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Deux des plus forts mortels l'ébranleraient à peine.
Le chanoine pourtant l'enlève sans effort,
Et, sur le couple pâle et déjà demi-mort,
Fait tomber à deux mains l'effroyable tonnerre.
Les guerriers, de ce coup, vont mesurer la terre,
Et, du bois et des clous meurtris et déchirés,
Longtemps, loin du perron, roulent sur les degrés.
Au spectacle étonnant de leur chute imprévue,
Le prélat pousse un cri qui pénètre la nue.
Il maudit dans son cœur le démon des combats,
Et de l'horreur du coup il recule six pas.
Mais bientôt rappelant son antique prouesse,
Il tire du manteau sa dextre vengeresse;
Il part, et, de ses doigts saintement allongés,
Bénit tous les passants, en deux files rangés.
Il sait que l'ennemi, que ce coup va surprendre,
Désormais sur ses pieds ne l'oserait attendre,
Et déjà voit pour lui tout le peuple en courroux
Crier aux combattants: Profanes, à genoux!

Le chantre, qui de loin voit approcher l'orage,
Dans son cœur éperdu cherche en vain du courage:
Sa fierté l'abandonne; il tremble, il cède, il fuit.
Le long des sacrés murs sa brigade le suit.
Tout s'écarte à l'instant: mais aucun n'en réchappe;
Partout le doigt vainqueur les suit et les rattrape.
Évrard seul, en un coin prudemment retiré,

Se croyait à couvert de l'insulte sacré:1

Mais le prélat vers lui fait une marche adroite;

Il l'observe de l'œil, et tirant vers la droite,

Tout d'un coup tourne à gauche, et d'un bras fortuné,
Bénit subitement le guerrier consterné.

Le chanoine, surpris de la foudre mortelle,

Se dresse, et lève en vain une tête rebelle;

Sur ses genoux tremblants il tombe à cet aspect,
Et donne à la frayeur ce qu'il doit au respect.

Dans le temple aussitôt le prélat plein de gloire
Va goûter les doux fruits de sa sainte victoire;
Et de leurs vains projets les chanoines punis
S'en retournent chez eux éperdus et bénis.

This narrative, which ends the fifth canto, might well have formed the conclusion of the poem. The sixth canto is written throughout in a serious tone and contains nothing but a long string of encomiums on the president de Lamoignon, who had the honour of putting a peaceful end to this memorable quarrel. He decided as follows: the precentor shall replace the desk in front of his seat; the treasurer shall cause it to be taken away next morning. This sentence, which was loyally executed on both sides, restored its pristine repose to the Sainte-Chapelle.

The substantive insulte, which was formerly masculine is now only used as a feminine.

FÉNELON.

SKETCH OF HIS LIFE AND WORKS.1

FRANÇOIS SALIGNAC DE LAMOTHE FÉNELON sprang from an

old and noble family residing at the castle of Fénelon in Périgord, where he was born in the year 1651. He was first sent to the grammar-school of Cahors and finished his education at Paris. The boy was hardly fifteen, when some friends tried the experiment of making him preach an extempore sermon on a text they gave him then and there, and the youthful Fénelon acquitted himself as brilliantly as Bossuet at the hôtel de Rambouillet. 2 He completed his theological studies at the seminary of St.-Sulpice at Paris, where he was ordained at the age of twenty-four (1675). The archbishop of Paris entrusted him with the religious instruction of a number of young Protestant girls, who had been recently converted and were educated together in a kind of home called Maison des Nouvelles Catholiques. Fénelon devoted himself to these duties for ten years, and the experience he gained he embodied in his Traité de l'Education des Filles. At Bossuet's suggestion he was sent as missionary into Poitou, where, refusing all support from the authorities, he effected a great number of conversions by gentle means.

On his return in 1689, the king, by Mme de Maintenon's advice, appointed him tutor to his grandson, the duke of Burgundy. The headstrong temper of the young prince made Fénelon's task a difficult one: but he performed it with equal judgment and success. He not only curbed the rebellious disposition of his pupil, but managed to conciliate his affections and developed his brilliant abilities to their utmost extent.

For the duke of Burgundy Fénelon composed his Fables, a work written in the most elegant kind of prose and his Dialogues des Morts, which, in the interesting shape of conversations between historical personages of past times, contain moral truths and rules of conduct of the highest order.

With the same object Fénelon composed his principal work the Aventures de Télémaque, which was afterwards published without his sanction. This book, which stands alone of its kind, is an educational work, which under the guise of a romance was intended to teach his pupil the duties of a wise ruler; its weak point is that it gives the reader very false notions of the manners and customs of the Homeric age, nor is its style it is written in a kind of poetic prose admirably adapted to the subject to be recommended as a model for beginners. Fénelon's Télémaque, the first complete edition of which was published by his relatives in 1717, proved an exceedingly popular work and has been translated into almost every living tongue.

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We have followed Geruzez, Études, the article on Fénelon in the Biographie Universelle, and Fénelon's Eloge by La Harpe.

2 V. page 153. As to the hôtel de Rambouillet, v. p. 63.

R. Platz, Manual of French Literature.

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In 1694 Fénelon was made archbishop of Cambrai, but he was required to continue in his post of tutor to the duke of Burgundy. However a theological dispute in which he found himself mixed up and the publication of his Télémaque, in which Louis XIV and his flatterers saw satirical allusions to himself, were the cause of his disgrace. His pupil was taken away from him and he was relegated into his diocese.

In 1699 a theological treatise of Fénelon's was condemned by the pope at the instigation of Bossuet, who though the archbishop's friend, was convinced that the work contained heretical doctrines. Fénelon humbly submitted to the papal decree and from that time busied himself only with his episcopal duties, giving a great deal of his time to the instruction of the young and setting his flock an example of Christian virtue. During the severe winter of 1709 he gave away everything he had, to support the French army, which was encamped in his diocese. In 1713 he published one more philosophical work, the Traité de l'Existence de Dieu. He died at Cambrai in 1715 at the age of 64. Fénelon had been a member of the French Academy since 1693.

We select from his works: 1) the Letter addressed by Fénelon to Louis XIV; 2) a fragment of the first book of the Aventures de Télémaque; 3) the Dialogue entre Louis XI et Commines.

I. LETTRE ADRESSÉE A LOUIS XIV.1

(1694.)

La personne, Sire, qui prend la liberté de vous écrire cette lettre, n'a aucun intérêt en ce monde. Elle ne l'écrit ni par chagrin, ni par ambition, ni par envie de se mêler des grandes affaires. Elle vous aime sans être connue de vous; elle regarde Dieu en votre personne. Avec toute votre puissance vous ne pouvez lui donner aucun bien qu'elle désire, et il n'y a aucun mal qu'elle ne souffrît de bon cœur pour vous faire connaître les vérités nécessaires à votre salut. Si elle vous parle fortement, n'en soyez pas étonné, c'est que la vérité est libre et forte. Vous n'êtes guère accoutumé à l'entendre. Les gens accoutumés à être flattés prennent aisément pour chagrin, pour âpreté et pour excès, ce qui n'est que la vérité toute pure. C'est la trahir, que de ne vous la montrer pas dans toute son étendue. Dieu est témoin que la personne qui vous parle le fait avec un cœur plein de zèle, de respect, de fidélité, et d'attendrissement sur tout ce qui regarde votre véritable intérêt.

Vous êtes né, Sire, avec un cœur droit et équitable; mais ceux qui vous ont élevé ne vous ont donné pour science de gouverner que la défiance, la jalousie, l'éloignement de la vertu, la crainte de tout mérite éclatant, le goût des hommes souples et rampants, la hauteur et l'attention à votre seul intérêt.

1

Fénelon is said to have written this letter to the king three years before the peace of Ryswick (1697), which ended the third war undertaken by Louis XIV against Germany. The letter was not printed till 1825, when M. Raynouard brought it out. Doubts have been raised as to its authenticity, but the balance of evidence is in favour of its being the work of Fénelon, on whose courage and sincerity it reflects the greatest honour.

Depuis environ trente ans vos principaux ministres ont ébranlé et renversé toutes les anciennes maximes de l'État, pour faire monter jusqu'au comble votre autorité, qui était devenue la leur parce qu'elle était dans leurs mains. On n'a plus parlé de l'État ni des règles; on n'a parlé que du roi et de son bon plaisir. On a poussé vos revenus et vos dépenses à l'infini. On vous a élevé jusqu'au ciel pour avoir effacé, disait-on, la grandeur de tous vos prédécesseurs ensemble, c'est-à-dire pour avoir appauvri la France entière, afin d'introduire à la cour un luke monstrueux et incurable. Ils ont voulu vous élever sur les ruines de toutes les conditions de l'Etat, comme si vous pouviez être grand en ruinant tous vos sujets, sur qui votre grandeur est fondée. Il est vrai que vous avez été jaloux de l'autorité, peut-être même trop dans les choses extérieures; mais pour le fond chaque ministre a été le maître dans l'étendue de son administration. Vous avez cru gouverner, parce que vous avez réglé les limites entre ceux qui gouvernaient. Ils ont bien montré au public leur puissance, et on ne l'a que trop sentie. Ils ont été durs, hautains, injustes, violents, de mauvaise foi. Ils n'ont connu d'autre règle, ni pour l'administration du dedans de l'État, ni pour les négociations étrangères, que de menacer, que d'écraser, que d'anéantir tout ce qui leur résistait. Ils ne vous ont parlé que pour écarter de vous tout mérite qui pouvait leur faire ombrage. Ils vous ont accoutumé à recevoir sans cesse des louanges outrées, qui vont jusqu'à l'idolâtrie, et que vous auriez dû, pour votre honneur, rejeter avec indignation. On a rendu votre nom odieux, et toute la nation française insupportable à tous nos voisins. On n'a conservé aucun ancien allié, parce qu'on n'a voulu que des esclaves. On a causé depuis plus de vingt ans des guerres sanglantes. Par exemple, Sire, on fit entreprendre à Votre Majesté, en 1672, la guerre de Hollande pour votre gloire et pour punir les Hollandais, qui avaient fait quelque raillerie, dans le chagrin où on les avait mis en troublant les règles du commerce établies par le cardinal de Richelieu. Je cite en particulier cette guerre, parce qu'elle a été la source de toutes les autres. Elle n'a eu pour fondement qu'un motif de gloire et de vengeance, ce qui ne peut jamais rendre une guerre juste; d'où il s'ensuit que toutes les frontières que vous avez étendues par cette guerre sont injustement acquises dans l'origine. Il est vrai, Sire, que les traités de paix subséquents? semblent couvrir et réparer cette injustice, puisqu'ils vous ont donné les places conquises; mais une guerre injuste n'en est pas moins injuste pour être heureuse. Les traités de paix signés par les vaincus ne sont point signés librement. On signe le couteau sous la gorge; on signe malgré soi pour éviter de plus grandes pertes; on signe, comme on donne sa bourse, quand il la faut donner ou mourir. Il faut donc, Sire, remonter jusqu'à cette origine de la guerre de Hollande pour examiner devant Dieu toutes vos conquêtes.

Il est inutile de dire qu'elles étaient nécessaires à votre Etat; le bien d'autrui ne nous est jamais nécessaire. Ce qui nous est véritablement nécessaire, c'est d'observer une exacte justice. Il ne faut This war lasted from 1672-1678. cf. p. 143, n. 2 and the article on Voltaire's Siècle de Louis XIV. p. 341.

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2 The treaties of Nimègue (1678) and St. Germain en Laye (1679).

pas même prétendre que vous soyez en droit de retenir toujours certaines places, parce qu'elles servent à la sûreté de vos frontières. C'est à vous à chercher cette sûreté par de bonnes alliances, par votre modération, ou par les places que vous pouvez fortifier derrière; mais enfin, le besoin de veiller à notre sûreté ne vous donne jamais un titre de prendre la terre de notre voisin. Consultez là-dessus des gens instruits et droits; ils vous diront que ce que j'avance est clair comme le jour.

En voilà assez, Sire, pour reconnaître que vous avez passé votre vie entière hors du chemin de la vérité et de la justice, et par conséquent hors de celui de l'Évangile. Tant de troubles affreux qui ont désolé toute l'Europe depuis plus de vingt ans, tant de sang répandu, tant de scandales commis, tant de provinces saccagées, tant de villes et de villages mis en cendres, sont les funestes suites de cette guerre de 1672, entreprise pour votre gloire et pour la confusion des faiseurs de gazettes et de médailles de Hollande.1 Examinez, sans vous flatter, avec des gens de bien, si vous pouvez garder tout ce que vous possédez en conséquence des traités auxquels vous avez réduit vos ennemis par une guerre si mal fondée.

Elle est encore la vraie source de tous les maux que la France souffre. Depuis cette guerre vous avez toujours voulu donner la paix en maître, et imposer les conditions, au lieu de les régler avec équité et modération. Voilà ce qui fait que la paix n'a pu durer. Vos ennemis, honteusement accablés, n'ont songé qu'à se relever et qu'à se réunir contre vous. Faut-il s'en étonner? vous n'avez pas même demeuré dans les termes de cette paix que vous aviez donnée avec tant de hauteur. En pleine paix vous avez fait la guerre et des conquêtes prodigieuses. Vous avez établi une chambre des réunions pour être tout ensemble juge et partie; c'était ajouter l'insulte et la dérision à l'usurpation et à la violence. Vous avez cherché dans le traité de Westphalie des termes équivoques pour surprendre Strasbourg.s Jamais aucun de vos ministres n'avait osé depuis tant d'années alléguer ces termes dans aucune négociation, pour montrer que vous eussiez la moindre prétention sur cette ville. Une telle conduite a réuni et animé toute l'Europe contre vous. Ceux mêmes qui n'ont pas osé se déclarer ouvertement souhaitent du moins avec impatience

These medals, which Louis XIV declared insulting, had been struck after the peace of Aachen (1668).

2 These so-called chambres de réunion, whose real nature is so well exposed by Fénelon, sate at Metz, Breisach and Besançon.

3 It was in the midst of profound peace that in 1681 Louis XIV possessed himself of the imperial free-town of Strassburg. After bribing some of the most influential magistrates, general Monclar appeared suddenly before the walls with an army, and on the 28th of September summoned the city to open its gates and do homage to Louis XIV, in virtue of a decision of the chambre de réunion of Breisach. On the 30th of September a convention was signed, and the French having entered the town, Vauban at once began those fortifications which subsequently made it one of the strongest places in Europe. Strassburg retained its internal autonomy and, till the Revolution, existed as a sort of republic under French protection, but in 1789 it lost all its privileges. On the 28th of September 1870 General Werder retook Strassburg at the head of a German army, after a siege which lasted five weeks.

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