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entent sur cette extrême politesse que le commerce 'des femmes leur a donnée, et dont ils ne se défont jamais, un esprit de règle, de réflexion, et quelquefois une haute capacité, qu'ils doivent à la chambre et au loisir d'une mauvaise fortune.

Tout notre mal vient de ne pouvoir être seuls : de là le jeu, le luxe, la dissipation, le vin, les femmes, l'ignorance, la méfiance, l'envie, l'oubli de soi-même et de Dieu.

à

L'homme semble quelquefois ne se suffire pas soi-même : les ténèbres, la solitude, le troublent, le jettent dans des craintes frivoles, et dans de vaines terreurs : le moindre mal alors qui puisse lui arriver est de s'ennuyer.

L'ennui est entré dans le monde par la paresse; elle a beaucoup de part dans la recherche que font les hommes des plaisirs, du jeu, de la société. Celui qui aime le travail a assez de soi-même.

I

La plupart des hommes emploient la première partie de leur vie à rendre l'autre misérable. Il y a des ouvrages qui commencent par A et finissent par Z: le bon, le mauvais, le pire, tout y entre, rien en un certain genre n'est oublié : quelle recherche, quelle affectation dans ces ouvrages! on les appelle des jeux d'esprit. De même il y a un jeu dans la conduite: on a commencé, il faut finir, on veut fournir toute la carrière. Il seroit mieux ou de changer ou de suspendre, mais il est plus rare et plus difficile de poursuivre: on poursuit, on s'anime par les contradictions; la vanité soutient, supplée

parce

à la raison, qui cède et qui se désiste : on porte ce raffinement jusques dans les actions les plus vertueuses, dans celles même où il entre de la religion. Il n'y a que nos devoirs qui nous coûtent, que leur pratique ne regardant que les choses que nous sommes étroitement obligés de faire, elle n'est pas suivie de grands éloges, qui est tout ce qui nous excite aux actions louables, et qui nous soutient, dans nos entreprises. N....1 aime une piété fastueuse qui lui attire l'intendance des besoins des pauvres, le rend dépositaire de leur patrimoine, et fait de sa maison un dépôt public où se font les distributions : les gens à petits collets et les sœurs grises y ont une libre entrée : toute une ville voit ses aumônes, et les publie : qui pourroit douter qu'il soit homme de bien, si ce n'est peut-être ses créanciers?

Géronte meurt de caducité, et sans avoir fait ce testament qu'il projetoit depuis trente années : dix têtes viennent ab intestat partager sa succession. Il ne vivoit depuis long-temps que par les soins d'Astérie sa femme, qui jeune encore s'étoit dévouée à sa personne, ne le perdoit pas de vue, secouroit sa vieillesse, et lui a enfin fermé les yeux. Il ne lui laisse pas assez de bien pour pouvoir se passer, pour vivre, d'un autre vieillard.

Laisser perdre charges et bénéfices plutôt que de vendre ou de résigner, même dans son extrême vicillesse, c'est se persuader qu'on n'est pas du nombre de ceux qui meurent; ou si l'on croit que

l'on peut mourir, c'est s'aimer soi-même et n'aimer que soi.

Fauste est un dissolu, un prodigue, un libertin, un ingrat, un emporté, qu'Aurèle son oncle n'a pu hair ni déshériter.

Frontin, neveu d'Aurèle, après vingt années d'une probité connue, et d'une complaisance aveugle pour ce vieillard, ne l'a pu fléchir en sa faveur, et ne tire de sa dépouille qu'une légère pension que Fauste, unique légataire, lui doit payer.

Les haines sont si longues et si opiniâtres, que le plus grand signe de mort dans un homme malade, c'est la réconciliation.

L'on s'insinue auprès de tous les hommes, ou en les flattant dans les passions qui occupent leur ame, ou en compatissant aux infirmités qui affligent leur corps. En cela seul consistent les soins que l'on peut leur rendre: de là vient que celui qui se porte bien, et qui desire peu de choses, est moins facile à gou

verner.

La mollesse et la volupté naissent avec l'homme, et ne finissent qu'avec lui; ni les heureux ni les tristes événements ne l'en peuvent séparer : c'est pour lui ou le fruit de la bonne fortune, ou un dédommagement de la mauvaise.

C'est une grande difformité dans la nature qu'un vieillard amoureux.

Peu de gens se souviennent d'avoir été jeunes, et combien il leur étoit difficile d'être chastes et tem

pérants. La première chose qui arrive aux hommes

après avoir renoncé aux plaisirs, ou par bienséance, ou par lassitude, ou par régime, c'est de les condamner dans les autres. Il entre dans cette conduite une sorte d'attachement pour les choses mêmes que l'on vient de quitter : l'on aimeroit qu'un bien qui n'est plus pour nous ne fût plus aussi pour le reste du monde : c'est un sentiment de jalousie.

Ce n'est pas le besoin d'argent où les vieillards peuvent appréhender de tomber un jour qui les rend avares, car il y en a de tels qui ont de si grands fonds, qu'ils ne peuvent guère avoir cette inquiétude : et d'ailleurs comment pourroient-ils craindre de manquer dans leur caducité des commodités de la vie, puisqu'ils s'en privent eux-mêmes volontairement pour satisfaire à leur avarice? Ce n'est point aussi l'envie de laisser de plus grandes richesses à leurs enfants, car il n'est pas naturel d'aimer quelque autre chose plus que soi-même, outre qu'il se trouve des avares qui n'ont point d'héritiers. Ce vice est plutôt l'effet de l'âge et de la complexion des vieillards, qui s'y abandonnent aussi naturellement qu'ils suivoient leurs plaisirs dans leur jeunesse, ou leur ambition dans l'âge viril. Il ne faut ni vigueur, ni jeunesse, ni santé, pour être avare l'on n'a aussi nul besoin de s'empresser, ou de se donner le moindre mouvement pour épargner ses revenus: il faut laisser seulement son bien dans ses coffres, et se priver de tout. Cela est commode aux vieillards, à qui il faut une passion parce qu'ils sont hommes.

Il y a des gens qui sont mal logés, mal couchés, mal habillés et plus mal nourris, qui essuient les rigueurs des saisons, qui se privent eux-mêmes de la société des hommes, et passent leurs jours dans la solitude, qui souffrent du présent, du passé, et de l'avenir, dont la vie est comme une pénitence continuelle, et qui ont ainsi trouvé le secret d'aller à leur perte par le chemin le plus pénible : ce sont les avares.

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Le souvenir de la jeunesse est tendre dans les vieillards ils aiment les lieux où ils l'ont passée: les personnes qu'ils ont commencé de connoître dans ce temps leur sont chères : ils affectent quelques mots du premier langage qu'ils ont parlé : ils tiennent pour l'ancienne manière de chanter, et pour la vieille danse : ils vantent les modes qui régnoient alors dans les habits, les meubles et les équipages: ils ne peuvent encore désapprouver des choses qui servoient à leurs passions, qui étoient si utiles à leurs plaisirs, et qui en rappellent la mémoire. Comment pourroient-ils leur préférer de nouveaux usages, et des modes toutes récentes où ils n'ont nulle part, dont ils n'espèrent rien, que les jeunes gens ont faites, et dont ils tirent à leur tour de si grands avantages contre la vieillesse?

Une trop grande négligence comme une excessive parure dans les vieillards multiplient leurs rides, et font mieux voir leur caducité.

Un vieillard est fier, dédaigneux, et d'un commerce difficile, s'il n'a beaucoup d'esprit.

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