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la messe, le dîner; mais il n'est plus besoin de se faire étouffer, pendant que Leurs Majestés sont à table; car, à trois heures, le Roi, la Reine, Monsieur, Madame, Mademoiselle, tout ce qu'il y a de princes et de princesses, madame de Montespan,2 toute sa suite, tous les courtisans, toutes les dames, enfin ce qui s'appelle la cour de France, se trouve dans ce bel appartement du Roi que vous connaissez. Tout est meublé divinement, tout est magnifique. On ne sait ce que c'est que d'y avoir chaud; on passe d'un lieu à l'autre sans faire la presse en nul lieu. Un jeu de reversi donne la forme, et fixe tout. C'est le Roi (Madame de Montespan tient la carte), Monsieur, la Reine et madame de Soubise; Dangeau et compagnie; Langlée et compagnie. Mille louis sont répandus sur le tapis, il n'y a point d'autres jetons. Je voyais jouer Dangeau; et j'admirais combien nous sommes sots auprès de lui. Il ne songe qu'à son affaire, et gagne où les autres perdent; il ne néglige rien, il profite de tout, il n'est point distrait: en un mot, sa bonne conduite défie la fortune; aussi les deux cent mille francs en dix jours, les cent mille écus en un mois, tout cela se met sur le livre de sa recette. Il dit que je prenais part à son jeu, de sorte que je fus assise très-agréablement et trèscommodément. Je saluai le Roi, comme vous me l'avez appris; il me rendit mon salut, comme si j'avais été jeune et belle. La Reine me parla aussi longtemps de ma maladie. Elle me parla aussi de vous. Monsieur le Duc me fit mille de ces caresses à quoi il ne pense pas. Le maréchal de Lorges m'attaqua sous le nom du chevalier de Grignan, enfin tutti quanti:9 vous savez ce que c'est que de recevoir un mot de tout ce qu'on trouve en chemin.

XI. (754.)

Paris, ce 22 novembre 1679. Je m'en vais bien vous surprendre et vous fâcher, ma chère enfant: M. de Pompone10 est disgracié. Il eut ordre samedi au soir, comme il revenait de Pompone, de se défaire de sa charge, qu'il en aurait sept cent mille francs, qu'on lui continuerait sa pension de vingt mille francs qu'il avait comme ministre, et que le Roi avait réglé toutes ces choses pour lui marquer qu'il était content de sa fidélité. Ce fut M. Colbert qui lui fit ce compliment, en l'assurant qu'il était au désespoir d'être obligé, etc. M. de Pompone demanda s'il ne pourrait point avoir l'honneur de parler au Roi, et savoir de sa bouche quelle 2 V. p. 143, n. 7. We should say: nulle part. Reversi, a game of cards. In this game, in which the usual rules are reversed, the player who takes the smallest number of tricks wins. I. e. au jeu, which words have been added by some editors. The name Monsieur le Duc, without any addition, was given to the

1 V. p. 136, n. 8.

son of the great Condé.

7 I. e. auxquelles il ne pense pas; qu'il fait sans y penser.

8 V. p. 146, n. 5.

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As many as there were.

10 The marquis de Pompone (1618-1699) was secretary of state for foreign affairs between 1671 and 1679. In this year Louis XIV yielding to the influence of Colbert and Louvois, dismissed him from office. It is fair to say that Flassan (Histoire de la Diplomatie française, III, 472) attributes M. de Pompone's disgrace to his having been guilty of gross neglect. At any rate he was recalled in 1691 and remained in office till his death. "A village and castle near the town of Meaux.

faute avait attiré ce coup de tonnerre: on lui dit qu'il ne pouvait point parler au Roi: il lui écrivit, lui marqua son extrême douleur, et l'ignorance où il était de ce qui pouvait lui avoir attiré sa disgrâce; il lui parla de sa nombreuse famille, il le supplia d'avoir égard à huit enfants qu'il avait. Aussitôt il fit remettre ses chevaux au carrosse, et revint à Paris, où il arriva à minuit. M. de Pompone n'était pas de ces ministres sur qui une disgrâce tombe à propos, pour leur apprendre l'humanité, qu'ils ont presque tous oubliée; la fortune n'avait fait qu'employer les vertus qu'il avait pour le bonheur des autres; on l'aimait, et surtout parce qu'on l'honorait infiniment. Nous avions été, comme je vous ai mandé, le vendredi à Pompone, M. de Chaulnes, Lavardin et moi: nous le trouvâmes, et les dames, qui nous regurent fort gaiement. On causa tout le soir, on joua aux échecs: ah! quel échec et mat on lui préparait à Saint-Germain! Il y alla dès le lendemain matin, parce qu'un courrier l'attendait; de sorte que M. Colbert, qui croyait le trouver le samedi au soir comme à l'ordinaire, sachant qu'il était allé droit à Saint-Germain, retourna sur ses pas, et pensa crever ses chevaux.2 Pour nous, nous ne partimes de Pompone qu'après diner; nous y laissâmes les dames, madame de Vins m'ayant chargée de mille amitiés pour vous. Il fallut donc leur mander cette triste nouvelle: ce fut un valet de chambre de M. de Pompone, qui arriva le dimanche à neuf heures dans la chambre de madame de Vins; c'était une marche si extraordinaire que celle de cet homme, et il était si excessivement changé, que madame de Vins crut absolument qu'il lui venait dire la mort de M. de Pompone; de sorte que quand elle sut qu'il n'était que disgracié, elle respira; mais elle sentit son mal quand elle fut remise; elle alla le dire à sa sœur. Elles partirent à l'instant; et laissant tous ces petits garçons en larmes, et accablés de douleur, elles arrivèrent à Paris à deux heures après midi, où elles trouvèrent M. de Pompone. Vous pouvez vous représenter cette entrevue, et ce qu'ils sentirent en se revoyant si différents de ce qu'ils pensaient être la veille. Pour moi, j'appris cette nouvelle par l'abbé de Grignan; je vous avoue qu'elle me toucha droit au cœur. J'allai à leur porte vers le soir; on ne les voyait point en public, j'entrai, je les trouvai tous trois. M. de Pompone m'embrassa, sans pouvoir prononcer une parole; les dames ne purent retenir leurs larmes, ni moi les miennes: ma chère fille, vous n'auriez pas retenu les vôtres; c'était un spectacle douloureux; la circonstance de ce que nous venions de nous quitter à Pompone d'une manière si différente, augmenta notre tendresse. Enfin je ne vous puis représenter cet état. La pauvre madame de Vins, que j'avais laissée si fleurie, n'était pas reconnaissable, je dis pas reconnaissable; une fièvre de quinze jours ne l'aurait pas tant changée; elle me parla de vous, et me dit qu'elle était persuadée que vous sentiriez sa douleur et l'état de M. de Pompone; je l'en assurai. Nous parlâmes du contre-coup qu'elle ressentait de cette disgrâce; il est épouvantable, et pour ses affaires, et pour l'agrément de sa vie et de son séjour, et pour la fortune de son mari; elle voit tout cela bien douloureusement et le sent bien, je vous en assure.3

1 V. page 139, note 4.

2 I. e. faillit crever, manqua de crever ses chevaux.

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Nowadays we should say: je vous assure, or: je vous en réponds.

MADAME DE MAINTENON.

SKETCH OF HER LIFE AND WORKS.1

FRANÇOISE D'AUBIGNÉ, marchioness of MAINTENON, was the

grand-daughter of Agrippa d'Aubigné, 2 one of the most intimate friends and faithful followers of Henri IV. She was born in 1635 in the jail of Niort in Poitou, where her parents were imprisoned at the time. At the age of four they took her to Martinique in the West Indies, but after her father's death she returned to Europe and was entrusted to the care of an aunt of hers, who was a fervent Calvinist. She had been christened by a Catholic priest but was converted to the Protestant religion by her aunt; subsequently however she was placed in the convent of the Ursulines at Niort, where she recanted after a severe struggle, and once more became a Roman Catholic. After the death of her mother she was left in a state of almost absolute destitution, from which she was released in 1652 by the poet Scarron, who, though infirm and almost paralyzed, married the orphan girl, that he might give her a home,

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In her husband's house, which was then the gathering-place of all the literary men and the wits of Parisian society, Mme Scarron found ample opportunity for developing her natural gifts and filling up the gaps left by her education. When eight years later she was left a widow, she would have been again without any means of supporting herself, had not Louis XIV at Mme de Montespan's request granted her the renewal of a small pension, which her husband had received. In 1669 the king appointed her to take charge of and educate the children of Mme de Montespan. She acquitted herself greatly to his satisfaction, and as he took ever more pleasure in her society, her influence was constantly on the increase; in the end she altogether supplanted her former patroness, who had long disgusted the king by her caprices and who in 1681 was banished from the court. In 1674 Mme Scarron had been enabled by the king's liberality to purchase the estate of Maintenon, while some years later he conferred on her the title of marchioness. In 1683 the queen died, and two years later Mme de Maintenon was secretly married to the king, being then fifty years of age. To the end of his life she exercised great influence over Louis XIV and she frequently abused it to interfere in public affairs; thus the revocation of the Edict of Nantes and the dragonnades in Languedoc have been laid to her charge, though perhaps undeservedly; at any rate she never used her power for her own advancement and but rarely for that of her relations. She set the court an example of austere piety, which may have been conviction on her part, but which made hypocrisy and imposture the fashion. at Versailles. Ever since 1675 it had been a practice with Madame de Maintenon to take into her house and bring up a few young ladies of good birth and scanty means; gradually the king became interested We have followed the Biographie universelle.

2 V. the Introduction, p. XLVII.

Scarron (1610-1660) a burlesque writer of the period. His best work is the Roman comique. V. page 143, note 7.

in this good work, and with his assistance she founded and endowed a kind of convent for this purpose at St-Cyr near Versailles. It was for the pupils of this establishment that Racine wrote the tragedies Esther and Athalie.

Mme de Maintenon's claim to honorable mention among the writers of the age of Louis XIV rests chiefly on her letters, which are distinguished both by clearness of style and depth of thought, though they are not to be compared to Mme de Sévigné's for brilliancy and wit. After the death of Louis XIV (1715) Mme de Maintenon retired to St-Cyr, where she died in 1719.

LETTRES DE MME DE MAINTENON.

I. A MONSIEUR D'AUBIGNÉ, SON FRÈRE.1

Paris, le 3 janvier2 1664.

Je suis fâchée, mon cher frère, de n'avoir cette année que des vœux à vous offrir. Je n'ai pas encore payé toutes mes dettes, et vous sentez bien que c'est là le premier usage que je dois faire de ma pension; et vous haïriez des étrennes données aux dépens de mes créanciers. Avec un peu d'économie vous pourriez vivre à votre aise: votre dissipation me perce le cœur; séparez-vous des plaisirs, ils coûtent toujours cent fois plus que les besoins. Soyez délicat sur le choix de vos amis: votre fortune et votre salut dépendent également des premiers pas que vous ferez dans le monde. Je vous parle en amie. Appliquez-vous à votre devoir, aimez Dieu, soyez honnête homme. Prenez patience, et rien ne vous manquera. Mme de Neuillant m'a souvent répété ces conseils, et je m'en suis jusqu'ici bien trouvée. Adieu, mon cher frère, je ne serai heureuse qu'autant que vous le serez: et vous ne le serez qu'autant que vous serez sage.

II. A MADAME LA COMTESSE DE ST.-GERAN.

Les choses commencent à prendre un tour fort agréable. Vous voulez savoir, Madame, ce qui m'a attiré un si beau présent; on croit que je le dois à Mme de Montespan; je le dois à mon petit prince. Le Roi jouant avec lui, et content de la manière dont il répondait à ses questions, lui dit qu'il était bien raisonnable: »Il faut bien que je le sois, répondit l'enfant, j'ai une dame auprès de moi qui est la raison même.« »Allez lui dire, reprit le Roi, que vous lui donnerez ce soir cent mille francs pour vos dragées.«5 La mère me brouille avec le Roi, son fils me réconcilie avec lui: je ne suis pas deux jours de suite dans la même situation; je ne m'accoutume point à cette vie, moi qui me croyais capable de m'habituer à tout. On ne m'envierait pas ma condition, si l'on savait de combien de peine elle est environnée, et combien de chagrins elle me coûte. C'est un assujettissement qui n'a point d'exemple; je n'ai ni le temps d'écrire, ni de faire mes prières: un véritable esclavage. Tous mes amis s'adressent à moi,

After his sister's elevation he was appointed lieutenant-general of Berry. 2 V. p. 136, note 1.

3 We should say: Renoncez aux plaisirs. The estate of Maintenon. Dragées literally means sugar-plums, but figuratively a gift, present.

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et ne voient pas que je ne puis rien, même pour mes parents. On ne m'accordera point le régiment que je demande depuis quinze jours: on ne m'écoute que quand on n'a personne à écouter. J'ai parlé trois fois à M. Colbert:1 je lui ai représenté la justice de ce que vous prétendez. Il a fait mille difficultés, et m'a dit que le Roi seul pouvait les résoudre. J'intéresserai Me de Montespan: mais il faut un moment favorable; et qui sait s'il se présentera? S'il ne s'offre point, je chargerai notre ami de votre affaire, et il parlera au Roi. Je compte beaucoup sur lui.

III. A MADAME D'AUBIGNÉ, BELLE-SŒUR DE MADAME DE MAINTENON.

Le 5 janvier 1681.

Je demande tous les jours à Dieu, ma très-chère enfant, qu'il vous conduise dans ses saintes voies. On ne fait pas ces vœux-là dans le monde: je les fais au milieu de la cour, où il ne faut qu'être pour haïr le monde et ses plaisirs. J'y éprouve bien que Dieu seul peut remplir le vide du cœur de l'homme. Croyez, ma fille, que toutes les choses que vous vous figurez si délicieuses, et que vous m'enviez peutêtre, ne sont que vanité et affliction d'esprit. La cour est comme ces perspectives qui veulent être vues dans l'éloignement; je ne puis vous y placer; et quand je le pourrais, je ne le ferais pas. Aimez votre mari, et vous serez heureuse. Vous êtes indolente et malsaine: tournez ces inconvénients au profit de votre salut. J'approuve fort que vous ne vous exposiez pas aux visites; si le monde ne vous gâtait pas, il vous ennuierait. Vous savez combien je vous aime; faites que je vous aime davantage: ne faites pas de nouvelles liaisons; connaissez avant que d'aimer. Je suis votre sœur, votre mère, votre amie.

IV. A MADAME DE MAISON-FORT.

Il ne vous est pas mauvais de vous trouver dans des troubles d'esprit; vous en serez plus humble, et vous sentirez par votre expérience que nous ne trouvons nulle ressource en nous, quelque esprit que nous ayons. Vous ne serez jamais contente, ma chère fille, que lorsque vous aimerez Dieu de tout votre cœur. Salomon vous a dit, il y a longtemps, qu'après avoir cherché, trouvé et goûté de tous les plaisirs, il confessait que tout n'est que vanité et affliction d'esprit, hors aimer Dieu et le servir. Que ne puis-je vous donner toute mon expérience! que ne puis-je vous faire voir l'ennui qui dévore les grands, et la peine qu'ils ont à remplir leurs journées! ne voyez-vous pas que je meurs de tristesse dans une fortune qu'on aurait eu peine à imaginer, et qu'il n'y a que le secours de Dieu qui m'empêche d'y succomber? J'ai été jeune et jolie, j'ai goûté des plaisirs, j'ai été aimée partout; dans un âge un peu avancé, j'ai passé des années dans le commerce de l'esprit, je suis venue à la faveur: et je vous proteste, ma chère fille, que tous les états laissent un vide affreux, une inquiétude, une

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Colbert (1619-1683) secretary of state and controller - general of finance.

2 I. e. with friends, whose principal object was intellectual culture and enjoyment.

Nowadays we should say: parvenue.

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