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écrits dans ces insolentes listes que je désavoue et que je condamne autant qu'elles le méritent. J'ose même attendre d'eux cette justice, que, sans s'arrêter à un auteur moral qui n'a eu nulle intention de les offenser par son ouvrage, ils passeront jusqu'aux interprètes, dont la noirceur est inexcusable. Je dis en effet ce que je dis, et nullement ce qu'on assure que j'ai voulu dire; et je réponds encore moins de ce qu'on me fait dire, et que je ne dis point. Je nomme nettement les personnes que je veux nommer, toujours dans la vue de louer leur vertu ou leur mérite; j'écris leurs noms en lettres capitales afin qu'on les voie de loin, et que le lecteur ne coure pas risque de les manquer. Si j'avois voulu mettre des noms véritables aux peintures moins obligeantes, je me serois épargné le travail d'emprunter des noms de l'ancienne histoire, d'employer des lettres initiales qui n'ont qu'une signification vaine et incertaine, de trouver enfin mille tours et mille faux-fuyants pour dépayser ceux qui me lisent, et les dégoûter des applications. Voilà la conduite que j'ai tenue dans la composition des caractères

Sur ce qui concerne la harangue qui a paru longue et ennuyeuse au chef des mécontents, je ne sais en effet pourquoi j'ai tenté de faire de ce remerciment à l'Académie Françoise un discours oratoire qui eût quelque force et quelque étendue : de zélés académiciens m'avoient déjà frayé ce chemin; mais ils se sont trouvés en petit nombre, et leur zèle

pour l'honneur et pour la réputation de l'Académie n'a eu que peu d'imitateurs. Je pouvois suivre l'exemple de ceux qui, postulant une place dans cette compagnie sans avoir jamais rien écrit, quoiqu'ils sachent écrire, annoncent dédaigneusement, la veille de leur réception, qu'ils n'ont que deux mots à dire et qu'un moment à parler, quoique capables de parler long-temps, et de parler bien.

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J'ai pensé, au contraire, qu'ainsi que nul artisan n'est agrégé à aucune société ni n'a ses lettres de maîtrise sans faire son chef-d'œuvre; de même, et avec encore plus de bienséance, un homme associé à un corps qui ne s'est soutenu et ne peut jamais se soutenir que par l'éloquence, se trouvoit engagé à faire en y entrant un effort en ce genre, qui le fit aux yeux de tous paroître digne du choix dont il venoit de l'honorer. Il me sembloit encore que, puisque l'éloquence profane ne paroissoit plus régner au barreau, d'où elle a été bannie par nécessité de l'expédition, et qu'elle ne devoit plus être admise dans la chaire où elle n'a été que trop soufferte, le seul asyle qui pouvoit lui rester étoit l'Académie Françoise; et qu'il n'y avoit rien de plus naturel, ni qui pût rendre cette compagnie plus célèbre, que si au sujet des réceptions de nouveaux académiciens elle savoit quelquefois attirer la cour et la ville à ses assemblées par la curiosité d'y entendre des pièces d'éloquence d'une juste étendue, faites de main de maîtres, et dont la profession est d'exceller dans la science de la parole.

Si je n'ai pas atteint mon but, qui étoit de prononcer un discours éloquent, il me paroît du moins que je me suis disculpé de l'avoir fait trop long de quelques minutes: car si d'ailleurs Paris, à qui on l'avoit promis mauvais, satirique et insensé, s'est plaint qu'on lui avoit manqué de parole; si Marly, où la curiosité de l'entendre s'étoit répandue, n'a point retenti d'applaudissements que la cour ait donnés à la critique qu'on en avoit faite; s'il a su franchir Chantilly, écueil des mauvais ouvrages; si l'Académie Françoise, à qui j'avois appelé comme au juge souverain de ces sortes de pièces, étant assemblée extraordinairement, a adopté celic-ci, l'a fait imprimer par son libraire, l'a mise dans ses archives; si elle n'étoit pas en effet composée d'un style affecté, dur et interrompu, ni chargée de louanges fades et outrées, telles qu'on les lit dans les prologues d'opéra, et dans tant d'épîtres dédicatoires; il ne faut plus s'étonner qu'elle ait ennuyé Theobalde. Je vois les temps, le public me permettra de le dire, où ce ne sera pas assez de l'approbation qu'il aura donnée à un ouvrage pour en faire la réputation; et pour y mettre le dernier sceau, il sera nécessaire que de certaines gens le désapprouvent, qu'ils y aient bâillé.

Car voudroient-ils, présentement qu'ils ont reconnu que cette harangue a moins mal réussi dans le public qu'ils ne l'avoient espéré, qu'ils savent que deux libraires ont plaidé à qui l'imprimeroit; L'instance étoit aux requêtes de l'Hôtel.

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voudroient-ils désavouer leur goût et le jugement qu'ils en ont porté dans les premiers jours qu'elle fut prononcée? Me permettroient-ils de publier ou seulement de soupçonner une tout autre raison de l'apre censure qu'ils en firent, que la persuasion où ils étoient qu'elle la méritoit? On sait que cet homme, d'un nom et d'un mérite si distingué, avec qui j'eus l'honneur d'être reçu à l'Académie Françoise, prié, sollicité, persécuté de consentir à l'impression de sa harangue par ceux mêmes qui vouloient supprimer la mienne et en éteindre la mé moire, leur résista toujours avec fermeté. Il leur dit « qu'il ne pouvoit ni ne devoit approuver » une distinction si odieuse qu'ils vouloient faire » entre lui et moi, et que la préférence qu'ils don>> noient à son discours avec cette affectation et » cet empressement qu'ils lui marquoient, bien » loin de l'obliger, comme ils pouvoient le croire, >> lui faisoit au contraire une véritable peine; que' » deux discours également innocents, prononcés » dans le même jour, devoient être imprimés dans » le même temps. » Il s'expliqua ensuite obligeamment en public et en particulier sur le violent chagrin qu'il ressentoit de ce que les deux auteurs de la gazette que j'ai citée avoient fait servir les louanges qu'il leur avoit plu de lui donner à un dessein formé de médire de moi, de mon discours et de mes Caractères; et il me fit sur cette satire injurieuse des explications et des excuses qu'il ne me devoit point. Si donc on vouloit inférer de

cette conduite des Théobaldes, qu'ils ont cru faussement avoir besoin de comparaisons et d'une harangué folle et décriée pour relever celle de mon collègue, ils doivent répondre, pour se laver de ce soupçon qui les déshonore, qu'ils ne sont ni courtisans, ni dévoués à la faveur, ni intéressés, ni adulateurs; qu'au contraire ils sont sincères, et qu'ils ont dit naïvement ce qu'ils pensoient du plan, du style et des expressions de mon remercîment à l'Académie Françoise. Mais on ne manquera pas d'insister, et de leur dire que le jugement de la cour et de la ville, des grands et du peuple, lui a été favorable. Qu'importe? ils répliqueront avec constance que le public a son goût, et qu'ils ont le leur réponse qui me ferme la bouche et qui termine tout différend. Il est vrai qu'elle m'éloigne de plus en plus de vouloir leur plaire par aucun de mes écrits: car, si j'ai un peu de santé avec quelques années de vie, je n'aurai plus d'autre ambition que celle de rendre, par des soins assidus et par de bons conseils, mes ouvrages tels qu'ils puissent toujours partager les Theobaldes et le public.

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