, interrogeait, causait, et le soir tenait registre des observations qu'il avait faites. Il y avait une heure ou deux qu'il était rentré et qu'il était à son occupation ordinaire, lorsqu'un inconnu se fit annoncer. C'était un Français assez mal vêtu, qui lui dit: >>Monsieur, je suis votre compatriote. Il y a vingt ans que je vis ici; mais j'ai toujours gardé de l'amitié pour les Français, et je me suis cru quelquefois trop heureux de trouver l'occasion de les servir, comme je l'ai aujourd'hui avec vous., On peut tout faire dans ce pays, excepté se mêler des affaires d'État. Un mot inconsidéré sur le gouvernement coûte la tête, et vous en avez déjà tenu plus de mille. Les inquisiteurs d'État ont les yeux ouverts sur votre conduite; on vous épie, on suit tous vos pas, on tient note de tous vos projets; on ne doute point que vous n'écriviez. Je sais de science certaine qu'on doit, peut-être aujourd'hui, peut-être demain, faire chez vous une visite. Voyez, monsieur, si en effet vous avez écrit, et songez qu'une ligne innocente, mais mal interprétée, vous coûterait la vie. Voilà tout ce que j'ai à vous dire. J'ai l'honneur de vous saluer. Si vous me rencontrez dans les rues, je vous demande, pour toute récompense d'un service que je crois de quelque importance, de ne me pas reconnaître, et si par hasard il était trop tard pour vous sauver, et qu'on vous prît, de ne me pas dénoncer.<<

Cela dit, mon homme disparut et laissa le président de Montesquieu dans la plus grande consternation. Son premier mouvement fut d'aller bien vite à son secrétaire, de prendre les papiers et de les jeter dans le feu.

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A peine cela fut-il fait, que milord Chesterfield rentra. n'eut pas de peine à reconnaître le trouble terrible de son ami, il s'informa de ce qui pouvait lui être arrivé. Le président lui rend compte de la visite qu'il avait eue, des papiers brûlés et de l'ordre qu'il avait donné de tenir prête sa chaise de poste pour trois heures du matin; car son' dessein était de s'éloigner sans délai d'un séjour où un moment de plus ou de moins pouvait lui être si funeste. Milord Chesterfield l'écouta tranquillement et lui dit: »Voilà qui est bien, mon cher président; mais remettons-nous pour un instant, et examinons ensemble votre aventure à tête reposée. Vous vous moquez! lui dit le président. Il est impossible que ma tête se repose, où elle ne tient qu'à un fil. Mais qu'est-ce que cet homme qui vient si généreusement s'exposer au plus grand péril, pour vous en

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This was in 1728. The government of Venice was a strong and very jealous oligarchy; the power of the doge was limited by the Council of Ten, the state inquisitor and the tribunal of the Forty.

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Generally we say: Je sais de source certaine.

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garantir? Cela n'est pas naturel. Français tant qu'il vous plaira, l'amour de la patrie ne fait point faire de ces démarches périlleuses, et surtout en faveur d'un inconnu. Cet homme n'est pas votre ami? Non. Il était mal vêtu? Vous a-t-il de- Oui, fort mal. mandé de l'argent, un petit écu pour prix de son avis? - Oh! pas une obole. Cela est encore plus extraordinaire. Mais d'où saitil tout ce qu'il vous a dit? Ma foi, je n'en sais rien . . . . Des inquisiteurs, d'eux-mêmes. — Outre que ce conseil est le plus secret qu'il y ait au monde, cet homme n'est pas fait pour en approcher. Mais c'est peut-être un des espions qu'ils emploient. A d'autres! On prendra pour espion un étranger, et cet espion sera vêtu comme un gueux, en faisant une profession assez vile pour être bien payée; et cet espion trahira ses maîtres pour vous, au hasard d'être étranglé, si l'on vous prend, et que vous le défériez, si vous vous sauvez, et que l'on soupçonne qu'il vous ait averti! Chansons que tout cela, mon ami. Mais qu'est-ce donc que ce peut être? Je le cherche, mais inutilement.<<<

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Après avoir l'un et l'autre épuisé toutes les conjectures possibles, et le président persistant à déloger au plus vite, et cela pour le plus sûr, milord Chesterfield, après s'être un peu promené, s'être frotté le front comme un homme à qui il vient quelque pensée profonde, s'arrêta tout court, et dit: »Président, attendez; mon ami, il me vient une idée. Mais.... si .... par hasard.... cet homme.... — Eh bien! cet homme? - Si cet homme.... oui, cela pourrait bien être, cela est même, je n'en doute plus. Mais qu'est-ce que cet homme? Si vous le savez, dépêchez-vous vite de me l'apprendre. Si je le sais? oh oui, je crois le savoir à présent. ... Si cet homme vous avait été envoyé par ....? Épargnez, s'il vous plaît! Par un homme qui est malin quelquefois, par un certain milord Chesterfield, qui aurait voulu vous prouver par expérience qu'une once de sens commun vaut mieux que cent livres d'esprit; car avec du sens Ah! scélérat, s'écria le président, quel tour vous m'avez joué! Et mon manuscrit! mon manuscrit que j'ai brûlé!« Le président ne put jamais pardonner au lord cette plaisanterie. Il avait ordonné qu'on tint sa chaise prête, il monta dedans et partit la nuit même, sans dire adieu à son compagnon de voyage. Moi, je me serais jeté à son cou, je l'aurais embrassé cent fois, et je lui aurais dit: »Ah! mon ami, vous m'avez prouvé qu'il y avait en Angleterre des gens d'esprit, et je trouverai peut-être l'occasion, une autre fois, de vous prouver qu'il y a en France des gens de bon sens.<<<

commun

1 I. e. que vous le dénonciez.

BUFFON.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.

GEORGE-LOUIS LECLERC, COMTE DE BUFFON, was born in 1707

at Montbard in Burgundy. His father was councillor of the parliament of Dijon, the ancient capital of that province. From his youth up he devoted himself to the study of Natural Science. After travelling in Italy and England, he made himself a name by his experiments in physics and some excellent scientific memoirs, which procured his election as member of the Académie des Sciences and his nomination to the post of superintendent of the Jardin des Plantes.

Buffon's chief work is his Natural History, whose first volumes appeared in 1749, and on which he was engaged nearly all his life. His novel views and wide-spread researches did much to further the progress of Natural Science; but he has been justly blamed for his utter want of scientific classification and his reckless hypotheses, the worst instances of which occur in the Époques de la nature, one of the supplements of his Natural History. He describes the habits and characteristic features of animals with marvellous skill. As a writer Buffon is universally admired, his works being generally considered to present the best model of elevation of tone and purity of style.

In 1753 Buffon was elected a member of the French Academy, and at his reception spoke his Discours sur le style, which is counted one of the finest productions of his pen. Louis XV raised him to the rank of count, and his statue was placed at the entrance to the Museum of Natural History, with this inscription: Majestati naturae par ingenium. He died in 1788 at the age of 81 years.

I. DISCOURS SUR LE STYLE.

Il s'est trouvé dans tous les temps des hommes qui ont su commander aux autres par la puissance de la parole. Ce n'est néanmoins que dans les siècles éclairés que l'on a bien écrit et bien parlé. La véritable éloquence suppose l'exercice du génie et la culture de l'esprit. Elle est bien différente de cette facilité naturelle de parler qui n'est qu'un talent, une qualité accordée à tous ceux dont les passions sont fortes, les organes souples et l'imagination prompte. Ces hommes sentent vivement, s'affectent de même, le marquent fortement au dehors; et, par une impression purement mécanique, ils transmettent aux autres leur enthousiasme et leurs affections. C'est le corps qui parle au corps; tous les mouvements, tous les signes, concourent et servent également. Que faut-il pour émouvoir la multitude et l'entraîner? que faut-il pour ébranler la plupart même des autres hommes et les persuader? Un ton véhément et pathétique, des gestes expressifs et fréquents, des paroles rapides et sonnantes. Mais pour le petit nombre de ceux dont la tête est ferme, le goût délicat, et le sens exquis, et qui, comme vous, messieurs, comptent pour peu le ton, les gestes et le vain son des mots, il faut des choses, des pensées, des raisons; il faut savoir les présenter, les nuancer, les ordonner: il ne suffit pas de frapper l'oreille et d'occuper les yeux; il faut agir sur l'âme, et toucher le cœur en parlant à l'esprit.

Le style n'est que l'ordre et le mouvement qu'on met dans ses pensées. Si on les enchaîne étroitement, si on les serre, le style devient ferme, nerveux et concis: si on les laisse se succéder lentement, et ne se joindre qu'à la faveur des mots, quelque élégants qu'ils soient, le style sera diffus, lâche et trainant.

Mais, avant de chercher l'ordre dans lequel on présentera ses pensées, il faut s'en être fait un autre plus général et plus fixe, où ne doivent entrer que les premières vues et les principales idées: c'est en marquant leur place sur ce premier plan qu'un sujet sera circonscrit, et que l'on en connaîtra l'étendue; c'est en se rappelant sans cesse ces premiers linéaments qu'on déterminera les justes intervalles qui séparent les idées principales, et qu'il naîtra des idées accessoires et moyennes, qui serviront à les remplir. Par la force du génie, on se représentera toutes les idées générales et particulières sous leur véritable point de vue; par une grande finesse de discernement, on distinguera les pensées stériles des idées fécondes; par la sagacité que donne la grande habitude d'écrire, on sentira d'avance quel sera le produit de toutes ces opérations de l'esprit. Pour peu que le sujet soit vaste ou compliqué, il est bien rare qu'on puisse l'embrasser d'un coup d'oeil, ou le pénétrer en entier d'un seul et premier effort de génie; et il est rare encore qu'après bien des réflexions on en saisisse tous les rapports. On ne peut donc trop s'en occuper; c'est même le seul moyen d'affermir, d'étendre et d'élever ses pensées: plus on leur donnera de substance et de force par la méditation, plus il sera facile ensuite de les réaliser par l'expression.

Ce plan n'est pas encore le style, mais il en est la base; il le soutient, il le dirige, il règle son mouvement et le soumet à des lois: sans cela, le meilleur écrivain s'égare; sa plume marche sans guide, et jette à l'aventure des traits irréguliers et des figures discordantes. Quelque brillantes que soient les couleurs qu'il emploie, quelques beautés qu'il sème dans les détails, comme l'ensemble choquera, ou ne se fera pas assez sentir, l'ouvrage ne sera point construit; et, en admirant l'esprit de l'auteur, on pourra soupçonner qu'il manque de génie. C'est par cette raison que ceux qui écrivent comme ils parlent, quoiqu'ils parlent très-bien, écrivent mal; que ceux qui s'abandonnent au premier feu de leur imagination prennent un ton qu'ils ne peuvent soutenir; que ceux qui craignent de perdre des pensées isolées, fugitives, et qui écrivent en différents temps des morceaux détachés, ne les réunissent jamais sans transitions forcées; qu'en un mot il y a tant d'ouvrages faits de pièces de rapport, et si peu qui soient fondus d'un seul jet.

Cependant tout sujet est un; et, quelque vaste qu'il soit, il peut être renfermé dans un seul discours. Les interruptions, les repos, les sections, ne devraient être d'usage que quand on traite des sujets différents, ou lorsque, ayant à parler de choses grandes, épineuses et disparates, la marche du génie se trouve interrompue par la multiplicité des obstacles et contrainte par la nécessité des circonstances: autrement le grand nombre de divisions, loin de rendre un ouvrage plus solide, en détruit l'assemblage; le livre paraît plus clair aux yeux, mais le dessein de l'auteur demeure obscur; il ne peut faire impression sur l'esprit du lecteur; il ne peut même se faire sentir que par la continuité du fil, par la dépendance harmonique des idées, par un développement successif, une gradation soutenue, un mouvement uniforme que toute interruption détruit ou fait languir. Dans ce que j'ai dit ici, j'avais en vue le livre de l'Esprit des lois, ouvrage excellent pour le fond, et auquel on n'a pu faire d'autre reproche que celui des sections trop fréquentes." (Note by Buffon.)

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