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NOTES.

(a) Si la psychologie n'est pas la borne de la philosophie, elle en est la base; l'esprit de la philosophie moderne, depuis Descartes et Locke, n'admet plus d'autre méthode que l'expérience et place la science de la nature humaine à la tête de la science philosophique, se séparant ainsi de la nouvelle philosophie allemande. Celle-ci, aspirant à reproduire dans ses conceptions l'ordre même des choses, débute par l'être des êtres, pour descendre ensuite par tous les degrés de l'existence jusqu'à l'homme et aux divers facultés dont il est pourvu; elle arrive à la psychologie par l'ontologie, par la métaphysique et la physique réunies. Et certes, moi aussi je suis convaincu que dans l'ordre universel l'homme n'est qu'un résultat, le résumé de tout ce qui précède, et que la racine de la psychologie est au fond dans l'ontologic; mais comment sais-je cela? comment l'ai-je appris? Parce que, ayant étudié l'homme et y ayant discerné certains éléments, j'ai retrouvé, avec des conditions et sous des formes différentes, ces mêmes éléments dans la nature extérieure, et que, d'inductions en inductions, de raisonnements en raisonnements, il m'a bien fallu rattacher ces éléments, ceux de l'humanité et ceux de la nature, au principe invisible de l'une et de l'autre. Mais je n'ai pas commencé par ce principe, et je n'y ai pas placé d'abord certaines puissances, certains attributs; car à l'aide de quoi l'aurais-je fait ? Ce n'eût pas été là une induction, puisque je ne connaissais encore ni l'homme ni la nature; c'eût donc été ce qu'on appelle en Allemagne une construction et chez nous une hypothèse. Cette hypothèse fût-elle une vérité, comme je le crois, elle n'est pas moins nulle scientifiquement. ( COUSIN, Préface des premiers fragments, deuxième édition.)

(b) Puisque nous avons nommé Descartes, il ne sera peut-être pas hors de place de citer ici un fragment de sa correspondance,

qui démontre, jusqu'à la dernière évidence, que son système des idées innées n'est pas aussi absurde qu'ont bien voulu le prétendre certains critiques qui avaient faussement interprété sa doctrine. Voici ce fragment:

« Je n'ai jamais écrit ni jugé que l'esprit ait besoin d'idées innécs » qui soient quelque chose de différent de la faculté qu'il a de pen» ser. Mais bien est-il vrai que reconnaissant qu'il y avait certaines » idées qui ne procédaient ni des objets de dehors, ni des détermi»> nations de ma volonté, mais seulement de la faculté que j'ai de » penser, pour les distinguer des autres qui nous sont survenues ou » que nous avons faites nous-mêmes, adventices ou factices, je les » ai nommées innées; mais je l'ai dit au même sens que nous disons » que la générosité, par exemple, est innée dans certaines familles, » ou que certaines maladies, comme la goutte ou la pierre, sont » innées dans d'autres ; non pas que les enfants qui prennent nais»sance dans ces familles soient travaillés de cette maladie au sein » de leurs mères, mais parce qu'ils naissent avec la disposition ou » la faculté de les contracter. » (Correspondance de Descartes, t. 2.)

(e) Il y a deux sortes d'origine; il y a dans les connaissances humaines deux ordres de rapports qu'il importe de bien distinguer. Deux idées étant données, on peut chercher si l'une ne suppose pas l'autre ; si l'une étant admise ne pas admettre l'autre n'est pas encourir le reproche de paralogisme. C'est là l'ordre logique des idées entre elles.

Mais ce n'est pas là l'ordre unique de la connaissance; et le rapport logique n'épuise pas tous les rapports que peuvent soutenir les idées entre elles. Il en est un autre encore, celui d'antériorité ou de postériorité, l'ordre du développement relatif des idées dans le temps, leur ordre chronologique ; et on peut aussi envisager sous ee point de vue la question de l'origine des idées. (V. COUSIN, Cours de l'histoire de la philosophie, leç. 17, p. 154 et suiv. )

(d) Platon, dans son premier Alcibiade, entreprend d'établir une distinction entre ce qui est nous et ce qui n'est pas nous, entre l'ame et le corps.

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Socrate. Un homme qui joue de la lyre n'est-il pas différent de la lyre dont il joue? Alcibiade. Qui en doute? Soc. C'est ce que je te demandais tout-à-l'heure ; et celui qui se sert d'une chose te paraît toujours différent de ce dont il se sert? - Alc. Trèsdifférent. Soc. Mais le cordonnier coupe-t-il seulement de sès instruments, et ne coupe-t-il pas avec ses mains? - Alc. Avec ses Soc. Il se sert donc de ses mains?

mains aussi.

Soc. Et pour travailler, il se sert aussi de ses yeux?

Alc. Oui.

Alc. Aussi.

Soc. Et nous sommes tombés d'accord que celui qui se sert d'une chose est différent de la chose dont il se sert? Alc. Nous en

sommes tombés d'accord. Soc. Le cordonnier et le joueur de

lyre sont autre chose que les

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Alc. Cela est sensible.

corps?

mains et les yeux dont ils se servent? Soc. Et l'homme se sert de tout son

Alc. Fort bien. Soc. Celui qui se sert d'une chose

est différent de la chose qui sert ? Alc. Oui. Soc. L'homme est donc autre chose que le corps qui est à lui? Alc. Je le crois. Soc. Qu'est-ce que l'homme? Alc. Je ne saurais le dire. Soc. Tu pourrais au moins me dire ce qui se sert du corps? Alc. Cela est vrai. Soc. Y a-t-il autre chose qui se serve du corps que l'ame? Soc, C'est donc elle qui commande? Alc. Très-certainement. ( PLATON, Alcibiade,

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traduction de M. Cousin.)

celles

(e) Quand les vérités d'où l'on part sont plus simples que auxquelles la déduction doit conduire, la méthode est synthétique; si au contraire on part de vérités compliquées pour en déduire successivement des vérités de plus en plus simples, la méthode est analytique.

Chacune de ces méthodes se divise elle-même en deux autres, suivant qu'on marche directement des vérités connues aux vérités inconnues, ou que, faute de moyens de procéder ainsi, on est obligé de faire des hypothèses sur ce qu'on ignore, et de partir de pour en déduire des conséquences qui se rattachent à ce qui est de manière à ce qu'on puisse juger si ces hypothèses doivent être admises ou rejetées.

connu,

Dans le premier cas la méthode est directe, dans le second elle est indirecte.

La méthode directe est en général préférable, et c'est seulement lorsqu'il est impossible de l'appliquer aux recherches dont on s'occupe qu'il est permis de recourir à l'autre. (Cours du collège de France. Classification naturelle des sciences, par M. Ampère.

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(f) « Toute science n'est que réminiscence: s'il en est ainsi, il >> faut que nous ayons su avant cette vie ; il faut donc que l'ame ait >> existé avant de revêtir cette forme humaine.

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» Par exemple, les sens nous découvrent des choses que nous jugeons égales, savoir des arbres, des pierres, etc. Mais l'idée d'égalité ne doit pas être confondue avec les choses égales, qui ne » sont telles que par leur rapport avec l'égalité. L'idée de l'égalité ne » vient donc point des sens; il suit qu'il faut qu'elle naisse avec » nous ou que nous l'ayons avant cette vie, et qu'à l'occasion

» des objets extérieurs elle nous revienne à la mémoire. Est-elle >> innée et le seul fait de la naissance la développe-t-il en nous? Loin » de là: ce n'est pas en entrant dans ce séjour de ténèbres qu'on » découvre la lumière; on la perdrait bien plutôt! Reste donc que » nous ayons acquis l'idée de l'égalité avant notre naissance et que >> nous ne fassions que nous en ressouvenir. Ce que nous disons de » l'idée de l'égalité, il faut le dire aussi de l'idée du beau, du bien, » du juste. Encore une fois, nous ne puisons pas toutes ces idées » dans les impressions extérieures ; mais nous les trouvons d'abord >> dans notre ame, qui les possédait avant cette vie; elle peut donc >> lui survivre.

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>> On voit que nous avons gardé ici à dessein et avec un respect scrupuleux les formes et la phraséologie sous laquelle cette théo>> rie célèbre a paru pour la première fois dans le monde philosophique; mais il faut percer ces enveloppes pour entrevoir les » hautes vérités qui sont dessous. La théorie de la science considé>> rée comme réminiscence ne nous enseigne-t-elle pas que la puis»sance actuelle prise substantiellement, et avant de se manifester » sous la forme de l'ame humaine, contient déjà en elle, ou plutôt » est elle-même le type primitif et absolu du beau, du bien, de l'égalité et de l'unité; et que lorsqu'elle passe de l'état de sub» stance à celui de personne, et acquiert ainsi la conscience et la pensée distincte en sortant des profondeurs où elle se cachait à » ses propres yeux, elle trouve dans le sentiment obscur et confus » de la relation intime qui la rattache à son premier état, comme à » son centre et à son principe, les idées du beau, du bien, de l'égalité, de l'unité, de l'infini, qui alors ne lui paraissent pas tout-à» fait des découvertes, et ressemblent assez à des souvenirs ? C'est ainsi, du moins, que j'entends Platon. » (V. COUSIN, extrait de l'argument mis en téte de la traduction du Phédon.)

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(g) Disons la cause qui a porté le suprême ordonnateur à produire et à composer cet univers. Il était bon, et celui qui est bon n'a aucune espèce d'envie. Exempt d'envie, il a voulu que toutes choses fussent autant que possible semblables à lui-même. Quiconque, instruit par des hommes sages, admettra ceci comme la raison principale de l'origine et de la formation du monde, sera dans le vrai. (Platon, Timée, traduction de M. Cousin.)

Voilà des lignes bien simples et bien profondes, et qui appartiennent en propre à Platon. Avant lui, l'idée la meilleure que l'esprit humain se fût encore formée de Dieu, était celle d'une intelligence, le vous d'Anaxagoras. Anaxagoras expliquait par le vous comment le monde a été formé tel qu'il est, ordonné et harmonique dans toutes ses parties. Platon explique pourquoi le monde a été

ainsi formé, et il en donne la raison, à savoir, une intelligence douée de bonté, qui se complaît à se répandre hors d'elle-même, et à communiquer ses divers attributs. De là l'expression de père, que Platon donne en cet endroit à l'auteur de l'univers. Aussi, je crois pouvoir prendre cette expression de père dans le sens à-la-fois palen et chrétien, comme synonyme de ποιητής et de δημιουργός, et en même temps, dans une certaine mesure, comme l'antécédent du πατὴρ ἡμων.

Chez Aristote, ce caractère de bonté semble manquer à Dieu. Dans la Métaphysique ( liv. XII ), la bonté de Dieu est déduite de sa nécessité. Si le premier moteur immuable est nécessaire, il est bon; ce qui ne veut pas dire qu'il possède l'attribut moral de la bonté, mais qu'il possède le bien, le bonheur parfait. Aussi, tout bonheur vient de Dieu, qui en est le principe suprême; mais Aristote ne dit point que Dieu le répand lui-même par sa volonté.

Plus tard, au sein du christianisme, s'est élevée une autre doctrine, bien différente de celle de Platon, et qui a prétendu et prétend même encore être la seule doctrine orthodoxe ; je veux parler de la doctrine d'Ockam, qui, à force de revendiquer la volonté divine, la sépare presque de l'intelligence et de la bonté, et fait créer à Dieu le monde tel qu'il est, uniquement parce qu'il lui a plu de le faire ainsi, par un acte entièrement arbitraire, sans égard à l'idée du juste et du bien. Mais c'est prétendre que Dieu a fait le monde par un acte de vouloir destitué de tout penser; ce qui est impossible, absurde, impie. Dieu n'est qu'en tant qu'il pense, comme en tant qu'il veut; sa pensée, sa pensée éternelle, c'est l'idée même du bien, du juste, etc.; c'est avec sa pensée, avec ses idées, au sens platonicien, qu'il veut et qu'il agit; et, en agissant, il les imprime à ses œuvres. Le monde est donc empreint des idées, c'est-à-dire des pensées de Dieu. Le monde réalise le plan divin, le plan que Dieu a suivi et voulu suivre en formant le monde, par cette grande et dernière raison, à savoir, que Dieu est bon. Ainsi, deux mille ans après Platon, nous pouvons dire encore: «< Qui» conque, instruit admettra ceci comme la des hommes sages, par » raison principale de l'origine et de la formation du monde, sera » dans le vrai.» (V. COUSIN, note sur le passage précédent du Timée, t. XII de la traduction de Platon.)

FIN DES NOTES.

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