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CAUSERIE

SUR LES

MEMOIRES DE LA SOCIÉTE DES SCIENCES, DE L'AGRICULTURE ET DES ARTS DE LILLE

PAR M. JULES DELIGNE.

Membre titulaire.

MESSIEURS,

On m'a fait un reproche à propos de l'allocution que j'ai eu l'honneur de vous adresser avant de prendre place au fauteuil présidentiel, -un reproche que je regrette de ne pas mériter, celui d'être trop modeste. A mon avis, il ne sied qu'au talent hors ligne, au savoir transcendant, de chercher à se dissimuler sous les dehors de la modestie, comme, dans un autre ordre de faits et d'idées, il n'est donné qu'aux plus hautes, aux plus héroïques, aux plus rares vertus de se dérober à nos applaudissements sous le voile de l'humilité.

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Quoi qu'il en soit de cette prétendue exagération dans la défiance de moi-même, elle m'a inspiré la bonne pensée. de relire vos Mémoires comme le meilleur moyen de m'identifier de plus en plus avec notre chère Société. Or,

l'exécution persévérante de cette pensée m'a procuré parfois un plaisir tel que je ne puis résister au désir de le prolonger, en vous faisant part de mes souvenirs et de mes impressions.

La bienveillance avec laquelle vous avez accueilli, en 1870, la Causerie sur le prix du Silence, où j'insinuais ce que l'on gagne à vous écouter, m'autorise à espérer la même faveur pour celle-ci où je voudrais faire comprendre ce que l'on gagne à vous lire.

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je

S'il s'agissait d'une analyse méthodique des travaux insérés dans nos Annales, je débuterais par un aperçu plus ou moins sommaire de ceux qu'embrasse ma collection (1849 à 1881), ou plutôt, sans refaire l'oeuvre de nos secrétaires-généraux dont les Rapports initient, chaque année, le public à l'ensemble et au résultat de nos communications scientifiques, littéraires ou artistiques, signalerais, à titre de renseignements pouvant servir de guides ou de mementos dans la lecture de nos Mémoires, non-seulement ces comptes-rendus annuels dont plusieurs sont des modèles du genre, mais encore les discours prononcés sur la tombe de nos chers défunts. Pour me borner à deux exemples, je citerai l'hommage suprême que M. Girardin a rendu à notre vénéré Delezenne, et celui que M. Gosselet a rendu à Frédéric Kuhlmann, le glorieux émule de Delezenne: le premier discours, quoique très étendu, complété encore par une importante notice de M. Gripon; le second, qui le sera par une monographie que s'est chargé de rédiger l'un des plus savants disciples de Kuhlmann, M. Corenwinder. Il est d'autres documents que je recommanderais aussi dans le même but le Catalogue raisonné des écrits du D' Le Glay, par M. Louis Pajot; la Notice sur la vie et les travaux de M. de Coussemacker, par M. l'abbé Dehaisnes, etc. Puis, mon analyse terminée, je rendrais grâces à la patience de ceux de nos confrères à qui nous devons les tables de matières, les

quelles m'auraient singulièrement aidé dans mon travail. Certes, Messieurs, nos Mémoires mériteraient bien d'ètre l'objet d'une pareille étude, mais tel n'est pas mon dessein. Je veux simplement vous entretenir de ma lecture, après m'ètre recueilli pour classer mes réminiscences; comme souvent, en famille, on aime à se rappeler la conversation des gens de savoir, d'esprit et de cœur que l'on a le bonheur de compter au nombre de ses amis.

Une des scènes les plus émouvantes du Philoctète de Sophocle est celle où le héros, qui vit depuis dix ans dans une île sauvage et inhabitée, exprime sa stupéfaction et sa douleur en apprenant par la bouche du fils d'Achille la mort de ses plus vaillants compagnons d'armes. Moi aussi, Messieurs, j'ai plus d'une fois éprouvé quelque chose de ce poignant saisissement, lors qu'après avoir évoqué tant de figures amies que je croyais voir encore et entendre devisant familièrement avant l'heure de la séance, puis, la séance ouverte, dissertant gravement sur des sujets d'une haute portée, ou discutant avec une animation qui ne s'écartait jamais des règles de la plus aimable courtoisie, mon imagination s'assombrissait tout-à-coup et cessait de sourire à la douce illusion. C'est qu'une pensée soudaine avait traversé mon esprit et attristé mon cœur : vixerunt!

Je ne doute pas, Messieurs, que vous ne partagiez mon émotion au souvenir de ces noms que l'on salue comme un encouragement, un honneur, une tradition, ainsi que

s'exprimait Guiraudet qui lui-même, peu d'années après, devait nous léguer prématurément un de ces noms aimés et distingués qu'on prononce avec respect et attendrisse

ment.

Mais aux regrets pour nos confrères défunts s'ajoutent les préoccupations pour nos confrères absents: si l'àge, la souffrance ou les soins réclamés par une santé ébranlée,

les retiennent loin de nous, nos vœux et nos espérances les accompagnent dans leur retraite momentanée. Que s'ils nous ont définitivement quittés pour une autre résidence, nous ne les perdons pas de vue, car nous attendons quelque communication de leur part, comme celles de MM. Hinstin, Heegmann, Eschenauer, Gripon. D'ailleurs, la Société, qui applaudit toujours à leurs succès, est à la fois heureuse et fière lorsqu'un de ses anciens membres titulaires reçoit une récompense honorifique: plus heureuse et plus fière encore, si l'un d'eux, devenu une des gloires de la science contemporaine, est appelé par les suffrages de l'Académie française à prendre place, à côté de Dumas, parmi les quarante immortels. J'ai nommé M. Pasteur.

Le Bulletin de nos séances reproduit, à la date du 25 avril 1873, une lettre dans laquelle M. Pasteur nous remercie des témoignages de sympathie qui lui ont été adressés en notre nom par M. Kuhlmann, président, à l'occasion du double honneur qu'il venait de recevoir de la Société d'encouragement et de l'Académie de Médecine. Cette lettre nous intéresse d'autant plus que l'illustre chimiste y fait, pour ainsi dire, hommage à notre ville de ses belles découvertes, en reconnaissant que c'est à Lille qu'il a été entraîné, en 1854, à se livrer tout entier à l'étude des mystérieux phénomènes de la fermentation, base principale de plusieurs grandes industries du nord de la France. Notre empressement à répondre à l'appel qui nous est fait de contribuer, par souscription, à la récompense nationale que la France scientifique se propose d'offrir à M. Pasteur, sera une nouvelle preuve de notre affection pour sa personne, de notre admiration pour son génie.

M. Pasteur était notre président en 1857. S'il n'avait pas été appelé à Paris pour diriger les études scientifiques de l'Ecole normale supérieure avant la fin de sa présidence, nos Annales se seraient enrichies d'un beau discours; car ce qui sera, je ne me le dissimule pas, - une épreuve

pour le plus humble de ses successeurs, eût été pour le futur académicien, comme ce l'a été pour quelques-uns, l'occasion d'un triomphe oratoire.

Et qu'on n'aille pas croire quand je m'exprime ainsi à propos de ces soi-disant discours d'apparat, qu'ils aient seulement le privilège de charmer, quelques instants, le public admis à nos séances solennelles, ils offrent encore l'avantage d'apprendre à plusieurs ce qu'ils ignorent ou ce dont ils n'apprécient pas assez l'importance. Je sais tel administrateur haut placé qui, après avoir entendu, l'an dernier, mon honorable prédécesseur, s'est épris d'un si grand amour pour la géologie, qu'il s'est ouvertement déclaré le disciple du panégyriste de cette science. De pareils suffrages sont rares, il est vrai, mais ce qu'on ne saurait contester, c'est que les discours présidentiels, qui ont souvent initié à des connaissances utiles et intéressantes ceux qui les écoutaient attentivement, se recommandent à la curiosité du lecteur de nos Mémoires par la variété des sujets : ils sont pour lui une sorte de specimen des travaux de la Société, mis à la portée d'un plus grand nombre d'intelligences au moyen d'une élégante et habile vulgarisation.

Pour mon compte, je rends graces à nos confrères de la section des sciences du service qu'ils m'ont rendu sous ce rapport, sans préjudice de ce que je leur dois pour celles de leurs communications qu'il m'est arrivé de comprendre.

Pourrais-je, en effet, quoique profane, ne pas aimer, respecter, admirer la science, quand je la vois dans nos Mémoires se prèter à tout pour satisfaire à tout par ses recherches, ses découvertes, ses théories, ses applications pratiques; tour à tour agronome, industrielle, économiste, artiste, philosophe, patriote, philanthrope: compatissant aux maux de l'humanité qu'elle aspire à soulager quand elle ne réussit pas à les prévenir ou à les guérir; dévouée à tous les intérêts de la patrie aussi bien pour sauvegarder

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