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estime, qui est son ornement, dont l'esprit, le 'mérite, la vertu, l'alliance, lui font honneur? Que ne commence-t-il par rougir de son mariage?

Je connois la force de la coutume, et jusqu'où elle maîtrise les esprits, et contraint les mœurs, dans les choses même les plus dénuées de raison et de fondement je sens néanmoins que j'aurois l'impudence de me promener au cours, et d'y passer en revue avec une personne qui seroit ma femme.

Ce n'est pas une honte ni une faute à un jeune homme que d'épouser une femme avancée en âge1; c'est quelquefois prudence, c'est précaution. L'infamie est de se jouer de sa bienfaitrice par des traitements indignes, et qui lui découvrent qu'elle est la dupe d'un hypocrite et d'un ingrat. Si la fiction est excusable, c'est où il faut feindre de l'amitié : s'il est permis de tromper, c'est dans une occasion où il y auroit de la dureté à être sincère. Mais elle vit long-temps. Aviez-vous stipulé qu'elle mourût après avoir signé votre fortune et l'acquit de toutes vos dettes ? N'a-t-elle plus après ce grand ouvrage qu'à retenir son haleine, qu'à prendre de T'opium ou de la ciguë? A-t-elle tort de vivre ? Si même vous mourez avant celle dont vous aviez déjà réglé les funérailles, à qui vous destiniez la grosse sonnerie et les beaux ornements, en est-elle responsable?

Il y a depuis long-temps dans le monde une manière 2 de faire valoir son bien, qui continue

toujours d'être pratiquée par d'honnêtes gens, et d'être condamnée par d'habiles docteurs.

On a toujours vu 1 dans la république de certaines charges qui semblent n'avoir été imaginées la première fois que pour enrichir un seul aux dépens de plusieurs les fonds ou l'argent des particuliers y coule sans fin et sans interruption; dirai-je qu'il n'en revient plus, ou qu'il n'en revient que tard? C'est un gouffre; c'est une mer qui reçoit les eaux des fleuves, et qui ne les rend pas; ou si elle les rend, c'est par des conduits secrets et souterrains, sans qu'il y paroisse, ou qu'elle en soit moins grosse et moins enflée; ce n'est qu'après en avoir joui long-temps, et qu'elle ne peut plus les retenir.

Le fonds perdu, autrefois si sûr, si religieux et si inviolable, est devenu avec le temps, et par les soins de ceux qui en étoient chargés, un bien perdu. Quel autre secret de doubler mes revenus et de thé sauriser? Entrerai-je dans le huitième denier ou dans les aides? Serai-je avare, partisan, ou administrateur?

Vous avez une pièce d'argent 3, ou même une pièce d'or; ce n'est pas assez, c'est le nombre qui opère faites-en, si vous pouvez, un amas considérable et qui s'élève en pyramide, et je me charge du reste. Vous n'avez ni naissance, ni esprit, ni talents, ni expérience, qu'importe? ne diminuez rien de votre monceau, et je vous placerai si haut que vous vous couvrirez devant votre maître, si vous

en avez il sera même fort éminent, si, avec votre métal qui de jour à autre se multiplie, je ne fais en sorte qu'il se découvre devant vous.

Orante plaide depuis dix ans entiers en règlement. de juges, pour une affaire juste, capitale, et où il y va de toute sa fortune: elle saura peut-être dans cinq années quels seront ses juges, et dans quel tribunal elle doit plaider le reste de sa vie.

L'on applaudit à la coutume qui s'est introduite dans les tribunaux d'interrompre les avocats au milieu de leur action, de les empêcher d'être éloquents et d'avoir de l'esprit, de les ramener au fait et aux preuves toutes sèches qui établissent leurs causes et le droit de leurs parties; et cette pratique si sévère, qui laisse aux orateurs le regret de n'avoir pas prononcé les plus beaux traits de leurs discours, qui bannit l'éloquence du seul endroit où elle est en sa place, et qui va faire du Parlement une muette juridiction, on l'autorise par une raison solide et sans réplique, qui est celle de l'expédition : il est seulement à desirer qu'elle fût moins oubliée en toute autre rencontre, qu'elle réglât, au contraire, les bureaux comme les audiences, et qu'on cherchât une fin aux écritures 2, comme on a fait aux plaidoyers.

Le devoir des juges est de rendre la justice; leur métier est de la différer : quelques uns savent leur devoir, et font leur métier.

Celui qui sollicite son juge ne lui fait pas honneur: car, ou il se défie de ses lumières et même de

sa probité, ou il cherche à le prévenir, ou il lui demande une injustice.

Il se trouve des juges auprès de qui la faveur, l'autorité, les droits de l'amitié et de l'alliance, nuisent à une bonne cause', et qu'une trop grande affectation de passer pour incorruptibles expose à être injustes.

Le magistrat coquet ou galant est pire dans les conséquences que le dissolu: celui-ci cache son commerce et ses liaisons, et l'on ne sait souvent par où aller jusqu'à lui : celui-là est ouvert par mille foibles qui sont connus, et l'on y arrive par toutes les femmes à qui il veut plaire.

la ma

Il s'en faut peu que la religion et la justice n'aillent de pair dans la république, et que gistrature ne consacre les hommes comme la prêtrise. L'homme de robe ne sauroit guère danser au bal, paroître aux théâtres, renoncer aux habits simples et modestes, sans consentir à son propre avilissement; et il est étrange qu'il ait fallu une loi pour régler son extérieur, et le contraindre ainsi à être grave et plus respecté.

I

Il n'y a aucun métier qui n'ait son apprentissage; et en montant des moindres conditions jusques aux plus grandes, on remarque dans toutes un temps de pratique et d'exercice, qui prépare aux emplois, où les fautes sont sans conséquence, et mènent, au contraire, à la perfection. La guerre même, qui ne semble naître et durer que par la confusion et le désordre, a ses préceptes : on ne se massacre pas

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par pelotons et par troupes en rase campagne, sans l'avoir appris, et l'on s'y tue méthodiquement. Il y a l'école de la guerre : où est l'école du magistrat? Il y a un usage, des lois, des coutumes: où est y'a le temps, et le temps assez long, que l'on emploie à les digérer et à s'en instruire? L'essai et l'apprentissage d'un jeune adolescent qui passe de la férule à la pourpre, et dont la consignation a fait un juge, est de décider1 souverainement des vies et des fortunes des hommes.

La principale partie de l'orateur, c'est la probité sans elle il dégénère en déclamateur, il déguise ou il exagère les faits, il cite faux, il calomnie, il épouse la passion et les haines de ceux pour qui il parle; et il est de la classe de ces avocats dont le proverbe dit qu'ils sont payés pour dire des injures.

Il est vrai, dit-on, cette somme lui est due, et ce droit lui est acquis: mais je l'attends à cette petite formalité; s'il l'oublie, il n'y revient plus, et con, séquemment il perd sa somme, ou il est incontestablement déchu de son droit : or il oubliera cette formalité. Voilà ce que j'appelle une conscience de praticien.

Une belle maxime pour le palais, utile au public, remplie de raison, de sagesse et d'équité, ce seroit précisément la contradictoire de celle qui dit que la forme emporte le fond.

La question est une invention merveilleuse et tout-à-fait sure pour perdre un innocent qui a la

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