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dans cet ensemble les quatre vertus dites cardinales.

Sagesse, force d'ame, tempérance; telles sont les vertus individuelles, ou devoirs de l'homme envers sa propre nature. Par cela seul la raison nous les révèle comme vertus, que elle nous en commande en même temps, et d'une manière non moins absolue, l'accomplissement. Il faut les accomplir pour cette unique raison que ce sont des préceptes de la loi morale. Mais à cette première considération une autre encore vient se joindre secondairement pour conseiller cet accomplissement: c'est qu'en même temps qu'il est raisonnable, il est aussi profitable. Et ici surtout apparaît, avec une lumineuse évidence, la concordance des résultats produits par les principes bien distincts entre eux de l'intérêt et de la vertu.

Nous avons nommé la science au nombre des vertus individuelles. Un philosophe du dixhuitième siècle, Rousseau, a cru voir dans la science la cause de la dépravation humaine, et cette opinion, exposée spécialement dans un de ses écrits, s'est reproduite sous des formes plus ou moins explicites dans chacun de ses ouvrages.

Mais aucune espèce ne peut se soustraire aux lois qui lui sont imposées. Toutes ont une loi,

toutes la suivent. Or, la loi de la nature veut que l'homme, être perfectible, cultive son intelligence. L'homme a soif de la vérité ; il la cherche avec ardeur; il ne peut ne pas la chercher; il y est porté par un besoin non moins irrésistible que celui qui le fait satisfaire aux exigences de

la vie animale et sensitive. Si l'homme en cherchant la science se révolte contre sa nature, qu'on nous explique donc cette tendance générale et irrésistible de l'humanité vers le perfectionnement et le développement intellectuel. Vox populi, vox Dei. L'ignorance n'est donc pas pour nous une loi de nature, pas plus que de rester nus, enfants et faibles.

Un examen approfondi des rapports de la science avec la morale conduirait d'ailleurs à

conclure que la moralité dépend en grande partie des lumières, puisque ce sont les lumières qui éclairent et qui étendent notre liberté. Et cette solution philosophique de la question pourrait encore trouver sa vérification dans des rapprochements historiques desquels il résulte

rait

que la science, au lieu d'être une source de démoralisation, est au contraire éminemment moralisatrice. Si Rousseau lui a contesté ce caractère, c'est que, par bizarrerie d'esprit ou par misanthropie, il a confondu l'abus de la science avec la science même ; comme si la vertu consis

tait dans la nullité et non dans le développement légitime et le bon emploi des facultés que la Providence nous a départies.

Auteurs à consulter: Platon, Ménon, p. 143 de la traduction de M. V. Cousin. Duguald-Stewart, Esquisses de philo

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sophie morale, p. 120. Id., ibid., p. 196–206.

P.

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Id., ibid., 224-227. V. Cousin, Cours d'histoire de la philosophie au dix-huitième siècle, t. 1er, publié par M. Vacherot, leç. 5. Damiron, Cours de morale, ch. 2, sect. 1. — Id., Histoire de la philosophie française au dix-neuvième siècle, article Volney.

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CHAPITRE VI.

Morale sociale, ou devoirs de l'homme envers ses semblables. 1° Devoirs envers l'homme en général. 2o Devoirs envers

l'état.

I. Après les devoirs de l'homme envers luimême viennent les devoirs de l'homme envers ses semblables ou morale sociale. Mais, ici, une question préalable se présente : la société est-elle l'état naturel de l'homme, ou ne seraitelle, ainsi que l'a prétendu Rousseau, qu'un état contre nature, et la vie sauvage serait-elle l'état naturel?

Ecoutons Vico, qui écrivait antérieurement à Rousseau : « Nul être ne reste hors de son état

» naturel; l'homme vit en socité; donc l'homme » est naturellement sociable. »>

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Ecoutons encore Voltaire, écrivain moins passionné et plus judicieux que Rousseau: « Nul être (dit Voltaire) ne peut se soustraire à sa nature. » L'homme sauvage, s'il y en a, est un être qui » n'a pas encore atteint le complément de son » espèce.

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Les témoignages de l'histoire viennent encore à l'appui des considérations philosophiques. De tout temps l'homme a vécu en société. Aux époques même les plus reculées où il soit possible de remonter, on trouve la société de famille. L'état sauvage, tel que l'entend Rousseau, n'a existé à aucune période de l'humanité.

II. De ce que la société est l'état naturel de l'homme, il suit que l'homme a des devoirs à remplir envers la société ; c'est ce qui constitue la morale sociale.

Ces devoirs embrassent la pratique des vertus connues sous les dénominations suivantes : Charité ou humanité,

Probité et justice.

La charité ou l'humanité, la probité et la justice sont la base de toutes les vertus sociales. La pratique de ces vertus fondamentales peut se formuler ainsi qu'il suit : Ne pas faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qui nous fut fait.

- Faire à autrui le bien que nous voudrions en recevoir. Ces deux préceptes généraux embrassent toute la morale sociale.

L'existence de nos devoirs envers nos semblables nous est révélée par la raison; et de ce que la pratique des vertus sociales est chose légitime et juste, il suit qu'elle est obligatoire, car il y a là identité. Mais en même temps que la raison révèle cette pratique comme légitime et obligatoire, une expérience approfondie des choses de cette vie nous la montre aussi comme profitable; et ici encore concordance de la vertu et de l'intérêt dans les résultats.

III. La grande société humaine se divise en plusieurs sociétés politiques: d'où pour l'homme de nouvelles obligations, ou, en d'autres termes, ses devoirs envers l'état.

L'état, c'est la société civile organisée à cette fin d'assurer à chacun l'exercice de ses droits, et de contraindre chacun à l'accomplissement de ses devoirs. Car, dans toute science, les droits ne vont jamais sans les devoirs, ni les devoirs sans les droits. Les idées de droit et de devoir sont corrélatives,

L'organisation de toute société civile et politique est nécessairement basée sur l'idée du juste dont elle a pour but la réalisation. Or, cette réalisation exige impérieusement l'établissement

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