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qui n'accompagnent pas constamment le fait en question, ne s'élever des faits particuliers aux lois que lentement et par une série d'échelons jusqu'à la loi la plus générale possible, telle est la méthode proposée par Bâcon sous le nom de méthode inductive. Aller des faits particuliers aux lois, c'est parcourir l'échelle ascendante; partir d'une loi pour en déduire une application. particulière, c'est suivre la marche inverse. Neque enim in plano via sita est, sed ascendendo et descendendo; ascendendo primum ad axiomata, descendendo ad opera. (Aph. 103.)

Un abus trop fréquent, et que signale Bacon, dans l'emploi de la méthode inductive, c'est l'empressement de l'esprit à passer des faits particuliers aux lois les plus générales. C'est là un obstacle encore à toute espèce de progrès. On ne pourra bien augurer de la science. que le jour où l'on se résoudra à s'élever graduellement et pas à pas des faits particuliers aux lois inférieures, de celles-ci à des lois supérieures, et de ces dernières aux plus générales de toutes. L'esprit humain ne doit pas s'élancer étourdiment, mais modérer son vol. Intellectui non pluma addendæ, sed plumbum potius et pondera, ut cohibeant omnem saltum et volatum. (Ib, aph. 104.)

Cette méthode, appliquée avec intelligence et

discernement, a été la source de tous les progrès qu'ont faits les sciences expérimentales depuis le commencement du dix-septième siècle. Aussi, Bâcon peut-il être appelé, à juste titre, le créateur de ces sciences, bien qu'il n'ait travaillé spécialement à aucune, Lui-même a parfaitement caractérisé le rôle auquel il était appelé et qu'il a accompli, quand il a dit qu'il ne voulait point éclairer telle ou telle partie du temple, mais allumer un graud flambrau qui illuminât tout l'édifice.

IV. Quelques philosophes ont prétendu que Bâcon voulait restreindre l'emploi de sa méthode au seul domaine des faits matériels, et qu'il regardait comme quelque chose de frivole et de peu de valeur les spéculations psychologiques auxquelles il refusait le titre de sciences positives; et à l'appui de cette opinon on a cité ce passage: Mens humana si agat in materiam, pro modo naturæ materiæ operatur atque ab eadem determinatur. Si in se ipsa vertatur, tanquam aranea texens telam, tum demum indeterminata est et parit telas quasdam doctrinæ, tenuitate filii operis que mirabiles, sed quoad usum frivolas atque inanes. (De augm. scient., lib. 1, parag. 31. ) Cette pensée, il est vrai, est de Bâcon; mais le même Bâcon dit en un autre endroit : At nos certe de universis hæc quæ dicta

sunt intelligimus, atque quemadmodum vulgaris logica quæ regit per syllogismum non tantum ad naturales sed ad omnes scientias pertinet, ita et nostra quæ procedit per inductionem omnia complectitur. (Nov. org. 1, aph. 127.). Voilà certainement un passage décisif. Après tout, malgré cette apparente contradiction, et quelle qu'ait pu être l'opinion de Bâcon à cet égard, il n'en faudrait rien conclure contre la possibilité ou la légitimité de l'application de la méthode expérimentale aux sciences philosophiques. En effet, les sciences philosophiques reposent en dernière analyse sur la psychologie. Or, la psychologie est semblable, à tous égards, aux sciences naturelles, puisqu'elle aussi se compose de faits qu'il s'agit d'observer, de constater, de décrire. Toute la différence, c'est que, d'une part, il s'agit de faits internes, d'autre part, de faits extérieurs. Cette différence omise (et elle peut l'être comme ne portant que sur la forme et n'altérant en rien le fond des choses), tout se passe absolument de même dans l'ordre psychologique et dans l'ordre physique. Par conséquent, la méthode d'observation et d'expérimentation, si féconde en heureux résultats dans son application aux faits du monde maté– riel, peut légitimement s'étendre et s'appliquer aux phénomènes de l'ordre psychologique.

Auteurs à consulter: Descartes, t. 6, p. 93, 182, 210 de l'édition de M. Cousin. Gassendi, Sommaire et jugement du Novum organum. · Mallebranche, Recherche de la vérité, liv. 2, part. 2, ch. 2 et 3. — Voltaire, Treizième lettre sur les Anglais. — D'Alem— bert, Discours préliminaire de l'Encyclopédie. - Condillac, Essai sur l'origine des connaissances humaines et historiques, liv. dern., ch. 3. — Condorcet, Tableau des progrès de l'esprit humain, huitième époque. Tennemann, t. 2, p. 36, 54, 59, 63.-V. Cousin, Cours d'histoire de la philosophie, année 1828-1829, leç. 2, p. 66. - Id., ibid., leç. 11, p. 441–447. — Id., Premiers Fragments, article De l'histoire de la philosophie, p. 224. — Bibliothèque philosophique des temps modernes, par Bouillet et Garnier, première livraison. J. Matter, Histoire des doctrines morales et politiques des trois derniers siècles, t. 2, p. 103 et suiv.

CHAPITRE VIII.

En quoi consiste la méthode de Descartes.

du discours sur la méthode.

Donner une analyse

I. Le promoteur de la méthode psychologique est Descartes, comme Bâcon avait été celui de la méthode expérimentale. Descartes veut que l'esprit humain parte de lui-même, du fait de sa pensée et de son existence (cogito, ergo sum) avant que d'aborder l'étude des existences étrangères à la sienne. Cette méthode était le fruit de l'expérience des siècles ; elle ne pouvait être trouvée et appliquée qu'après un grand nombre d'essais infructueux. Dans l'antiquité il avait fallu deux siècles, il en fallut huit au moyen

âge, pour que l'esprit humain arrivât à la découverte et à l'emploi de l'unique procédé qui pût assurer sa marche et garantir ses progrès dans les recherches philosophiques.

Descartes prend donc pour point de départ un phénomène psychologique, le fait de la pensée. Il s'isole, autant que faire se peut, de tout ce qui l'entoure, et, dans cet isolement, rien n'existe plus pour lui, sauf une chose dont il a conscience et dont il ne saurait douter, sa pensée. Dans ce fait de la pensée il trouve la révélation immédiate de son existence. Et qu'on ne croie pas qu'il essaie de prouver cette existence par le raisonnement; ce n'est pas là le vrai sens du cogito, ergo sum; car, s'il en était ainsi, la proposition de Descartes impliquerait une pétition de principe, comme Gassendi le lui reproche. Mais heureusement Descartes s'est suffisamment expliqué à cet égard dans sa correspondance et ses réponses aux objections, ainsi que l'a judicieusement fait observer M. Cousin, qui, dans un article de ses premiers fragments, a jeté sur cette pensée du grand philosophe une vive lumière.

Nous l'avons dit, le fait de la pensée comme attribut, et l'existence du moi, de l'esprit, comme substance, voilà le point de départ de Descartes. Mais, en nous repliant sur nous

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