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grands hommes si éclairés, si élevés, et néanmoins si fidèles, que les Léon, les Basile, les Jérôme, les Augustin.

Un Père de l'église, un Docteur de l'église, quels noms! quelle tristesse dans leurs écrits! quelle sécheresse! quelle froide dévotion! et peut-être quelle scholastique! disent ceux qui ne les ont jamais lus. Mais plutôt quel étonnement pour tous ceux qui se sont fait une idée des Pères si éloignée de la vérité, s'ils voyoient dans leurs ouvrages plus de tour et de délicatesse, plus de politesse et d'esprit, plus de richesse d'expression et plus de force de raisonnement, des traits plus vifs et des graces plus naturelles, que l'on n'en remarque dans la plupart des livres de ce temps, qui sont lus avec goût, qui donnent du nom et de la vanité à leurs auteurs ! Quel plaisir d'aimer la religion, et de la voir crue, soutenue, expliquée par de si beaux génies et par de si solides esprits; sur-tout lorsque l'on vient à connoître que pour l'étendue de connoissance, pour la profondeur et la pénétration, pour les principes de la pure philosophie, pour leur application et leur développement, pour la justesse des conclusions, pour la dignité du discours, pour la beauté de la morale et des sentiments, il n'y a rien, par exemple, que l'on puisse comparer à S. AugusPlaton et que Cicéron!

tin, que

L'homme est né menteur : la vérité est simple et ingénue, et il veut du spécieux et de l'ornement: elle n'est pas à lui, elle vient du ciel toute faite,

pour ainsi dire, et dans toute sa perfection; et l'homme n'aime que son propre ouvrage, la fiction et la fable. Voyez le peuple, il controuve, il augmente, il charge par grossièreté et par sottise; demandex. même au plus honnête homme s'il est toujours vrai dans ses discours, s'il ne se surprend pas quelque. fois dans des déguisements où engagent nécessairement la vanité et la légèreté; si pour faire un meilleur conte il ne lui échappe pas souvent d'ajouter à un fait qu'il récite une circonstance qui y manque. Une chose arrive aujourd'hui, et presque sous nos yeux; cent personnes qui l'ont vue la racontent en cent façons différentes; celui-ci, s'il est écouté, la dira encore d'une manière qui n'a pas été dité: quelle créance donc pourrois-je donner à des faits qui sont anciens et éloignés de nous par plusieurs siècles? quel fondement dois-je faire sur les plus graves historiens? que devient l'histoire? César a-t-il été massacré au milieu du sénat? y a-t-il eu un César? Quelle conséquence! me dites-vous; quels doutes! quelle demande ! Vous riez, vous ne me jugez pas digne d'aucune réponse; et je crois même que vous avez raison. Je suppose néanmoins que le livre qui fait mention de César ne soit pas un livre profane, écrit de la main des hommes qui sont menteurs, trouvé par hasard dans les bibliothèques parmi d'autres manuscrits qui contiennent des histoires vraies ou apocryphes, qu'au contraire il soit inspiré, saint, divin, qu'il porte en soi ces caractères, qu'il se trouve depuis près de deux

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mille ans dans une société nombreuse qui n'a pas permis qu'on y ait fait pendant tout ce temps la moindre altération, et qui s'est fait une religion de le conserver dans toute son intégrité, qu'il y ait même un engagement religieux et indispensable d'avoir de la foi pour tous les faits contenus dans ce volume où il est parlé de César et de sa dictature : avouez-le, Lucile, vous douterez alors qu'il y ait cu un César.

Toute musique n'est pas propre à louer Dieu, et à être entendue dans le sanctuaire. Toute philo. sophie ne parle pas dignement de Dieu, de sa puissance, des principes de ses opérations, et de ses mystères plus cette philosophie est subtile et idéale, plus elle est vaine et inutile pour expliquer des choses qui ne demandent des hommes qu'un sens droit pour être connues jusques à un certain point, et qui au-delà sont inexplicables. Vouloir rendre raison de Dieu, de ses perfections, et, si j'ose ainsi parler, de ses actions, c'est aller plus loin que les anciens philosophes, que les apôtres, que les premiers docteurs; mais ce n'est .pas rencontrer si juste, c'est creuser long-temps et profondément sans trouver les sources de la vérité. Dès qu'on a abandonné les termes de bonté, de miséricorde, de justice et de toute-puissance, qui donnent de Dieu de si hautes et de si aimables idées, quelque grand effort d'imagination qu'on puisse faire, il faut recevoir les expressions sèches, stériles, vuides de sens, admettre les pensées creuses, écartées des

notions communes, ou tout au plus les subtiles et les ingénieuses, et à mesure que l'on acquiert d'ouverture dans une nouvelle métaphysique, perdre de sa religion.

un peu

J

Jusques où les hommes ne se portent-ils point par l'intérêt de la religion, dont ils sont si peu persuadés, et qu'ils pratiquent si mal'!

Cette même religion que les hommes défendent avec chaleur et avec zèle contre ceux qui en ont une toute contraire, ils l'altèrent eux-mêmes dans leur esprit par des sentiments particuliers,'ils y ajoutent et ils en retranchent mille choses souvent essentielles, selon ce qui leur convient, et ils demeurent fermes et inébranlables dans cette forme qu'ils lui ont donnée. Ainsi, à parler populairement, on peut dire d'une seule nation qu'elle vit sous un même culte, et qu'elle n'a qu'une seule religion mais, à parler exactement, il est vrai qu'elle en a plusieurs, et que chacun presque y a la sienne.

et

:

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Deux sortes de gens fleurissent dans les cours y dominent dans divers temps, les libertins et les hypocrites; ceux-là gaiement, ouvertement, sans art et sans dissimulation; ceux-ci finement, par des artifices, par la cabale: cent fois plus épris de la fortune que les premiers, ils en sont jaloux jusqu'à l'excès, ils veulent la gouverner, la posséder seuls, la partager entre eux, et en exclure tout autre : dignités, charges, postes, bénéfices, pensions, honneurs, tout leur convient et ne convient La Bruyere. 2.

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La faveur, l'autorité, les amis, la haute réputation, les grands biens, servent pour le premier monde : le mépris de toutes ces choses sert pour le second. Il s'agit de choisir.

:

Qui a vécu un seul jour a vécu un siècle; même soleil, même terre, même monde, mêmes sensations, rien ne ressemble mieux à aujourd'hui que demain il y auroit quelque curiosité à mourir, c'est-à-dire, à n'être plus un corps, mais à être seulement esprit. L'homme cependant, impatient de la nouveauté, n'est point curieux sur ce seul article ; né inquiet et qui s'ennuie de tout, il ne s'ennuie point de vivre, il consentiroit peut-être à vivre toujours. Ce qu'il voit de la mort le frappe plus violemment que ce qu'il en sait : la maladie, la douleur, le cadavre, le dégoûtent de la connoissance d'un autre monde : il faut tout le sérieux de la religion pour le réduire.

Si Dieu avoit donné le choix ou de mourir ou de toujours vivre; après avoir médité profondé ment ce que c'est que de ne voir nulle fin à la pauvreté, à la dépendance, à l'ennui, à la maladie, ou de n'essayer des richesses, de la grandeur, des plaisirs et de la santé, que pour les voir changer inviolablement, et par la révolution des temps, en leurs contraires, et être ainsi le jouet des biens et des maux, l'on ne sauroit guère à quoi se résoudre. La nature nous fixe, et nous ôte l'embarras de choisir; et la mort, qu'elle nous rend nécessaire, est encore adoucie par la religion.

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