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J'appelle mondains, terrestres ou grossiers, ceux dont l'esprit et le cœur sont attachés à une petite portion de ce monde qu'ils habitent, qui est la terre; qui n'estiment rien, qui n'aiment rien audela; gens aussi limités que ce qu'ils appellent leurs possessions ou leur domaine, que l'on mesure, dont on compte les arpents, et dont on montre les bornes. Je ne m'étonne pas que des hommes qui s'appuient sur un átome chancellent dans les moindres efforts qu'ils font pour sonder la vérité, si avec des vues si courtes ils ne percent point à travers le ciel et les astres jusques à Dieu même, si, ne s'appercevant point ou de l'excellence de ce qui est esprit, ou de la dignité de l'ame, ils ressentent encore moins combien elle est difficile à assouvir, combien la terre entière est au-dessous d'elle, de quelle nécessité lui devient un être souverainement parfait qui est Dieu, et quel besoin indispensable elle a d'une religion qui le lui indique, et qui lui en est une caution sûre. Je comprends au contraire fort aisément qu'il est naturel à de tels esprits de tomber dans l'incrédulité ou l'indifférence, et de faire servir Dieu et la religion à la politique, c'est-à-dire, à l'ordre et à la décoration de ce monde, la seule chose, selon eux, qui mérite qu'on y pense.

Quelques uns achèvent de se corrompre par de longs voyages, et perdent le peu de religion qui leur restoit ils voient de jour à autre un nouveau culte, diverses moeurs, diverses cérémonies: ils ressciablent à ceux qui entrent dans les magasins,

indétermínés sur le choix des étoffes qu'ils veulent acheter; le grand nombre de celles qu'on leur montre les rend plus indifférents, elles ont chacune leur agrément et leur bienséance; ils ne se fixent point, ils sortent sans emplette.

Il y a des hommes qui attendent à être dévots et religieux, que tout le monde se déclare impie et libertin : ce sera alors le parti du vulgaire, ils sauront s'en dégager. La singularité leur plaît dans une matière si sérieuse et si profonde; ils ne suivent la mode et le train commun que dans les choses de rien et de nulle suite; qui sait même s'ils n'ont pas déjà mis une sorte de bravoure et d'intrépidite à courir tout le risque de l'avenir? il ne faut pas d'ailleurs que dans une certaine condition, avec une certaine étendue d'esprit, et de certaines vues, l'on songe à croire comme les savants et le peuple.

L'on doute de Dieu dans une pleine santé, comme l'on doute que ce soit pécher que d'avoir un commerce avec une personne libre 1 : quand l'on devient malade, et que l'hydropisie est formée, l'on quitte sa concubine, et l'on croit en Dieu.

Il faudroit s'éprouver et s'examiner très-sérieusement, avant que de se déclarer esprit fort ou libertin, afin, au moins, et selon ses principes, de finir comme on a vécu ; ou si l'on ne se sent pas la force d'aller si loin, se résoudre de vivre comme l'on veut mourir.

Toute plaisanterie 2 dans un homme mourant est hors de sa place; si elle roule sur de certains

chapitres, elle est funeste. C'est une extrême misère que de donner à ses dépens, à ceux que l'on laisse, le plaisir d'un bon mot.

Dans quelque prévention où l'on puisse être sur ce qui doit suivre la mort, c'est une chose bien sérieuse que de mourir ce n'est point alors le badinage qui sied bien, mais la constance.

Il y a eu de tout temps de ces gens d'un bel esprit et d'une agréable littérature, esclaves des grands dont ils ont épousé le libertinage et porté le joug toute leur vie contre leurs propres lumières et contre leur conscience. Ces hommes n'ont jamais vécu que pour d'autres hommes, et ils semblent les avoir regardés comme leur dernière fin. Ils ont cu honte de se sauver à leurs yeux, de paroître tels qu'ils étoient peut-être dans le cœur : et ils se sont perdus par déférence Ou par foiblesse. Y a-t-il donc sur la terre des grands assez grands, et des puissants assez puissants, pour mériter de nous que nous croyions et que nous vivions à leur gré, selon leur goût et leurs caprices, et que nous poussions la complaisance plus loin, en mourant, non de la manière qui est la plus sûre pour nous, mais de celle qui leur plaît davantage?

J'exigerois de ceux qui vont contre le train commun et les grandes règles, qu'ils sussent plus que les autres, qu'ils eussent des raisons claires, et de ces arguments qui emportent conviction.

Je voudrois voir un homme sobre, modéré, elaste, équitable, prononcer qu'il n'y a point de

Dieu; il parleroit du moins sans intérêt mais cet homme ne se trouve point.

J'aurois une extrême curiosité de voir celui qui seroit persuadé que Dieu n'est point: il me diroit du moins la raison invincible qui a su le convaincre. L'impossibilité où je suis de prouver que Dieu n'est pas me découvre son existence.

Dieu condamne et punit ceux qui l'offensent, seul juge en sa propre cause; ce qui répugne, s'il n'est lui-même la justice et la vérité, c'est-à-dire, s'il n'est Dieu.

Je sens qu'il y a un Dieu, et je ne sens pas qu'il n'y en ait point; cela me suffit, tout le raisonnement du monde m'est inutile: je conclus que Dieu existe. Cette conclusion est dans ma nature: j'en ai reçu les principes trop aisément dans mon enfance, et je les ai conservés depuis trop naturellement dans un âge plus avancé, pour les soupçonner de fausseté. Mais il y a des esprits qui se défont de ces principes. C'est une grande question s'il s'en trouve de tels; et quand il seroit ainsi, cela prouve seulement qu'il y a des monstres.

L'athéisme n'est point. Les grands, qui en sont le plus soupçonnés, sont trop paresseux pour cider en leur esprit que Dieu n'est pas : leur indolence va jusqu'à les rendre froids et indifférents sur cet article si capital, comme sur la nature de leu ame, et sur les conséquences d'une vraie religion : ils ne nient ces choses ni ne les accordent; ils n'y pensent point.

Nous n'avons pas trop de toute notre santé, de toutes nos forces et de tout notre esprit, pour penser aux hommes ou au plus petit intérêt : il semble au contraire que la bienséance et la coutume exigent de nous que nous ne pensions à Dieu que dans un état où il ne reste en nous qu'autant de raison qu'il faut pour ne pas dire qu'il n'y en a plus.

Un grand croit's'évanouir, et il meurt : un autre grand périt insensiblement, et perd chaque jour quelque chose de soi-même avant qu'il soit éteint: formidables leçons, mais inutiles! Des cireonstances si marquées et si sensiblement opposées nc se relèvent point, et ne touchent personne. Les hommes n'y font pas plus d'attention qu'à une fleur qui se fane, ou à une feuille qui tombe: ils en`vient les places qui demeurent vacantes, ou ils s'informent si elles sont remplies, et par qui.

Les hommes sont-ils assez bons, assez fidèles, assez équitables, pour mériter toute notre confiance, et ne nous pas faire desirer du moins que Dieu existât, à qui nous pussions appeler de leurs jugements, et avoir recours quand nous en sommes persécutés ou trahis?

Si c'est le grand et le sublime de la religion qui éblouit ou qui confond les esprits forts, ils ne sont plus des esprits forts, mais de foibles génies et de petits esprits si c'est au contraire ce qu'il y a d'humble et de simple qui les rebute, ils sont à la vérité des esprits forts, et plus forts que tant de

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