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MANUEL

DE PHILOSOPHIE,

A L'USAGE DES ÉLÈVES

QUI SUIVENT LES COURS DE L'UNIVERSITÉ.

INTRODUCTION.

SOMMAIRE.

Objet de la philosophie. Nécessité et importance de la philosophie. Ses rapports avec les autres sciences. - Des méthodes qui ont été suivies dans les recherches philosophiques, et de la vraie méthode philosophique.. Division de la philosophie. · Ordre dans lequel il faut en disposer les parties.

I. Un double moment peut se remarquer et se constater dans le développement de l'activité humaine, à savoir, imagination, réflexion; en d'autres termes, poésie, philosophie. L'esprit humain, dans l'individu comme dans la société, débute par l'imagination, pour aller de-là à la réflexion; il procède de la poésie à la philosophie.

La philosophie, dans l'acception la plus géné

c

rique du mot, c'est « l'intelligence et l'explica» tion de toutes choses par l'emploi légitime de >> nos facultés.» (COUSIN.)

La philosophie morale, la seule dont il s'agisse en ce livre, a pour objet spécial, en premier lieu, l'étude de l'esprit humain dans ses différents modes ou états, dans ses diverses puissances ou facultés, dans la légitimité de ces facultés, dans sa fin en cette vie et sa destinée future; en second lieu, l'étude de Dieu envisagé dans son existence, ses attributs, son action providentielle sur le monde et sur l'homme.

II. Ce simple exposé de l'objet de la philosophie morale nous paraît de nature à en faire apprécier l'importance. Il n'est pas rare, pourtant, de voir certains hommes, préoccupés de l'attention exclusive qu'ils apportent à la philosophie naturelle, taxer la philosophie morale de stérilité, et lui contester ses avantages. C'est le propre des esprits étroits et mesquins de n'apercevoir l'utilité que dans la sphère scule des choses qu'ils étudient, et de ne voir ailleurs que recherches vaines et oiseuses. Ce préjugé ne peut tenir contre quelques réflexions de simple

bon sens.

Et d'abord, serait-il raisonnable que l'homme désireux de tout étudier et de tout connaître, s'ignorât lui-même ? Eh quoi! rien dans la

nature n'échappe à ses laborieuses et patientes investigations, et cet esprit qui entre en jeu dans la recherche et la connaissance de toutes choses, cet esprit, supérieur à la nature entière de toute la supériorité de l'être qui connaît sur les choses dont il prend connaissance, serait condamné à l'ignorance de lui-même, et pourrait tout étudier, hors sa propre nature et ses propres lois? Evidemment, ce sont-là des prétentions inadmissibles, et contre lesquelles le bon sens se révolte. La philosophie morale ne prétend proscrire aucune science que ce soit; loin de là, elle proclame l'utilité de toutes; mais, en revanche, elle réclame pour elle-même une égale tolérance, et repousse énergiquement le reproche qu'on lui fait quelquefois de n'être qu'un amas de subtilités et un tissu de discussions verbeuses et stériles. Elle prouve qu'en dernière analyse c'est d'elle que relèvent toutes les autres sciences. Car, après tout, sur quoi se fondent ces sciences, quelles qu'elles soient, sinon sur la légitimité de nos moyens de connaître ? et quelle autre science que la philosophie de l'esprit humain est appelée à contrôler cette légitimité?

Ce n'est pas tout, l'homme n'est pas, comme la brute, un être purement sensible; c'est un être moral qui soutient des rapports moraux avec ses semblables et avec Dieu, et qui doit néces

sairement connaître ces rapports, les devoirs qui en dérivent et les conséquences qu'entraînent, soit pour cette vie terrestre, soit pour une vie à venir, l'accomplissement de ces devoirs ou leur infraction. En un mot, le problême de sa fin morale en cette vie et de sa destinée future est d'une haute gravité, et n'éveille pas médiocre ment notre sollicitude. On dira, peut-être, que ces problêmes trouvent leur solution dans la morale naturelle et dans la religion. Oui, certes, et pour notre part, nous acceptons cette solution. Mais, tout en l'acceptant, nous croyons qu'elle n'exclut pas la solution philosophique. Les questions que la morale naturelle et la religion résolvent par la foi, la philosophie les résout par la science. Et entre ces solutions proposées, les unes par la religion, les autres par la philosophie, il n'y a pas opposition, mais conformité; car la vraie philosophie, loin d'être hostile à la religion, adopte et reproduit ses divins enseignements; avec cette différence, toutefois, que les vérités proposées par la religion à la croyance spontanée, la philosophie les explique et les fait accepter à la croyance réfléchie.

D'ailleurs, la philosophie est un besoin réel et un produit nécessaire de l'esprit humain, à l'égal de l'industrie, du culte, de la législation,

de l'art. L'idée du vrai n'était pas moins légitimement dans l'esprit que les idées de l'utile, du divin, du juste, du beau, et comme elles aussi elle devait arriver à réalisation.

III. La philosophie de l'esprit humain soutient des rapports généraux avec toutes les seiences, quelles qu'elles soient, puisque ces sciences reposent sur des procédés intellectuels. Mais il est en même temps quelques sciences vis-àvis lesquelles elle soutient des rapports plus spéciaux, et notamment la physiologie, la géographie physique, l'histoire.

L'esprit humain n'est pas une force isolée; c'est une force immatérielle, il est vrai, mais en rapport cependant avec un système d'organes. Ces rapports entre le physique et le moral de l'homme, qu'une observation un peu attentive peut aisément constater et apprécier, sont très-nombreux et très diversifiés, et fournissent matière à des recherches très-curieuses et trèsimportantes. Ils ont été l'objet spécial des recherches et des écrits de plusieurs physiologistes et psychologistes célèbres, entr'autres, Cabanis, Gall, Spurzheim, Broussais, Maine de Biran.

L'esprit humain tombe, ainsi que le corps auquel il est associé, sous l'influence de la température des saisons, des climats, des productions. De-là, rapports de la philosophie de l'esprit

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