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LE CHENE ET LE ROSEAU.

Le chêne un jour dit au roseau:
Vous avez bien sujet d'accuser la nature;

Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baisser la tête;

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, 2 tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci:

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

BOOK II.

We notice in this book le Conseil tenu par les Rats (fab. 2). This fable is a comic picture of that numerous class of people, who are extremely brave in giving advice, but who are nowhere to be found, when there is a real danger to be faced, when they are asked to bell the cat. The fourth fable, les deux Taureaux et une Grenouille proves the truth of the old saying, that the people always suffer for the faults of their rulers, and le Lion et le Rat (fab. 11) teaches us that: on a souvent besoin d'un plus petit que soi. We reprint fable 9, the best of this book.

LE LION ET LE MOUCHERON.

Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre!
C'est en ces mots que le lion
Parlait un jour au moucheron.
L'autre lui déclara la guerre,

1 Cependant que, v. page 17, n. 3.

2 The Northern gale.

Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie?

Un bœuf est plus puissant que toi;
Je le mène à ma fantaisie.

A peine il achevait ces mots,
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.
Dans l'abord il se met au large;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu'il rend presque fou.

Le quadrupède écume, et son œil étincelle;
Il rugit.
On se cache, on tremble à l'environ;
Et cette alarme universelle

Est l'ouvrage d'un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle;
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.

La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air, qui n'en peut mais; et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat: le voilà sur les dents.
L'insecte du combat se retire avec gloire:
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée;

Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

BOOK III.

The third book begins with a masterpiece, le Meunier, son Fils et l'Ane, which shows how impossible it is to please everybody. Next we notice les Grenouilles qui demandent un roi (fab. 4), the old story of King Stork and King Log, where the poor frogs, who were not unnaturally displeased with a king they could not respect, are punished for their importunity by having thrust upon them a ruler who swallows them wholesale. In Le Renard et le Bouc (fab. 5) the poet depicts those people whose wisdom, like the goat's, has not grown as fast as the hair on their chin. One of the finest fables is le Lion devenu vieux (fab. 14), which we reprint. Lastly we mention le Chat et le vieux Rat (fab. 18) as a masterpiece both of description and narrative.

Mais is an archaïsm (derived from Lat. magis), for davantage. Je n'en peux mais = Ce n'est pas ma faute, je n'en suis pas cause. 2 I. e. a spider's web.

LE LION DEVENU VIEUX.

Le lion, terreur des forêts,

Chargé d'ans et pleurant son antique prouesse,1
Fut enfin attaqué par ses propres sujets,

Devenus forts par sa faiblesse.

Le cheval s'approchant lui donne un coup de pied;
Le loup, un coup de dent: le bœuf, un coup de corne.
Le malheureux lion, languissant, triste et morne,
Peut à peine rugir, par l'âge estropié.

Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes;
Quand voyant l'âne même à son antre accourir:
Ah! c'est trop, lui dit-il; je voulais bien mourir,
Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes.

BOOK IV.

Undoubtedly the finest fables of the fourth book are le Jardinier et son Seigneur (fable 4) a comic moral sketch, drawn with a master's hand, l'Ane et le petit Chien (fab. 5) an equally amusing picture, which will never cease to be applicable as long as there are men who insist on displaying their native clumsiness by attempting to be graceful and witty; le Combat des Rats et des Belettes (fab. 6) a sort of miniature mock-heroïc; Vieillard et ses Enfants (fab. 18) distinguished by the gravity of its tone, and lastly l'Alouette et ses Petits avec le Maître d'un champ (fab. 22), which is justly regarded as a masterpiece.

BOOK V.

It is thought that fables of the highest order are less plentiful in
the fifth than in the preceding books, but we may mention as among
the best le Laboureur et ses Enfants (fab. 9), l'Aigle et le Hibou (fab. 18),
Ours et les deux Compagnons (fab. 20), imitated from the historian
Commines and l'Ane vêtu de la peau du Lion (fab. 2), which we reprint.
L'ANE VÊTU DE LA PEAU DU LION.
De la peau du lion l'âne s'étant vêtu,
Était craint partout à la ronde;

Et, bien qu'animal sans vertu,3
Il faisait trembler tout le monde.
Un petit bout d'oreille échappé par malheur
Découvrit la fourbe et l'erreur:

Martin5 fit alors son office.

Ceux qui ne savaient pas la ruse et la malice
S'étonnaient de voir que Martin

Chassât les lions au moulin.

Force gens font du bruit en France
Par qui cet apologue est rendu familier.
Un équipage cavalier

Fait les trois quarts de leur vaillance.

1 Prouesse, prowess, is no longer used nowadays except in jest. The adjective preux still occurs in poetry, e. g. in le Cor of Alfred de Vigny, v. page 571 and 572.

Commines cf. the Introduction P: XXXI. 3 Vertu v. page 16, note 4. Martin, the miller's man.

R. Platz, Manual of French Literature.

For fourberie.

9

BOOK VI.

The finest fables of the sixth book are in our opinion: Phébus et Borée (fab. 3), which expresses in a poetical form the truth of the proverb: Plus fait douceur que violence; next le Cerf se voyant dans l'eau (fab. 9), which teaches us to prefer the useful to the ornamental, le Lièvre et la Tortue (fab. 10), which illustrates the old precept Festina lente, le Lion malade et le Renard (fab. 14) and lastly le Chartier embourbé (fab. 18), which we reprint.

LE CHARTIER1 EMBOURBÉ.

Le Phaéton d'une voiture à foin

Vit son char embourbé. Le pauvre homme était loin
De tout humain secours: c'était à la campagne,
Près d'un certain canton de la Basse-Bretagne,
Appelé Quimper-Corentin.3

On sait assez que le Destin

Adresse là les gens quand il veut qu'on enrage.
Dieu nous préserve du voyage!

Pour venir au chartier embourbé dans ces lieux,
Le voilà qui déteste et jure de son mieux,
Pestant, en sa fureur extrême,

Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux,
Contre son char, contre lui-même.

Il invoque à la fin le dieu dont les travaux
Sont si célèbres dans le monde:
Hercule, lui dit-il, aide-moi; si ton dos
A porté la machine ronde,

Ton bras peut me tirer d'ici.

Sa prière étant faite, il entend dans la nue
Une voix qui lui parle ainsi:
Hercule veut qu'on se remue;

Puis il aide les gens. Regarde d'où provient
L'achoppement qui te retient;

Ote d'autour de chaque roue

Ce malheureux mortier, cette maudite boue
Qui jusqu'à l'essieu les enduit;

Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit;
Comble-moi cette ornière. As-tu fait? Oui, dit l'homme.
Or bien je vais t'aider, dit la voix; prends ton fouet.
Je l'ai pris . . . . Qu'est ceci? mon char marche à souhait!
Hercule en soit loué! Lors la voix: Tu vois comme
Tes chevaux aisément se sont tirés de là.

Aide-toi, le ciel t'aidera.

The usual form is charretier.

-

2 I. e. the driver. Phaeton, the son of Phoebus, was struck by the thunderbolts of Jove, for having presumed to take his father's place in driving the heavenly chariot, which gave warmth and light to the earth. (cf. Ovid. Metamorph. II.) The name is here used for driver generally; nowadays it is also applied to a particular kind of open carriage. A place, which had become a byword, as the most uncivilized and uncultivated part of France. The obstacle.

3

BOOK VII.

The seventh book begins with les Animaux malades de la peste, a fable which is justly regarded as one of the most beautiful in any language; next we notice le Rat qui s'est retiré du monde, which is equal to it in every respect and which we reprint. Le Coche et la Mouche (fab. 9) and la Laitière et le Pot au lait (fab. 10) are two fables which admirably set off the author's versatile genius by the contrast of their subjects and the difference of their style. Look at their opening lines side by side; could anything better depict the slow and painful ascent of the coach than these heavy, labouring lines:

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,

Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche.1

The other fable begins with a running metre, as light and sprightly as the milkmaid tripping along the road:

Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait,

Bien posé sur un coussinet,

Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats, etc.

LE RAT QUI S'EST RETIRÉ DU MONDE.
Les Levantins 2 en leur légende

Disent qu'un certain rat, las des soins3 d'ici-bas,
Dans un fromage de Hollande

Se retira loin du tracas.
La solitude était profonde,
S'étendant partout à la ronde,

Notre ermite nouveau subsistait là-dedans.
Il fit tant, de pieds et de dents,

Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage
Le vivre et le couvert: que faut-il davantage?
Il devint gros et gras: Dieu prodigue ses biens
A ceux qui font vœu d'être siens.

Un jour, au dévot personnage

Des députés du peuple rat

S'en vinrent demander quelque aumône légère:
Ils allaient en terre étrangère

Chercher quelque secours contre le peuple chat;
Ratopolis était bloquée:

On les avait contraints de partir sans argent,
Attendu l'état indigent

De la république attaquée.

Ils demandaient fort peu, certains que les secours
Seraient prêts dans quatre ou cinq jours.

Mes amis, dit le solitaire,

Les choses d'ici-bas ne me regardent plus:
En quoi peut un pauvre reclus

Vous assister? Que peut-il faire

1 The usual expression is traîner une voiture.

2 The people of the East. 3 Soin here stands for souci.

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