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V. Il peut se présenter, en matière de témoignage humain, une circonstance fort embarrassante pour l'esprit, celle d'un fait qui paraît contradictoire aux lois de la nature, et qui, en même temps, est attesté par d'imposants témoignages. Que faire, alors? A notre sens, le doute et l'expectative est alors le parti le plus raisonnable. Car on a beau se dire que tel ou tel fait est contradictoire aux lois de la nature; ces lois qu'on invoque sont-elles toutes connues, et celles qu'on croit connaître, les connaît-on parfaitement? Il ne faut donc pas, en présence de témoignages imposants par leur nombre, et surtout par leur valeur, nier dédaigneusement et taxer d'impossibilité un fait que le siècle suivant regardera, peut-être, comme naturel et très-ordinaire, lorsque l'esprit humain aura soulevé un nouveau coin de ce voile qui nous dérobe encore tant de mystères. Il y a plus d'ignorance qu'on ne croit communément à être esprit-fort.

VI. Observons généralement qu'en matière de témoignage, il ne faut apporter ni une confiance aveugle et prête à tout adopter sans examen, ni une excessive incrédulité, qui ne serait ni moins dangereuse, ni moins ridicule. Seulement, l'esprit doit se tenir en garde contre les déceptions qui peuvent l'assaillir, soit de la part du fait, soit de la part des témoins; et cette disposition

à n'admettre un fait qu'autant qu'il présente sous ce double rapport toutes les garanties exigées par la raison la plus sévère, est ce que nous appelons le doute méthodique; non ce scepticisme de quelques critiques, qui rejette tout comme également vrai et également faux, mais ce scepticisme raisonnable, proposé par Descartes à titre de méthode, et qui consiste à ne rien croire dont on ne se soit préalablement rendu compte. Notre scepticisme n'est donc pas le doute absolu, mais le doute examinateur.

VII. Ce qui vient d'être établi concerne surtout le témoignage humain en matière de faits. Mais si l'on sort de la sphère des faits pour entrer dans celle des doctrines, ici, indépendamment des conditions mentionnées, d'autres encore sont rigoureusement exigibles, à savoir, la supériorité intellectuelle de celui ou de ceux de qui émane le témoignage.

VIII. L'école théocratique, au dix-neuvième siècle, a voulu faire du témoignage humain l'unique criterium de la vérité en matière de doctrines religieuses, philosophiques, morales et sociales 1. Cette doctrine vient échouer contre

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L'exposé le plus complet et le plus remarquable de cette doctrine se trouve dans le second volume de l'Essai sur l'indifférence en matière de religion, de M. Lamennais.

un triple écueil : 1° elle aboutit définitivement au scepticisme le plus absolu; 2o elle se base sur un paralogisme, puisqu'elle en appelle de l'insuffisance de la raison, à qui? à la raison ellemême; 3° elle tend, par ses conséquences, à immobiliser l'esprit humain, et méconnaît ainsi tout à-la-fois les desseins de la Providence et la loi de l'humanité.

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Auteurs à consulter: Sgravesande, Introduction à la philoso phie, p. 132-137. — Id., ibid., p. 181-186. Reid, Essais sur les facultés de l'esprit humain, t. 2, 341-365. P. Portalis, De l'usage et de l'abus de l'esprit philosophique, ch. 21. — V. Cousin, Fragments, préface de la deuxième édition, p. 44-51. — Damiron, Logique, p. 197-222.

CHAPITRE VI.

Du raisonnement et de ses différentes formes.

I. Le raisonnement consiste dans l'assemblage de plusieurs jugements offrant entre eux une relation qui permet à l'esprit de s'élever à un jugement ultérieur, qui est vis-à-vis les précédents dans le rapport de la conséquence aux prémisses.

II. Il y a trois modes principaux de raisonnements, à savoir: le raisonnement par analogie,

le raisonnement par induction, le raisonnement par déduction. Nous avons, plus haut2, décrit leur mécanisme et indiqué leurs conditions de légitimité. Il nous reste à faire connaître ici les diverses formes du raisonnement par déduction.

III. Ces formes sont : le syllogisme (qui peut se subdiviser en catégorique, conditionnel, disjonctif), l'enthymême et l'épichérême (qui sont l'un un syllogisme tronqué, l'autre un syllogisme développé), le sorite, le dilemme.

IV. Trois termes; le grand, le petit, le moyen; trois propositions; majeure, mineure, conclusion, dont chacune comprend deux termes mis en regard l'un de l'autre, à savoir : la majeure, le grand et le moyen terme, la mineure le petit et le moyen terme, la conclusion le petit et le grand terme; voilà tout le mécanisme du syllogisme.

Les anciens logiciens distinguaient dans le syllogisme ce qu'ils appelaient son mode, et ce qu'ils appelaient sa figure. Ils appelaient mode du syllogisme la disposition des trois propositions, selon leurs différences de quantité et de qualité; ils appelaient figure du syllogisme la disposition relative des trois termes.

'Voir le chapitre IV de la Logique.

Les règles du syllogisme ont été originairement posées par Aristote dans ses Aristote dans ses Analytiques. La scholastique les surchargea d'une multitude de corollaires, et résuma en huit vers d'un latin barbare ce que ces règles offraient d'essentiel. La logique moderne, notamment avec Sgravesande et Condillac, vint, à son tour, resserrer en quelques préceptes les formules aristotéliciennes et scholastiques.

IV. La sorite consiste en une série de jugements, dont chacun soit conséquence de celui qui le précède et principe de celui qui le suit. Si le jugement qui sert de point de départ est vrai, et qu'on procède ultérieurement d'après les lois d'une rigoureuse déduction, le sorite sera légi

time.

V. Le dilemme consiste en deux propositions dont on laisse le choix à l'adversaire, mais de manière à l'accabler, quelle que soit celle des deux pour laquelle il se décide. Le dilemme cesserait d'être légitime si l'une des propositions, ou surtout toutes deux étaient acceptables, ou bien encore si entre les deux partis proposés il se trouvait un parti moyen dont l'adversaire pût s'emparer et se prévaloir.

Auteurs à consulter: Locke, Essai sur l'entendement humain, liv. 4, De la connaissance, article Syllogisme. Sgravesande, Introduction à la philosophie, p. 169-177. Id., ibid., p. 267

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