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leur nature. Il faudroit donc chercher, ô Lucile, s'il n'y a point hors d'eux un principe qui les fait mouvoir; qui que vous trouviez, je l'appelle

Dieu.

Si nous supposons que ces grands corps sont sans mouvement, on ne demanderoit plus à la vérité qui les met en mouvement, mais on seroit toujours reçu à demander qui a fait ces corps, comme on peut s'informer qui a fait ces roues, cette boule; et quand chacun de ces grands corps seroit supposé un amas fortuit d'atomes qui se sont liés et enchaînés ensemble par la figure et la conformation de leurs parties, je prendrois un de ces atomes, et je dirois : Qui a créé cet atome? est-il matière? est-il intelligence? a-t-il eu quelque idée de soi-même, avant que de se faire soi-même ? il étoit donc un moment avant que d'être ; il étoit et il n'étoit pas tout à la

fois; et s'il est auteur de son être et de sa manière d'être, pourquoi s'est-il fait corps plutôt qu'esprit? bien plus, cet atome n'a-t-il point commencé ? est-il éternel? est il infini? ferez-vous un Dieu de cet atome?

Le ciron a des yeux, il se détourne à la rencontre des objets qui lui pourroient nuire : quand on le met sur de l'ébène pour le mieux remarquer, si, dans le temps qu'il marche vers un côté, on lui présente le moindre fétu, il change de route: est-ce un jeu du hasard que son cristallin, sa rétine, et son nerf optique?

L'on voit dans une goutte d'eau, que le poivre

qu'on y a mis tremper a altérée, un nombre presque innombrable de petits animaux, dont le microscope nous fait appercevoir la figure, et qui se meuvent avec une rapidité incroyable, comme autant de monstres dans une vaste mer chacun de ces animaux est plus petit mille fois qu'un ciron, et néanmoins c'est un corps qui vit, qui se nourrit, qui croît, qui doit avoir des muscles, des vaisseaux équivalents aux veines, aux nerfs, aux artères, et un cerveau pour distribuer les esprits animaux.

Une tache de moisissure, de la grandeur d'un grain de sable, paroît dans le microscope comme un amas de plusieurs plantes très-distinctes, dont les unes ont des fleurs, les autres des fruits; il y en a qui n'ont que des boutons à demi ouverts; il y en a quelques unes qui sont fanées : de quelle étrange petitesse doivent être les racines et les filtres qui séparent les aliments des petites plantes ! et si l'on vient à considérer que ces plantes ont leurs graines, ainsi que les chênes et les pins; et que ces petits animaux dont je viens de parler se multiplient par voie de génération, comme les éléphants et les baleines; où cela ne mène-t-il point? Qui a su travailler à des ouvrages si délicats, si fins, qui échappent à la vue des hommes, et qui tiennent de l'infini comme les cieux, bien que dans l'autre extrémité? Ne seroit-ce point celui qui a fait les cieux, les astres, ces masses énormes, épouvantables par leur grandeur, par leur élévation, par

la rapidité et l'étendue de leur course, et qui se joue de les faire mouvoir?

Il est de fait que l'homme jouit du soleil, des astres, des cieux, et de leurs influences, comme il jouit de l'air qu'il respire, et de la terre sur laquelle il marche, et qui le soutient: et s'il falloit ajouter à la certitude d'un fait la convenance ou la vraisemblance, elle y est toute entière, puisque les cieux et tout ce qu'ils contiennent ne peuvent pas entrer en comparaison, pour la noblesse et la dignité, avec le moindre des hommes qui sont sur la terre ; et que la proportion qui se trouve entre eux et lui est celle de la matière incapable de sentiment, qui est seulement une étendue selon trois dimensions, à ce qui est esprit, raison, ou intelligence. Si l'on dit que l'homme auroit pu se passer à moins pour sa conservation, je réponds que Dieu ne pouvoit moins faire pour étaler son pouvoir, sa bonté et sa magnificence, puisque, quelque chose que nous voyions qu'il ait faite, il pouvoit faire infiniment davantage.

Le monde entier, s'il est fait pour l'homme, est littéralement la moindre chose que Dieu ait faite pour l'homme; la preuve s'en tire du fonds de la religion : ce n'est donc ni vanité ni présomption à l'homme de se rendre sur ses avantages à la force de la vérité; ce seroit en lui stupidité et aveuglement de ne pas se laisser convaincre par l'enchaî nement des preuves dont la religion se sert pour lui faire connoître ses priviléges, ses ressources, ses espérances, pour lui apprendre ce qu'il est, et

ce qu'il peut devenir. Mais la lune est habitée; il n'est pas du moins impossible qu'elle le soit. Que parlez-vous, Lucile, de la lune, et à quel propos? en supposant Dieu, quelle est en effet la chose impossible? Vous demandez peut-être si nous sommes les seuls dans l'univers que Dieu ait si bien traités; s'il n'y a point dans la lune, ou d'autres hommes, ou d'autres créatures que Dieu ait aussi favorisées? Vaine curiosité! frivole demande! La terre, Lucile, est habitée; nous l'habitons, et nous savons que nous l'habitons, nous avons nos preuves, notre évidence, nos convictions sur tout ce que nous devons penser de Dieu et de nous-mêmes : que ceux qui peuplent les globes célestes, quels qu'ils puissent être, s'inquiètent pour eux-mêmes; ils ont leurs soins, et nous les nôtres. Vous avez, Lucile, observé la lune, vous avez reconnu ses taches, ses abîmes, ses inégalités, sa hauteur, son étendue, son cours, ses éclipses; tous les astronomes n'ont pas été plus loin: imaginez de nouveaux instruments, observez-la avec plus d'exactitude: voyezvous qu'elle soit peuplée, et de quels animaux ? ressemblent-ils aux hommes ? sont-ce des hommes? Laissez-moi voir après vous; et si nous sommes convaincus l'un et l'autre que des hommes habitent la lune, examinons alors s'ils sont chrétiens, et si Dieu a partagé ses faveurs entre eux et nous.

Tout est grand et admirable dans la nature, il ne s'y voit rien qui ne soit marqué au coin de l'ouvrier ce qui s'y voit quelquefois d'irrégulier et

d'imparfait suppose règle et perfection. Homme vain et presomptueux! faites un vermisseau que vous foulez aux pieds, que vous méprisez : vous avez horreur du crapaud, faites un crapaud, s'il est possible: quel excellent maître que celui qui fait des ouvrages, je ne dis pas que les hommes admirent, mais qu'ils craignent! Je ne vous demande pas de vous mettre à votre atelier pour faire un homme d'esprit, un homme bien fait, une belle femme; l'entreprise est forte et au-dessus de vous: essayez seulement de faire un bossu, un fou, un monstre; je suis content.

Rois, monarques, potentats, sacrées majestés, vous ai-je nommés par tous vos superbes noms ? grands de la terre, très-hauts, très-puissants et peut-être bientôt tout-puissants seigneurs, nous autres hommes nous avons besoin pour nos moissons d'un peu de pluie, de quelque chose de moins, d'un peu de rosée : faites de la rosée, envoyez sur la terre une goutte d'eau.

L'ordre, la décoration, les effets de la nature, sont populaires : les causes, les principes ne le sont point: demandez à une femme comment un bel œil n'a qu'à s'ouvrir pour voir, demandez-le à un homme docte.

Plusieurs millions d'années, plusieurs centaines de millions d'années, en un mot, tous les temps ne sont qu'un instant, comparés à la durée de Dieu, qui est éternelle : tous les espaces du monde entier ne sont qu'un point, qu'un léger atome,

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