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généreux, fidèle: ajoutez, pourvu qu'il soit mort. La manière dont on se récrie sur quelques uns. qui se distinguent par la bonne-foi, le désintéressement et la probité, n'est pas tant leur éloge que le décréditement du genre humain.

Tel soulage les misérables, qui néglige sa famille et laisse son fils dans l'indigence: un autre élève un nouvel édifice, qui n'a pas encore payé les plombs d'une maison qui est achevée depuis dix années : un troisième fait des présents et des largesses, et ruine ses créanciers. Je demande, la pitié, la libéralité, la magnificence, sont-ce les vertus d'un homme injuste, ou plutôt si la bizarrerie et la vanité ne sont pas les causes de l'injustice?

Une circonstance essentielle à la justice que l'on doit aux autres, c'est de là faire promptement et sans différer la faire attendre, c'est injustice.

Ceux-là font bien, ou font ce qu'ils doivent, qui font ce qu'ils doivent. Celui qui dans toute sa conduite laisse long-temps dirc de soi qu'il fera bien, fait très-mal.

L'on dit d'un grand qui tient table deux fois le jour, et qui passe sa vie à faire digestion, qu'il meurt de faim, pour exprimer qu'il n'est pas riche, ou que ses affaires sont fort mauvaises : c'est une figure, on le diroit plus à la lettre de ses créanciers.

L'honnêteté, les égards et la politesse des personnes avancées en âge de l'un et de, l'autre sexe, me donnent bonne opinion de ce qu'on appelle le vieux temps.

C'est un excès de confiance dans les parents d'espérer tout de la bonne éducation de leurs enfants, et ane grande erreur de n'en attendre rien et de la négliger.

Quand il seroit vrai, ce que plusieurs disent, que l'éducation ne donne point à l'homme un autre cœur ni une autre complexion, qu'elle ne change rien dans son fond, et ne touche qu'aux superficies, je ne laisserois pas de dire qu'elle ne lui est pas inutile.

Il n'y a que de l'avantage pour celui qui parle pen, la présomption est qu'il a de l'esprit; et s'il ́est vrai qu'il n'en manque pás, la présomption est qu'il l'a excellent.

Ne songer qu'à soi et au présent, source d'erreur dans la politique.

Le plus grand malheur1 après celui d'être convaincu d'un crime, est souvent d'avoir cui s'en justifier. Tels arrêts nous déchargent et nous renvoient absous, qui sont infirmés par la voix du peuple.

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Un homme est fidèle à de certaines pratiques de religion, on le voit s'en acquitter avec exactitude; personne ne le louc ni ne le désapprouve, on n'y pense pas : tel autre y revient après les avoir né gligées dix années entières, on se récrie, on l'exalte, cela est libre; moi je le blâme d'un si long oubli de ses devoirs, et je le trouve heureux d'y être rentré.

Le flatteur n'a pas assez bonne opinion de soi ni des autres.

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Tels sont oubliés dans la distribution des

graces, et font dire d'eux, pourquoi les oublier? qui, si l'on s'en étoit souvenu, auroient fait dire, pourquoi s'en souvenir? D'où vient cette contrariété? Est-ce du caractère de ces personnes, ou de l'incertitude de nos jugements, ou même de tous les deux?

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L'on dit communément : Après un tel, qui sera chancelier? qui sera primat des Gaules? qui sera pape? On va plus loin : chacun, selon ses souhaits ou son caprice, fait sa promotion, qui est souvent de gens plus vieux et plus caducs que celui qui est en place; et comme il n'y a pas de raison qu'une dignité tue celui qui s'en trouve revêtu, qu'elle sert au contraire à le rajeunir, et à donner au corps et à l'esprit de nouvelles ressources, ce n'est pas un événement fort rare à un titulaire d'enterrer son successeur.

La disgrace éteint les haines et les jalousies: celui-là peut bien faire, qui ne nous aigrit plus par une grande faveur : il n'y a aucun mérite, il n'y a sorte de vertus qu'on ne lui pardonne: il seroit un héros impunément.

Rien n'est bien d'un homme disgracié : vertus, mérite, tout est dédaigné, ou mal expliqué, ou imputé à vice : qu'il ait un grand cœur, qu'il ne craigne ni le fer ni le feu, qu'il aille d'aussi bonne grace à l'ennemi que Bayard et Montrevel1; c'est un bravache, on en plaisante; il n'a plus de quoi être un héros.

Je me contredis: il est vrai: accusez-en les

hommes, dont je ne fais que rapporter les jugements; je ne dis pas différents hommes, je dis les mêmes 1, qui jugent si différemment.

Il ne faut pas vingt années accomplies pour voir changer les hommes d'opinion sur les choses les plus sérieuses, comme sur celles qui leur ont paru les plus sûres et les plus vraies. Je ne hasarderai pas d'avancer que le feu en soi, et indépendamment de nos sensations, n'a aucune chaleur, c'est-à-dire, rien de semblable à ce que nous éprouvons en nousmêmes à son approche, de peur que quelque jour il ne devienne aussi chaud qu'il a jamais été. J'assurerai aussi peu qu'une ligne droite tombant sur une autre ligne droite fait deux angles droits, ou égaux à deux droits, de peur que les hommes venant

y découvrir quelque chose de plus ou de moins, je ne sois raillé de ma proposition. Ainsi, dans un autre genre, je dirai à peine avec toute la France, Vauban 2 est infaillible, on n'en appelle point : qui me garantiroit que dans peu de temps on n'insinuera pas que même sur le siége, qui est son fort et où il décide souverainement, il erre quelquefois, sujet aux fautes comme Antiphile?

Si vous en croyez des personnes aigries l'une contre l'autre, et que la passion domine, l'homme docte est un savantasse, le magistrat un bourgeois ou un praticien, le financier un maltôtier, et le gentilhomme un gentillâtre; mais il est étrange que de si mauvais noms, que la colère et la haine ont su inventer, deviennent familiers, et que le

dédain, tout froid et tout paisible qu'il est, ose s'en

servir.

Vous vous agitez, vous vous donnez un grand mouvement, sur-tout lorsque les ennemis commencent à fuir, et que la victoire n'est plus douteuse, ou devant une ville après qu'elle a capitulé; vous aimez dans un combat ou pendant un siége à paroître en cent endroits pour n'être nulle part, à prévenir les ordres du général de peur de lés suivre, et à chercher les occasions plutôt que de les attendre et les recevoir votre valeur seroit-elle fausse?

Faites garder aux hommes quelque poste où ils puissent être tués, et où néanmoins ils ne soient pas tués: ils aiment l'honneur et la vie.

A voir comme les hommes aiment la vie, pourroit-on soupçonner qu'ils aimassent quelque autre chose plus que la vie, et que la gloire qu'ils préfèrent à la vie ne fût souvent qu'une certaine opinion d'eux-mêmes établie dans l'esprit de mille gens ou qu'ils ne connoissent point ou qu'ils n'estiment point?

Ceux qui 1, ni guerriers ni courtisans, vont à la guerre et suivent la cour, qui ne font pas un siége, mais qui y assistent, ont bientôt épuisé leur curiosité sur une place de guerre, quelque surprenante qu'elle soit, sur la tranchée, sur l'effet des bombes et du canon, sur les coups de main, comme sur l'ordre et le succès d'une attaque qu'ils entrevoient: la résistance continue, les pluies surviennent, les fatigues croissent, on plonge dans la fange, on a à

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