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Oui, mon Pierre, je vas t'aider, dit la jeune fille. Viens, là, te mettre à genoux sur moi. »

L'enfant s'agenouilla sur la jupe de la jeune fille, joignit ses petites mains, et se mit à réciter sa prière, d'abord avec attention et ferveur, car il savait très bien le commencement; puis avec plus de lenteur et d'hésitation, et enfin, répétant mot à mot ce que lui dictait la petite Marie, lorsqu'il arriva à cet endroit de son oraison où, le sommeil le gagnant chaque soir, il n'avait jamais pu l'apprendre jusqu'au bout. Cette fois encore, le travail de l'attention et la monotonie de son propre accent produisirent leur effet accou.tumé: il ne prononça plus qu'avec effort les dernières syllabes, et encore après se les être fait répéter trois fois; sa tête s'appesantit et se pencha sur la poitrine de Marie, ses mains se détendirent, se séparèrent et retombèrent ouvertes sur ses genoux. A la lueur du feu du bivouac, Germain regarda son petit ange assoupi sur le cœur de la jeune fille, qui, le soutenant dans ses bras et réchauffant ses cheveux blonds de sa pure haleine, s'était laissée aller aussi à une rêverie pieuse, et priait mentalement pour l'âme de Catherine.

Germain fut attendri, chercha ce qu'il pourrait dire à la petite Marie pour lui exprimer ce qu'elle lui inspirait d'estime et de reconnaissance, mais ne trouva rien qui pût rendre sa- pensée. Il s'approcha d'elle pour embrasser son fils, qu'elle tenait toujours pressé contre son sein, et il eut peine à détacher ses lèvres du front de Petit Pierre.

« Vous l'embrassez trop fort, lui dit Marie en repoussant doucement la tête du laboureur, vous allez le réveiller. Laissez-moi le recoucher, puisque le voilà reparti pour les rêves du Paradis. »

L'enfant se laissa coucher, mais, en s'étendant sur la peau de chèvre du bât, il demanda s'il était sur la Grise. Puis, ouvrant ses grands yeux bleus, et les tenant fixés pendant une minute vers les branches, il parut rêver tout éveillé, ou être frappé d'une idée qui avait glissé dans son esprit durant le jour et qui s'y formulait à l'approche du sommeil. « Món petit père, dit-il, si tu veux me donner une autre mère, je veux que ce soit la petite Marie. »

Et sans attendre de réponse il ferma les yeux et s'endormit.

LA PETITE MARIE

Germain obéit. Il arriva chez la Guillette, la tête basse et l'air accablé. La petite Marie était seule au coin du feu, si pensive qu'elle n'entendit pas venir Germain. Quand elle le vit devant elle, elle sauta de surprise sur sa chaise et devint toute rouge.

<< Petite Marie, lui dit-il en s'asseyant auprès d'elle, je viens te faire de la peine et t'ennuyer, je le sais bien, mais l'homme et la femme de chez nous (désignant ainsi, selon l'usage, les chefs de la famille) veulent que je te parle et que je te demande de m'épouser. Tu ne le veux pas, toi, je m'y attends.

Germain, répondit la petite Marie, c'est donc décidé que vous m'aimez ?

Ça te fâche, je le sais, mais ce n'est pas ma faute si tu poùvais changer d'avis, je serais trop content, et sans doute je ne mérite pas que cela soit Voyons, regarde-moi, Marie, je suis donc bien affreux ?

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Non, Germain, répondit-elle en souriant, vous êtes plus beau que moi.

Ne te moque pas regarde-moi avec indulgence: il ne me manque encore ni un cheveu ni une dent. Mes yeux te disent que je t'aime. Regarde-moi donc dans les yeux, ça y est écrit, et toute fille sait lire dans cette écriture-là. »

Marie regarda dans les yeux de Germain avec son assurance enjouée puis, tout à coup, elle détourna la tête et se mit à trembler. << Ah! mon Dieu! je te fais peur, dit Germain. Voyons, faut-il que je sorte pour que tu finisses de trembler ! »

Marie tendit la main au laboureur, mais sans détourner sa tête penchée vers le foyer, et sans dire un mot.

« Je comprends, dit Germain; tu me plains, car tu es bonne ; tu es fâchée de me rendre malheureux mais tu ne peux pourtant pas m'aimer ?

Pourquoi me dites-vous de ces choses-là, Germain ? répondit enfin la petite Marie, vous voulez donc me faire pleurer?

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- Pauvre petite fille, tu as bon cœur, je le sais ; mais tu ne m'aimes pas et tu me caches ta figure parce que tu crains de me laisser voir ton déplaisir et ta répugnance. Et moi! je n'ose pas seulement te serrer la main !... »

Germain parlait comme dans un rêve, sans entendre ce qu'il disait La petite Marie tremblait toujours ; mais, comme il tremblait encore davantage, il ne s'en apercevait plus. Tout à coup elle se retourna, elle était tout en larmes et le regardait d'un air de reproche. Le pauvre laboureur crut que c'était le dernier coup, et, sans attendre son arrêt, il se leva pour partir; mais la jeune fille l'arrêta en l'entourant de ses deux bras, et cachant sa tête dans son sein : « Ah! Germain, lui dit-elle en sanglotant, vous n'avez donc pas deviné que je vous aime? »

Germain serait devenu fou si son fils, qui le cherchait et qui entra dans la chaumière au grand galop sur un bâton, avec sa petite sœur en croupe qui fouettait avec une branche d'osier ce coursier imaginaire, ne l'eût rappelé à lui-même. Il le souleva dans ses bras, et le mettant dans ceux de sa fiancée :

« Tiens, lui dit-il, tu as fait plus d'un heureux en m'aimant. » (Edit. Calmann Lévy.)

CASIMIR DELAVIGNE

Casimir Delavigne, né au Havre, le 15 avril 1793, composa, étant encore sur les bancs du collège, un Dithyrambe sur la naissance du roi de Rome (1811), où il se montrait déjà ce qu'il resta toujours, un très habile écrivain, un versificateur excellent du reste peu d'invention, peu d'élan, point d'initiative. Son œuvre la plus spontanée, les Messéniennes, obtint un succès brillant (1818). Après le long silence de l'Empire, c'était chose si douce d'entendre la liberté politique s'exprimer en beaux vers! Et puis l'inspiration des Messéniennes était elle-même vraiment poétique. Le poète chantait les douleurs de l'invasion, les vieilles gloires de la patrie, les souvenirs de la Grèce libre, les espérances de la Grèce ressuscitée. Ici les sentiments du public dispensaient le poète d'inventer : il lui suffisait d'écrire ce que l'on pensait autour de lui. Or Casimir Delavigne a toujours excellé à couvrir de brillants détails des idées peu originales c'est ce qu'il fit dans les Messéniennes. De là l'enthousiasme passager qui les accueillit. Tout le monde aima ces poésies, qui n'étaient que les idées de tout le monde : de là aussi leur médiocrité durable. Ses compositions pour le théâtre, les Vêpres siciliennes (1818), le Paria (1821), l'École des vieillards (1823), dont le succès détermina l'admission de l'auteur à l'Académie française, la Princesse Aurélie (1828), Marino Faliero (1829), Louis XI (1832), les Enfants d'Édouard (1833), Don Juan d'Autriche (1835), la Fille du Cid (1840), Charles VI, opéra fait en société avec Germain Delavigne (1841), etc. etc., sont des chefs-d'œuvre d'habileté, de patience, d'esprit, mais non pas toujours de poésie dramatique. Épuisé par ses nombreux travaux, Casimir Delavigne quitta Paris pour chercher un climat plus doux. Mais il ne put arriver au terme de son voyage, et mourut à Lyon le 12 décembre 1843.

Ses OEuvres complètes ont été publiées: Paris, Furne, 1836, 6 vol. in-8; Paris, Delloye, 1836, 1 vol. gr. in-8, et Paris,

Didier, 1845, 6 vol. in-8; Paris, Charpentier, 1851, 4 vol. in-12.

Il est de mode aujourd'hui de déprécier outre mesure Casimir Delavigne: c'est avec plaisir que nous voyons un de nos littérateurs les plus délicats, M. E. Legouvé, rappeler nos jeunes critiques à un jugement plus équitable. Le choix des morceaux que signale l'éminent écrivain n'est pas le nôtre; mais il le complète. Il prouve que, suivant la diversité des points de vue, on peut trouver dans ce poète un grand nombre de passages dignes d'admiration.

<< Si Casimir Delavigne, dit M. Legouvé, n'a pas laissé de monument complètement durable et qui est-ce qui en laisse? il reste de lui des parties admirables. L'âme du purgatoire est un chef-d'oeuvre; l'élégie sur la vente de la Madeleine est exquise. Les limbes, que j'ai cités dans la Lecture en action, sont un tableau digne de Corot.

<< Son premier ouvrage, les Vêpres siciliennes, se sentent de l'inexpérience d'un début; mais la scène finale du quatrième acte est une des plus émouvantes du théâtre moderne. A la première représentation, l'effet en fut tel que les applaudissements durèrent tout le temps de l'entr'acte.

« Vous rappelez-vous les chœurs du Paria? Que de grâce et d'esprit dans le Prologue d'ouverture de l'Odéon! Dans l'École des vieillards, il est vrai que les personnages d'Hortense et de sa mère n'ont pas de physionomie; mais quelle passion, vraie souvent, chez Bonnard et chez Danville. La scène du cinquième acte est tout simplement digne de Molière. >>

(Feuilleton du Temps, 20 février 1882.)

LES MESSÉNIENNES

LA VIE DE JEANNE D'ARC

Un jour que l'océan gonflé par la tempête,
Réunissant les eaux de ses fleuves divers,
Fier de tout envahir, marchait à la conquête
De ce vaste univers,

Une voix s'éleva du milieu des orages,
Et Dieu, de tant d'audace invisible témoin,
Dit aux flots étonnés : « Mourez sur ces rivages,
« Vous n'irez pas plus loin. »

Ainsi, quand, tourmentés d'une impuissante rage, Les soldats de Bedfort, grossis par leurs succès, Menaçaient d'un prochain naufrage,

Le royaume et le nom français,

Une femme, arrêtant ces bandes formidables,
Le montra dans nos champs de leur foule inondés;
Et ce torrent vainqueur expira dans les sables
Que naguère il couvrait de ses flots débordés.

Une femme paraît, une vierge, un héros ;
Elle arrache son maître aux langueurs du repos.
La France qui gémit se réveille avec peine,-
Voit son trône abattu, voit ses champs dévastés,
Se lève en secouant sa chaîne,

Et rassemble à ce bruit ses enfants irrités.

Qui t'inspira, jeune et faible bergère,
D'abandonner la houlette légère
Et les tissus commencés par ta main?
Ta sainte ardeur n'a pas été trompée;
Mais quel pouvoir brise sous ton épée
Les cimiers d'or et les casques d'airain?
L'aube du jour voit briller ton armure,
L'acier pesant couvre ta chevelure,
Et des combats tu cours braver le sort.
Qui t'inspira de quitter ton vieux père,
De préférer aux baisers de ta mère

L'horreur des camps, le carnage et la mori:

C'est Dieu qui l'a voulu, c'est le dieu des armées, Qui regarde en pitié les pleurs des malheureux; C'est lui qui délivra nos tribus opprimées

Sous le poids d'un joug rigoureux ; C'est lui, c'est l'Éternel, c'est le dieu des armées !

L'ange exterminateur bénit ton étendard;

Il mit dans tes accents un son mâle et terrible,
La force dans ton bras, la mort dans ton regard,
Et dit à la brebis paisible:
Va déchirer le léopard,

Richemont, Lahire, Xaintrailles,
Dunois; et vous, preux chevaliers,
Suivez ses pas dans les batailles,
Couvrez-la de vos boucliers;
Couvrez-la de votre vaillance;
Soldats, c'est l'espoir de la France
Que votre roi vous a commis,
Marchez quaná sa voix vous appelie,

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